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Checchetto, Rémi

Kong melencholia

2011

mardi 24 mai 2011

Le voyage de Kong va de la vie à la mort en passant par la femme et les hommes, par les baobabs et les buildings. Kong sur l’île du Crâne et dans New York, avec tyrannosaure et melencholia qui est une dynamite qui fonce vers lui.

Nous le voyons, voyons en lui, l’entendons, entendons tout ce que ne peut articuler son cri, l’accompagnons, lui parlons en levant la tête vers lui et vers le ciel où passent les oiseaux dont les chants sont écrits à la plume et où passent les grands avions qui parfois heurtent les hautes tours.

Nous marchons avec lui, l’accompagnons tellement que nous allons en lui, vivons en ses 25 000 kilos de chair et d’âme, de griffes et de cœur.

Et nous lançons une supplique à Kong, un chant pour tenter d’apaiser sa douleur, des mots en lieu et place de ce que ne peut dire Kong, des phrases qui aimeraient faire barrage à l’inévitable qui est en route en Kong.

Formulons une adresse à travers la jungle de la vie, des questions pour essayer de changer le cours du destin de Kong. Et des rêves pour tenter de contrer le cauchemar.

Et lorsque Kong n’est plus là, nous voudrions l’entendre encore, nous aimerions le questionner et savoir et comprendre, toujours le tenir par la main… C’est qu’il est aussi une femme debout devant un lac d’hiver, un homme assis au fond d’une cabine téléphonique, celle et celui dont soudainement la vie toute entière recule d’un pas qui est tous les pas…

Kong
marche tout le long d’une nudité
fréquente la solitude
en fait un vaste usage
Kong est celui qui marche et parle
est celui qui parlant n’affirme pas
mais s’interroge :
cette aventure solitaire le long des dépouillements
est-elle vraiment agissante sur le monde ?
suis-je celui qui apprend ou celui qui transmet ?
celui qui reçoit ou celui qui donne ?
outre ceci
suis-je vraiment cela ?
ne vais-je pas apprendre de moi-même ?
n’ai-je pas un dépôt de dynamite à l’intérieur de moi comme quelques-uns de nous tous ?
il dit ceci
nous l’entendons
le disons aussi
aussi nous interrogeons

Kong ?

Kong
non pas né des orages
ni des carnages
Kong
non pas sorti des pénuries
ni des infamies
surtout pas parvenu
d’une petite statue en mie de pain
sortie des mains du cinéaste américain, Willis O’Brien, pionnier des effets spéciaux, durant une pause dans le bureau de l’architecte principal de l’exposition universelle de San Francisco, 1915
Kong
du printemps
sorti du printemps
un oiseau est venu se poser bien debout et vertical sur mon nez
pas un colibri d’Hollywood
pas le pivert des cartoons
un vrai oiseau avec son chant écrit à la plume
avec ses plumes dessinées de la main de Dieu

Kong
né au lieu dit
de l’île du Crâne
en araméen, gulgota, crâne
en grec, golgotha, calvaire

Kong qui passe prime jeunesse dans la forêt des premiers âges du monde
où les arbres sont rois
où l’air chaud, épais, nonchalant laisse à peine passer un soleil dont les morceaux ne sont d’aucune joie
Kong grandit sous ce triste soleil
dans la cohue des branches et des roches
dans la confusion d’un monde où garder le nord est impossible
où sans cesse on se bute aux obstacles
où toujours et partout des brumes douces et serviables proposent de prendre par la main et de mener très loin
où toujours des falaises à descendre ou à gravir
à croire qu’avancer encore est maintenant impossible
à croire que quelques sorcelleries agissent et sont néfastes
sorcelleries du dehors
ou du dedans de soi ?

Kong qui connaît par l’ongle et la dent l’écorce du baobab
connaît par cœur la faiblesse de la branche du baobab
Kong qui connaît par l’ongle et la dent le tyrannosaure, le coelurus, le ceratosaurus, le mononycus
connaît par cœur la faiblesse de la mâchoire inférieure du tyrannosaure, la faiblesse du cou du coelurus, la faiblesse de combat du ceratosaurus et du mononycus
Kong qui connaît par l’œil les dessous de la star made in Hollywood Fay Wray alias Jessica Lange alias Ann Darrow
Kong qui connaît toutes les fenêtres et tous les appuis de fenêtre de l’Empire State Building made in New York 1931, 381 mètres, 102 étages
Kong qui connaît toutes les fenêtres et tous les appuis de fenêtre de World Trade Center made in New York 1973, 4 avril, 417 mètres, à ses niveaux 5, 7 et 8 plusieurs réservoirs de 1041 litres d’essence pour les générateurs, un réservoir de 22 700 litres aux niveaux 2 et 3, au rez-de-chaussée un réservoir de 22 700 litres et deux de 45 425 litres

Kong est vivant
vit dans la majesté de la forêt où les branches ploient sous une foule d’oiseaux fous
vit dans la férocité des hier de la nuit des temps
vit dans le plus simple appareil de ses poils
dans le plus simple appareil de son âme
vit sans avoir aucune racine à ses yeux et à ses oreilles
aveugle et sourd de passé
vit sans se demander pour l’heure d’où lui viennent ses sentiments
sans se demander si l’océan est un fleuve circulaire pareil au serpent quand il dort
mais serpent tout de même par où arrivent tant de dangers
vit sans se demander si on mange l’âme du tyrannosaure en même temps que sa chair
sans pour le moment voir qu’il est déjà passé ici alors que les pas de sa tête étaient plus légers
vis, Kong, vis
sans pour l’heure te poser les questions qui harponnent et happent


Extraits de presse

« Entre poème et texte choral, Kong melencholia se présente comme un récit à une ou à plusieurs voix, jamais différenciées, et à la limite du théâtre. Celui qui parle raconte, commente, s’interroge mais il s’adresse aussi de temps en temps à Kong et aux différents protagonistes du film (Anne Darrow la belle, Jack Driscoll le marin ou Carl Denham). Et on peut imaginer qu’il s’agit bien alors d’une parole théâtrale.

Le texte de Remi Chechetto, comme le film original, exerce une étrange séduction et tisse avec habileté tout un faisceau de questions autour des thèmes du film : la force de la liberté, la beauté de la vie sauvage opposées à la puissance aveugle de l’impérialisme américain, la curieuse relation érotique entre Kong et Anne Darrow... Et la question de la vie se heurte à la melencholia qui cherche à la détruire.

[Comité de lecture du Panta Théâtre, mars 2012]


« Tel un voyage initiatique, nous suivons Kong partout où il va.
Au fil des pages, il traverse les océans et les siècles, mais qui est-il vraiment ? Il est l’homme mais aussi la femme et la nature… en somme, il est l’évolution du monde.
Un monde sans cesse en branle, en quête de savoir, à la fois fragile et invincible. Un monde qui finit par s’écrouler un certain 11 septembre 2001 et qu’il faudra désormais reconstruire et réapprivoiser. »
[L’avant-scène théâtre, n° 1311-1312, novembre 2011]

Vie du texte

Lecture-spectacle sous forme de voyage rythmique et musical par Béla Czuppon, compagnie Les perles de verre, avec Patrice Soletti (musique), La Baignoire, Montpellier, 27 et 28 mars 2013.


Création par le Théâtre Folavril, dans une mise en scène de Patrick Séraudie, création musicale d’Olivier Brousse, avec Antoine Bersoux, Toulouse, du 20 au 24 janvier 2015.
Puis les 26 et 27 novembre 2015.

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