Accueil > Collections > Autres domaines > Essais > Amérique latine > Le monde de la belle Simonetta

Arciniegas, Germán

Le monde de la belle Simonetta

1999

vendredi 1er janvier 1999

Présenté et traduit de l’espagnol (Colombie) par Georges Lomné.

Nous entraînant dans l’univers d’ombre et de lumière de la Renaissance italienne, Germán Arciniegas fait revivre Simonetta Vespucci, parente d’Amerigo et muse de nombre de ses contemporains. On peut ainsi la contempler, émergeant de la nacre, dans la célèbre « Naissance de Vénus » de Botticelli ou sur les fresques de la chapelle Sixtine.

Sommaire

Préface de Georges Lomné

I. La Fontaine aux Amours

II. Gênes vue à travers une lanterne magique

III. À proximité du port, la rue des Grâces

IV. Simonetta proscrite

V. Paolo, aussi féroce qu’une hyène

VI. Le charme magique des Vespucci

VII. Voyage de noces

VIII. De Pierre le Goutteux à Laurent le Magnifique

IX. La corde, le poison et l’éperon d’or

X. Comment naquit Le Printemps

XI. Les Médicis amoureux

XII Reine de la Beauté

XIII. Politien amoureux

XIV. L’ultime fête

XV. Le triomphe de la mort

XVI. Julien assassiné

XVII. Botticelli amoureux

XVIII. Vénus et Mars

XIX. Simonetta au Vatican

XX. Le second balcon des pendus

XXI. La Naissance de Vénus

Remerciements

Généalogies-Chronologies


[p. 167 à 174 - Botticelli amoureux]

De tous les amoureux de Simonetta, Sandro Botticelli fut le plus lâche, le plus courageux, le plus timide, le plus résolu, le plus constant, le plus méconnu, le plus présent, le plus absent, le plus vigilant, le plus distrait, le plus silencieux, le plus hermétique, le plus expressif et, bien entendu, le plus fidèle.
Sandro Botticelli s’appelait Alessandro Filipepi. Il était le plus jeune des huit enfants de Mariano Filipepi, tanneur, dont la maison et l’atelier se trouvaient du côté du Mugnone, dans la paroisse d’Ognissanti.
Il habitait le même quartier que les Vespucci. Ils vécurent toujours en voisins : d’un côté du mur la maison des Vespucci, de l’autre côté celle des Filipepi. Parmi ceux qui, les premiers, virent Simonetta figurait Botticelli.
Il avait huit ans de plus qu’elle. Il la remarqua alors que tous l’ignoraient. Il la voyait, fugace apparition à la fenêtre, recueillie à l’église, naturelle dans la maison de Marco ou dans celle de Stagio ou de Guido Antonio...
Les Vespucci comptèrent au rang de ceux qui les premiers passèrent des commandes à Botticelli et ce fut Guido Antonio qui l’emmena à Rome.

[...]

Mariée depuis peu, Simonetta ne fit qu’une brève apparition. Elle arriva à Florence et continua sa route vers Scarperia. Sandro ne quitta pas la ville, allant et venant dans ses quartiers, dessinant et esquissant en pensée les Simonetta de ses rêves. Puis Simonetta revint. Le reste, il n’est que de le lire dans les peintures. Avant Simonetta, on relève chez Botticelli l’empreinte de Pollaiuolo dans La Force, dans le Saint-Sébastien.
L’une des premières Madones de Botticelli présente un visage identique à celui de La Force. En d’autres compositions, au-delà d’une simple influence, on arrive même à déceler la main de Lippi.
Ensuite intervient Simonetta, Simonetta comme stimulant, comme modèle, comme grâce, comme tristesse, comme déesse, comme printemps, comme sourire, comme or, comme poésie, comme musique, comme chanson, comme danse.
C’est elle qui le guide avec le rythme de ses pas, avec le geste de ses mains, avec ses regards songeurs, à proximité lorsqu’elle est en vie, à distance une fois morte. Tout cela est d’un apport bien supérieur, en matière de perfectionnement et en tant que source d’inspiration, à tout enseignement que l’on peut retirer du métier exercé dans le Studio d’un Lippi ou d’un Pollaiuolo. Il est possible que le premier portrait que Botticelli fit de Simonetta ait été peint un an après la mort de cette dernière. (Celui qu’il avait fait pour l’étendard de Julien fut plus une œuvre de couture, d’articles de nouveauté que de peinture). D’autres peintres, dans l’exécution de portraits, se placent face au modèle, immobilisent la vie des personnes qu’ils font poser devant leurs chevalets.
L’art chez Botticelli adopte une démarche inverse. Quelque peu analogue à la façon de procéder des Japonais qui esquissent mille ébauches de l’oiseau qu’ils vont peindre mais qui, au moment de reproduire définitivement ses traits sur le tableau, le peignent de mémoire, l’ont bien présent en pensée. Ils font une somme et une synthèse de mille images qui leur ont servi aussi bien pour exercer leur main que leur esprit. Ils se sont rendus maîtres de la figure dans tous ses mouvements, dans toute sa charge de vie et d’expression.
Avant de s’aventurer à la peindre sur un panneau, sur une toile, sur une fresque, Botticelli dut en imagination dessiner et colorier mille fois sa belle voisine. Même endormi, il la recréait dans ses rêves, l’entraînait flâner dans les rues en l’imaginant dans un paradis de jardins, digne de Politien. Tout, toujours, à distance. Introverti, il ne surmontait pas sa timidité pour lui adresser une parole.
Telle fut sa manière d’être dans la vie. Acceptait-il de discuter avec quelqu’un, il empruntait le détour de la plaisanterie. Vasari rapporte de fort divertissants traits d’humour que l’esprit très vif du peintre inventait pour désarmer les personnes qui voulaient le déconcerter. Autant il était incapable d’affronter une rude contradiction, autant il était raffiné dans les manifestations de son ironie. La plus grande audace de Botticelli — qui demeura célibataire, dont il n’est resté aucun souvenir qu’il ait eu une quelconque aventure avec une femme — consista à dévêtir Simonetta dans sa mémoire. Lippi, son maître, élevé dans le giron de l’Eglise, diacre, alors chapelain de Santa Margarita à Prato, s’éprit d’une nonne Lucrezia Buti, la sortit du couvent et l’emmena vivre chez lui.
Lucrezia finit, à l’instar d’autres amantes de Filippo, par être représentée en Madone. Bandello écrit dans ses Novelle que le Pape Eugène, émerveillé par les œuvres de Filippo et enclin à le favoriser, voulut, bien que ce dernier fût diacre, lui accorder une dispense l’autorisant à épouser Lucrezia, mais que « Filippo ne voulut pas s’empêtrer dans les liens du mariage, étant trop amoureux de sa liberté ». Chez les Madones de Lippi, alors qu’elles sont d’essence divine, il y a une approche humaine qui les rend accessibles. Chez les déesses de Botticelli, d’essence païenne, on trouve une courtoisie nuancée de respect, de vénération, qui les place à distance, les voile avec pudeur, même s’il les montre dans l’intégralité de leur beauté mise à nu.
Qui voit l’autoportrait de Sandro dans L’Adoration des rois Mages ne pense pas à un jeune premier conquérant mais à un bel adolescent qui nous regarde tout en se tenant en retrait.
C’était un timide avec toutes les audaces propres aux timides. Ce fut un contemplatif craintif que plus tard l’épouvante saisit lorsqu’il entendit tonner la voix de Savonarole et qui assista sans protester - et avec repentir - à l’autodafé de ses tableaux sur le bûcher public.
L’amour de Sandro pour Simonetta — adoration — est comme celui de Politien, autre distant qui s’approchait des femmes dans ses poèmes, qui parlait de Vénus non seulement pour abonder dans le sens des humanistes mais parce que la bienséance exigeait que l’on traitât la femme comme une déesse. Politien, le malheureux, chaque fois qu’il voulut passer de ce commerce imaginaire à une approche virile, vacilla, tomba à genoux, le paya cher, mis à mal par des êtres qui lui étaient inférieurs en d’autres domaines.
Des amours de Politien il ne nous reste que le récit de ses échecs et la gloire de sa poésie. Il est possible que Sandro n’eût même pas osé encourir le risque d’un échec. Dans son autoportrait il y a aussi de l’orgueil. Au cours de son enfance, il avait été choyé mais il n’en sortait pas aveuli. Son orgueil était légitime et il se rendit compte que dans ses mains la beauté se révélait intacte sans perdre son éternité.


Extraits de presse

« Un titre vaguement obscur ? Non pour qui voit la couverture du livre. Elle comporte un détail du tableau de Botticelli la Naissance de Vénus. Dès lors, il devient évident que la belle Simonetta fut l’inspiratrice du peintre, au sein de ce monde du Quattrocento à Florence, dans une république où l’avidité et la cruauté tissaient une effroyable toile de fond. Germán Arciniegas, né en 1900, a publié en 1955 la biographie d’un illustre Florentin, Amerigo Vespucci. L’ouvrage fait toujours autorité. Il a consacré ensuite de patientes et méticuleuses recherches, lors de son ambassade à Rome en particulier, pour retrouver Simonetta, originaire de Gênes. Mariée à dix-sept ans à Marco Vespucci, un cousin d’Amerigo, elle était entrée, auréolée de sa beauté, dans un cercle magique à Florence. Ghirlandajo fit son portrait pour un groupe destiné à l’autel d’une église. Politien écrivit d’émouvants poèmes qui parlent d’elle. Botticelli, avant de la voir en Vénus, fit d’elle l’incarnation du printemps.

Il est impressionnant de suivre pas à pas la fragile jeune femme, « reine de la beauté », qui mourut à vingt-trois ans. Auprès des siens, à ses obsèques, se pressaient, outre Ghirlandajo et Botticelli, d’autres artistes, Lippi, Léonard de Vinci. Cet ouvrage est enfin disponible en français. Il permet de mieux connaître les événements d’une période foisonnante de fêtes et d’assassinats, de poésie et de drames, de réjouissances frénétiques et de vengeances redoutables, au cours de laquelle la vie était d’autant plus intense qu’elle était si brève, tandis que perdurait le visage éphémère d’une jeune femme énigmatique. »

[Bulletin critique du livre français, n° 609, juin 1999]


« L’auteur est plus que passionné par cette presque inconnue. Il nous livre une magnifique démonstration de la genèse des œuvres qui la concernent. On peut isoler les pages sur la signification du Printemps : c’est admirable. Autant sur les stances de Politien, les poèmes de Laurent de Médicis le Magnifique (et la traduction française est joliment tournée). Il voit en elle la Gloire du Quattrocento, une civilisation raffinée, ardente, prospère, orgueilleuse, démonstrative, apte à s’approprier le savoir de l’Antiquité, à opérer la symbiose du sacré et du profane, de l’intellectuel et du labeur pratique. Pour le lecteur qui n’a, face à lui, que du papier et des caractères d’imprimerie, il entend recréer la splendeur de la Toscane, le charme des couleurs, des formes, la légèreté de l’air, l’universalité de la Beauté, dans un style tout en rondeurs qui rappelle parfois les lettres de Mme de Sévigné.

S’agit-il d’un historien ? Oui, car G. Arciniegas s’appuie sur des sources, les peintures, les poèmes, les archives, notamment les lettres de cette famille Vespucci, à laquelle il a consacré sa carrière. D’un esprit critique ? Certes oui, et très cultivé. Ainsi, s’explique-t-il la retenue un peu triste de Simonetta par son désir de se prémunir de ce monde impétueux, violent, calculateur et cruel dans lequel elle évolue. L’auteur ne nous cache pas les retournements de destin de la famille génoise de Simonetta Cattaneo, son exil à Piombino ; son mariage avec Marco, le fils atone de Piero Vespucci, l’ombre portée des Médicis, avec tous les problèmes que cela implique. Face aux intrigues, Simonetta incarne la Vérité. Quelle difficulté !

Aussi, de son vivant, et après sa mort, devient-elle un mythe, grâce à sa beauté, et surtout grâce à cette image idéale qu’elle a représentée pour des esprits rationnels qui avaient aussi soif de sentiments. Elle a vécu des fêtes, mais aussi des incertitudes, trop peu pour en être blessée.

[J. Labarthie, Historiens et géographes, n° 369 février 2001]

Portfolio