Accueil > Collections > Théâtre > Théâtre contemporain > Crises de mer

Tostain, Christophe

Crises de mer

2011

samedi 15 janvier 2011

Suzie et Micka, la mère et le fils, habitent la Cité Blanche, en bordure de mer.

Suzie partage son temps entre son travail d’employée et la lecture dans laquelle elle enfouit sa solitude et ses rêves du passé, celui d’avant la fermeture de l’Usine, quand son mari était encore là.

Micka, lui, va de petits boulots en petits boulots, désoeuvré, désemparé devant ce que l’on semble attendre de lui. Il veut goûter à une autre vie, celle qu’il aperçoit à l’autre bout du pont, dans la ville d’à côté, où miroitent les lumières du casino, des machines à sous, de l’argent qui circule…

La pièce est écrite et créée dans le cadre du projet Itinérances proposé par Eric Louviot, directeur du Tanit théâtre à Lisieux (14) à quatre auteurs : outre Christophe Tostain, Bruno Allain, Eugène Durif, Serge Valletti.

SUZIE. - Mon fils et moi

MICKA. - avec la mère

SUZIE. - nous habitons ici

MICKA. - en bord de mer

SUZIE. - depuis des années

MICKA. - des éternités

SUZIE. - il y est né

MICKA. - elle y est née

SUZIE. - son père y est né

MICKA. - le père y est mort

SUZIE. - sa sœur y est née

MICKA. - la sœur s’est barrée

SUZIE. - grands-pères et grands-mères y sont nés

MICKA. - les ancêtres sans doute aussi

SUZIE. - non les ancêtres n’y sont pas nés

MICKA. - y sont pourtant enterrés
oubliés

SUZIE. - ils avaient quitté leur région

MICKA. - toute une colonie

SUZIE. - ils avaient quitté la faim la misère

MICKA. - après la guerre

SUZIE. - la première

MICKA. - et par charrettes entières ont débarqué ici

SUZIE. - pour vivre ici

MICKA. - d’abord pour travailler ici

SUZIE. - Mon fils et moi

MICKA. - avec la mère

SUZIE. - nous habitons
à Dives sur mer

MICKA. - une maison
petite

SUZIE. - une maison

MICKA. - une maison
petite et grise

SUZIE. - dans la Cité Blanche

MICKA. - n’avons jamais déménagé

SUZIE. - construite par l’Usine après la guerre
pour les familles des ouvriers

MICKA. - la première et la dernière.

SUZIE. - Quand tu étais petit, tu avais voulu partir à l’aventure,
découvrir le monde en arpentant la cité.

MICKA. - Me souviens pas.

SUZIE. - Au bout de quelques rues tu t’étais perdu,
incapable de retrouver la maison.

MICKA. - Ici,
dans la cité,
toutes les maisons se ressemblent.

SUZIE. - On t’a retrouvé rue des Escalettes.

MICKA. - Me souviens pas te dis !

SUZIE. - Les yeux en miettes,
tu pleurais comme un nuage normand.

MICKA. - Hier le ciel était bas,

SUZIE. - Le voisin t’avait retrouvé,

MICKA. - lourd et laiteux.

SUZIE. - t’avait ramené.

MICKA. - Aujourd’hui pas mieux,

SUZIE. - Une bonne occasion pour rire,
boire un café.

MICKA. - l’horizon est incertain.
Va pleuvoir.
M’en vais.

SUZIE. - Tu vas où ?

MICKA. - Faire un tour.

SUZIE. - Elle s’appelle comment ?

MICKA. - Déprime.

SUZIE. - Tu rentres à quelle heure ?

MICKA. - A marée basse.

Une bise légère emporte les mots par la fenêtre ouverte,
survole la cité blanche,
caresse l’échine des dunes,
pousse chaque grain de sable vers l’eau,
embrasse la mer ridée de vaguelettes naissantes,
aussitôt mourantes.
Le temps s’immobilise.
Ce pourrait être dimanche avec ses heures infinies.

(...)

MICKA. - C’est ce soir.
C’est décidé.
Changement de quartier.
Vais de l’autre côté.
Fini de rêver. Passe à l’acte.
Ouais. M’en fous des commentaires.
Peux faire comme les autres.
Suffit de traverser le pont.
Et le paradis ; c’est la première à droite.
Fait trop longtemps que l’envie démange.
Trop longtemps.
Autant tout tenter.
Pas besoin de travailler. Et pas envie.
Et si c’est pour finir à la rue. Niet !
On n’a qu’une vie.
Le boulot tue. En est convaincu.
En ai trop vu mal finir. Descente puis carpette.
Alors voilà. Moi maintenant ; vais vivre en m’amusant.
Pôle emploi
offre d’emploi,
retour à l’emploi,
projet personnalisé d’accès à l’emploi,
stage d’insertion,
formation,
cellule de reclassement ;
Tciao ! Bye bye ! VOUS EMMERDE !
Pas besoin de vous.
Avanti et basta la miseria !
C’est ce soir. C’est décidé.
Trois, deux, un, GO ! GO ! GO !
Ca m’excite putain !
Ca m’excite bien !
Vais leur en faire voir aux autres !
Qui nous regarde souvent de travers.
Parce qu’on est de l’autre côté du pont.
Micka de Dives sera Micka de la Côte !
Micka the Star ! Micka the King of the Sea !

SUZIE. - Micka ! Courrier !

MICKA. - C’est qui ? Ouvre !
Micka the winner !

SUZIE. - Pôle emploi !

MICKA. - Encore ! The fighter ! Lis !

SUZIE. - Bonne nouvelle.
Ils te proposent un entretien pour un CDD de trois mois renouvelable chez HOWMET.

MICKA. - Quand ?

SUZIE. - Le 26 à 9h00.

MICKA. - Peux pas y aller.

SUZIE. - Pourquoi ?

MICKA. - Un truc de prévu.

SUZIE. - Tu as quoi de prévu ?

MICKA. - Un truc.

SUZIE. - Quoi un truc ?

MICKA. - Un truc putain.
Peux pas le 26. Point.

SUZIE. - Tu peux me dire.

MICKA. - Pourquoi ?
Pas parce qu’on vit sous le même toit qu’il faut tout se dire.

SUZIE. - Je suis ta mère quand même.

MICKA. - Sans blague !

SUZIE. - Si tu n’y vas pas tu vas avoir des problèmes.

MICKA. - Verra bien.

SUZIE. - Ils vont te supprimer tes indemnités.

MICKA. - Mais non.

SUZIE. - C’est écrit noir sur blanc : « en cas d’absence injustifiée, nous nous verrons dans l’obligation

MICKA. - Toujours la même chanson.

SUZIE. - de vous radier de nos services. »

MICKA. - Des menaces te dis.


Extraits de presse

« Christophe Tostain, auteur, comédien et metteur en scène, prend aux tripes avec un texte sombre dont les fêlures laissent heureusement pénétrer la lumière et l’humour. La chronique sociale est son moteur artistique.

Laurent Bénichou, fouilleur averti, s’en saisit merveilleusement et échappe à tout misérabilisme. »

[Iuliana Salzani-Cantor, DNA région, 23 mai 2014]


« Laurent Bénichou respecte l’écriture nerveuse de l’auteur, faisant alterner dialogues bruts, monologues et didascalies.

(…) Sur le plateau nu, habillé par des jeux de transparences et de lumières (matérialisant la présence de la mer et la possibilité de s’y noyer…), il y a une porte de sortie… »

[Emmanuel Dosda, magazine Poly,n °167, mai 2014]


« Broyés par l’horreur économique néolibérale, Suzie et Micka sont à la dérive. Leurs destins balayés par des vents contraires qui s’abattent aussi sur leur cité de Dives-sur-merc ? Mère et fils aux solitudes dissemblables, aux souvenirs et désirs antagonistes, piégés par un présent impécunieux.

(…) Laurent Bénichou crée à partir de la force poétique des rêves et des fantasmes des personnages un espace transparent et de libertés. »

[VEP, DNA reflets, 23 mais 2014]


« Christophe Tostain confronte deux générations face au naufrage de l’industrie ouvrière, dans une langue minutieuse et poétique. »

[Eric Louviot, metteur en scène, Tanit Théâtre]


« Sur fond de crise industrielle, deux générations se confrontent. La poésie de l’auteur sublime l’émotion suscitée par ses protagonistes et rend leur combat plus émouvant encore. »

[L’avant-scène théâtre, n°1307, 1er septembre 2011]


« Comment deux générations font face au naufrage de l’industrie ouvrière ? C’est le sujet de la pièce Crises de mer, avec toute la subtilité et la poésie de son auteur. »
[Caen et agglomération - Sortir, septembre 2011]


« Suzy et Micka se parlent, se frottent : elle, vit dans les souvenirs heureux d’une vie ouvrière digne, fait de solidarité et de luttes, lui est de la génération d’après les fermetures et de l’argent roi, il ne croit plus à tout ça, ne veut plus jouer le jeu. Si le travail n’a plus la place qu’il avait dans les vies, à qui la faute ? semble nous dire Christophe Tostain.

Le dialogue, quotidien, minimaliste, empreint de non-dits, est écrit dans une langue qui recherche l’authentique. Écrites dans une langue poétique, presque précieuse parfois, les didascalies paysagères peignant la mer, ponctuent les conversations de Suzy et Micka : comme chez les Romantiques, la nature exprime avec force les sentiments.

(…) Ce théâtre-vérité touchera les grands adolescents par cet effet de miroir social, mais aussi parce qu’ils y retrouveront les liens d’une Mère et d’un Fils, qui tentent de s’épargner l’un l’autre. »

[Annie Quenet, Griffon, mars-avril 2012]

Vie du texte

Création dans une mise en scène de François-Xavier Malingre avec Arnaud Aubert et Elisabeth Tual, au Tanit Théâtre, Lisieux, en 2010.

Tournée de création 2011-2012
— Tanit Théâtre, Lisieux, 4 février
— Théâtre du champ exquis, Blainville (14), 7 et 8 février
— Maromme (76), 10 février
— Théâtre de la Renaissance, Mondeville (14), 15 et 16 février
— Coquainville (14), 18 février
— Argences (14), 3 novembre
— Thury-Harcourt (14), 4 novembre
— Évrecy (14), 5 novembre
— Le Molay-Littry, 8 novembre
— Douvres-la-Délivrande, 9 novembre
— Aunay-sur-Odon, 15 novembre
— Saint-André-sur-Orne, 18 novembre
— Théâtre de Lisieux, 2 février 2012


Pièce sélectionnée pour le Prix de la pièce jeune public 2011 pour les élèves de 3è/Seconde organisé par la Bibliothèque Armand Gatti/Orphéon à La Seyne-sur-mer (83).


Nouvelle création par la compagnie Plume d’éléphant, dans une mise en scène de Laurent Bénichou, avec Catherine Javaloyès, Aurélien Labruyère, Kristine Groutsch, TAPS Gare-Laiterie (Strasbourg), du 20 au 24 mai 2014.

Tournée 2016
— La Maison du Théâtre, Théâtre du Tambourin, Strasbourg, du 12 au 16 mars

Portfolio