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Arciniegas, Germán

Le chevalier d’El Dorado

1995

lundi 1er janvier 1996

Présenté et traduit de l’espagnol (Colombie) par Georges Lomné, suivi d’une correspondance inédite entre l’auteur et Stefan Zweig.

Les premiers livres de Germán Arciniegas (né à Bogotà en 1900) lui valurent l’estime et l’amitié de Stefan Zweig, comme en témoignent les lettres inédites figurant en annexe.
En faisant en sorte que Le chevalier d’El Dorado soit traduit par Viking Press, son éditeur américain, Stefan Zweig conféra à Germán Arciniegas une envergure internationale.
D’autres traductions en américain suivirent, mais aussi en allemand, en italien, en roumain, en hongrois...

Sommaire

Préface, de Georges Lomné

I. Santa Marta, vagabonde et aventurière

II. L’Europe ou le paradis des fous

III. Histoire de deux capitalistes et d’un juriste

IV. Naufrages sur terre et sur mer

V. De Juge suprême à Capitaine rebelle

VI. L’argile, les chiques et l’Indienne

VII. Les rois des Indiens

VIII. Rencontre de l’Allemand, de l’Andalou et du muletier

IX. Folies et réjouissances en Europe

X. Le retour

XI. L’Antijove ou la grande extravagance

XII. Le Chevalier d’El Dorado

XIII. Le soleil des cerfs

XIV. Quesada et les hommes

XV. Le fils de don Quesada

Lexique

Documents annexes portant sur « Le Chevalier d’El Dorado »

Correspondance avec Stefan Zweig et Germán Arciniegas (25 novembre 1940 - 22 janvier 1942).

Entretien de Germán Arciniegas avec Abelardo Forero Benavides. Sábado, Bogotá, 21 octobre 1944. (Extraits : son amitié avec Stefan Zweig, l’effondrement du monde d’hier).


[p. 65-66 - Chapitre IV. Naufrages sur terre et sur mer]

Supposons la présence de plus de mille Espagnols à Santa Marta. Environ sept cent-cinquante à huit cents d’entre eux partiront avec Quesada. Le reste demeurera auprès du gouverneur. Les pionniers de la découverte emprunteront les uns la voie de terre, les autres la voie de mer. Ceux qui prendront la voie de terre, Jiménez de Quesada à leur tête, se frayeront un chemin à travers de nombreux marécages et obstacles jusqu’à leur arrivée sur les rives du Magdalena. Sous le commandement de Diego de Urbina, ceux qui iront par bateau navigueront en suivant la côte jusqu’à l’embouchure du Río Grande de la Magdalena. Ensuite, en remontant le courant, ils feront la jonction avec Jiménez de Quesada à Chiriguaná ou en quelque autre point.

L’expectative stimule les soldats. Santa Marta devient un atelier où tout le monde travaille. Ceux qui doivent aller par bateau passent la journée à tordre des câbles, à repriser des voiles, à armer de nouveaux brigantins, à scier d’énormes troncs, à préparer du goudron et de l’étoupe pour calfater les bateaux. Leur curiosité en éveil, les Indiens regardent avec étonnement l’activité des Blancs. Les forgerons soufflent dans des forges improvisées. On entend le bruit constant des marteaux sur l’enclume ou sur les planches en cours d’ajustage. Les cavaliers examinent leurs montures, resserrent les étrivières, cousent les sangles, matelassent de neuf les panneaux de selle. Au coin des tentes, les lances sont déjà fourbies et les capitaines prennent soin de leurs épées qu’ils veulent brillantes et scintillantes. Les Indiens corvéables, enchantés de cette vie nouvelle qu’ils ne comprennent pas et dont ils ne parviennent pas à saisir les raisons d’être, vont de la ville à la montagne et de la ville aux bateaux chargeant des troncs, des barils, des provisions. Les Espagnols vont les laisser libres et le tour d’être asservis incombera à ceux de l’intérieur. Pour ceux qui restent, le tribut sera moins dur.

Les capitaines à la disposition de Quesada sont des gens de longue tradition dans le métier des armes. Ils ont guerroyé en Europe ou accompagné d’autres découvreurs dans des voyages audacieux sur l’Atlantique. Ils ont connu des heures de grande victoire et des moments de sanglante adversité. Juan del Junco, capitaine en second de Quesada, a combattu en Hongrie et en Italie. Son état de services porte en complément qu’il a accompagné Sébastien Cabot au Río de la Plata : Junco connaît la manière dont les Rois se battent en Europe. Il sait aussi comment un grand découvreur de l’Amérique, Cabot, revient ensuite en Espagne « détruit, non tant par sa faute que par celle de ses gens ».

Parmi les autres capitaines de Quesada, il en est un, Gonzalo Suárez Rendón, qui a lutté en Italie. A la bataille de Pavie, il a vu le roi François Ier tomber prisonnier des troupes espagnoles. Il a participé au siège et à la prise de Florence. A Vienne, il a vu les Turcs, qui avaient défait l’armée de Hongrie, avancer sur l’Europe chrétienne et le personnage imposant de Soliman le Magnifique s’arrêter aux portes de la ville puis fuir en déroute sous la pression des forces allemandes et espagnoles. Ecole, comme on le comprend, qui n’a rien d’approprié pour venir maintenant commander des macheteros sur les rives du Magdalena. Mais qu’importe ?

Il ne s’agit pas de cas uniques. Tous les capitaines, porte-étendards et soldats ont leur histoire. Juan de Céspedes a fait partie en Espagne des forces royales qui ont réprimé le mouvement des communeros à Tolède. Antón de Olalla, dans sa jeunesse, a été mêlé aux guerres d’Italie. Nombreux sont les soldats qui ont lutté dans les Flandres. Ce sont des hommes que la vie militaire d’Europe a incités à venir en Amérique en quête de nouvelles et fortes émotions. Quant au capitaine, Quesada, il a été formé dans la discipline du Droit en Espagne et dans celle des Armes en Italie ; il apparaît comme une somme de toutes les expériences.

Le 6 avril 1536, Jiménez de Quesada quitte Santa Marta avec les troupes de terre : les bateaux ne sont pas encore prêts et la flotte tardera vingt-cinq jours à lever l’ancre. En tête, Gonzalo monté sur un cheval andalou. Cinq cents soldats environ le suivent.

[p. 183-184 - Chapitre XI. L’antijove ou la grande extravagance]

Année 1567. Si ce n’est lire que peut donc faire à Santa Fe du Nouveau Royaume de Grenade un lettré comme Jiménez de Quesada ? Ecrire !

Le Licencié lit et écrit. Finies les conquêtes et les aventures. Les nouveaux colonisateurs se contentent de faire travailler leurs Indiens, d’entendre couler l’eau des fleuves et aboyer les chiens. Ce n’est pas le cas du maréchal. Il a apporté de nombreux livres. Des livres qui n’ont rien à voir avec l’Amérique mais qui concernent l’Europe, celle qu’il a connue dans sa jeunesse et qu’il a revue après avoir fondé le Nouveau Royaume de Grenade : Italie, Allemagne, Autriche, France... Tout ce qui touche à Charles Quint l’intéresse. Ce n’est ni un courtisan ni un chroniqueur du Roi. Depuis Santa Fe de Bogotá, son orgueil espagnol s’amplifie à la contemplation idéaliste de son Empereur dont il exalte la grandeur. Quesada oublie que lui-même a réalisé, en Amérique, des prouesses devant lesquelles se serait pâmé le monarque peint par le Titien. L’héroïsme déployé par ses propres soldats, lors de leur marche de Santa Marta à Santa Fe, en explorant la vallée meurtrière du Magdalena, perd de sa valeur. Tout cela, qui est son œuvre personnelle, il le met de côté pour suivre pas à pas les guerres d’Italie et des Flandres, pour vivre les expéditions de l’Empereur en Autriche. Quel est donc ce conquérant qui après d’incroyables exploits sur la scène du Nouveau Monde en fait si peu de cas et les brade simplement par enthousiasme à l’égard d’un roi envers qui il n’est redevable d’aucune faveur de marque, dont il n’espère rien et à qui il ne demande rien ?

Installé au sein d’une bibliothèque qui est un motif de stupéfaction dans une terre de colonisation aussi vierge que celle de Santa Fe, avec une quantité de livres à portée de la main, supérieure à celle d’un moine dans un couvent, livres de langue française, italienne, espagnole, latine, chaque fois que son regard rencontre un récit quelconque soit en italien soit en français, dans lequel l’ombre la plus légère se trouve jetée sur la majesté de Charles, Empereur, ou qu’il y est médit de ses armées, son indignation s’enflamme. Il a été témoin et soldat dans ces guerres, a assisté au sac de Gênes, conversé avec les ambassadeurs de l’Empereur et ne peut supporter le moindre mensonge. L’histoire de Paul Jove, évêque de Nucera, le révolte particulièrement. Il a lu cet ouvrage, d’abord en italien, et maintenant, il le lit dans une traduction espagnole. Etonnant qu’on puisse diffuser en espagnol pareille élucubration ! Comment tolérer que toute victoire à laquelle participent les Espagnols y soit rabaissée et que des Italiens fassent figure de héros alors qu’ils n’ont rien fait pour mériter quelque laurier que ce soit !

Autour de la maison du conquérant vont et viennent les commérages et les ânes, le moine, l’Auditeur, les poules, les porcs, les encomenderos. Tout être humain qui met le nez dans sa librairie, ou le regarde de loin, le considère comme un fou vénérable. Tous se doivent de le respecter parce que son allure dénote de la grandeur mais tous le plaignent parce que ceux qui s’adonnent à de nombreuses lectures, risquent d’en avoir le raisonnement perturbé. Or, à défaut de lire, que peut faire don Gonzalo Jiménez de Quesada ? Ecrire !


Extraits de presse

« En donnant à la France cette merveilleuse traduction, sensible et empreinte de toute l’émotion sud-américaine, Georges Lomné y ajoute le plus beau des cadeaux, la correspondance inédite entre Germán Arciniegas et Stefan Zweig. En effet, nous dit Georges Lomné, Stefan Zweig, d’emblée, a aimé ce livre. Il suggéra d’ailleurs son titre définitif, Le Chevalier d’El Dorado, et intervint auprès de son éditeur new-yorkais pour qu’une traduction soit faite en langue anglaise. La publication eut lieu alors même que les États-Unis entraient en guerre en décembre 1941. L’image d’un Conquistador, à la poursuite d’un mythe, ne pouvait que fasciner l’écrivain autrichien, gentilhomme du Royaume des Lettres, contraint lui-même à l’errance en terre américaine. [...]

Georges Lomné, nous rappelle que l’auteur de cet ouvrage, « Germán Arciniegas, vient d’être couronné le mois dernier à Mexico par le prix Alfonso Reyes dont les sud-américains aiment à dire qu’il s’agit de « leur prix Nobel ». A 95 ans, au terme d’une trajectoire politique et littéraire assez étonnante, il s’affirme chaque fois davantage comme une sorte « d’Ernst Jünger d’outre-Atlantique » ».

[Le Journal de l’université, Marne-la-Vallée, 9 octobre 1995]


« Un mois après avoir fait la connaissance de Germán Arciniegas, il l’informe qu’il a démarché auprès d’un éditeur new-yorkais pour qu’une traduction de son livre soit mise en chantier, mais aussi qu’il a parlé de lui à Afrania Peixoto, « le meilleur écrivain et historien en Brasil », dont il lui communique l’adresse. Dévouement fougueux, que vient tempérer une nouvelle affligeante : la mort de l’ambassadeur cubain Hernández Catá, victime d’un accident d’avion alors qu’il revenait d’une conférence où on l’avait invité sur le conseil de Zweig. Difficile pour Zweig de ne pas voir dans cet événement un avatar de la « malédiction » qu’il accusera, dans Le Monde d’hier, d’avoir causé le décès brutal de deux grands comédiens autrichiens, sur le point d’interpréter l’une de ses pièces.

Zweig s’adresse familièrement à son nouvel ami : « Mon cher Germán Arciniegas,... ». Il doit être fier de jouer à son tour le rôle du glorieux aîné, celui que jouèrent auprès de lui les Freud, Schnitzler et autres Rolland. L’enthousiasme d’Arciniegas ne démérite pas de celui dont faisait alors preuve le jeune Zweig. Dans sa réponse, l’écrivain colombien lui donne du « Cher Maître » et consacre un long paragraphe à des remerciements. Concevant sa rencontre avec Zweig comme une bénédiction, il ne s’étonne pas que le projet d’édition new-yorkaise soit en bonne voie : « Pour moi, il était évident que votre lettre ne pouvait engendrer d’autres résultats ». Zweig avait promis de faire tout son possible, et il s’y tiendra tant qu’il n’aura pas obtenu gain de cause. The Knight of El Dorado paraîtra en janvier 1942, fruit de la plus obstinée des volontés. Arciniegas lui en sera à jamais reconnaissant.

[Bulletin de l’association Stefan Zweig, mars-avril 1996, n° 8]


« Un grand livre. Certainement l’un des plus beaux textes traduits d’expression hispanique en 1995. Beau sujet. Merveilleux auteur. Rien d’étonnant à ce que Stefan Zweig ait forcé sa traduction en langue anglaise, alors même que les États-Unis entraient en guerre.

L’auteur, un jeune diplomate colombien, propose une filiation entre Don Quichotte et Don Gonzalo Jiménez de Quesada, conquistador à la poursuite du mythe d’El Dorado, cette contrée fabuleuse et imaginaire s’identifiant à l’or, laquelle donnera lieu à plusieurs quêtes, toutes infructueuses [...]

Le présent ouvrage reste comme un chef-d’œuvre de la biographie romancée, de la biographie littéraire dont l’avant-guerre connut l’âge d’or. »

[Bulletin critique du livre français, juin-juillet 1996]


« Germán Arciniegas s’était lié d’amitié avec Stephan Zweig, qui l’avait aidé à se faire éditer à New York en 1939. De là vient que leur correspondance figure en annexe à la fin de l’ouvrage. Il a fallu plus d’un demi-siècle pour que le public français puisse disposer d’une traduction dans sa langue.

Qui donc était ce « chevalier d’El Dorado » qui est le sujet de cette biographie ? Don Jiménez de Quesada, conquérant de la Nouvelle-Grenade [...] se montra tantôt aussi avide et cruel que les autres conquérants, tantôt plus clément avec les indiens. Disposant au début de moins d’un millier d’hommes, il avait réussi à donner à l’Espagne un territoire presque aussi vaste que le Mexique de Cortés. [...] Il écrit le récit de ses expéditions, bataille encore contre les indiens révoltés. [...] Le dernier chapitre rappelle les raisons pour lesquelles il est infiniment probable que notre Quesada servit à Cervantes pour son don Quichotte.

Ce récit vivant n’a rien perdu de sa valeur depuis qu’il a été écrit. Il est assorti d’un lexique utile et d’une carte ancienne.

[François Weymuller, Historiens et géographes, nov. 1996, n° 355]


« Zweig se passionna pour la théorie émise par Arciniegas selon laquelle Cervantès se serait inspiré de la vie du Conquistador de la Nouvelle-Grenade pour écrire celle du Don Quichotte. A l’époque, l’idée que Cervantès était un converso (un juif converti) commençait à se répandre. Zweig a pu percevoir dans le « Chevalier à triste figure » une sorte de transposition épique de l’archétype d’Ahasvérus, le juif errant. Mais, ce qui passionna le plus Zweig était qu’un personnage de chair ait pu l’incarner. N’avait-on pas également émis l’hypothèse que Quesada, né à Cordoue, aurait été lui aussi un converso en raison de son ascendance ? La remarque a été faite qu’à la ville qui lui servit de base pour sa conquête du Haut Magdalena il donna le nom de : La Tora. Il est malaisé, à moins de retrouver l’exemplaire du livre annoté par Zweig, de savoir si l’auteur autrichien avait relevé ce dernier élément. Sans conteste, un Conquistador qui maniait la plume à l’égal de l’épée, et qui avait résolument choisi d’être au lieu d’avoir, méritait de figurer de plein droit au panthéon des grands héros de l’Esprit. [...]

Ajoutons que Zweig avait reconnu chez Arciniegas des mérites littéraires de nature identique aux siens : « la clarté de l’exposition de la matière, la documentation exacte sans encombrement avec des détails superflus et ennuyeux, et surtout ce style animé qui vous a rendu un des maîtres incontestables de la prose espagnole d’aujourd’hui. »

[Georges Lomné, « Le renoncement à l’utopie sud-américaine », Magazine littéraire, fév. 1997, n° 351]


« Signalons un livre fabuleux d’un intellectuel récemment décédé presque centenaire, German Arciniegas, ami de Stephan Zweig. Dans Le Chevalier d’El Dorado, il raconte le choc de deux cultures à travers la folie aventureuse de Jimenez de Quesada, le fondateur de Bogotà. »

[24 heures, 24 avril 2000]

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