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Rengade, Claire
Buggation
2014
dimanche 23 mars 2014
Buggation, c’est la naissance du monde, depuis Cro-Magnon ou Geppetto jusqu’à celui qui est en nous ou dans lequel on vit. C’est aussi le monde virtuel qui parait parfois plus vrai.
Tandis que le soleil se lève et se couche, et se lève et se couche, que la nature a la tête à l’envers, comment grandir ? comment ensemble créer la vie.
Un texte tout en images et mélodies.
Notes d’intention de l’auteur
Il y a longtemps que je voulais écrire Buggation, écrire un texte qui puisse rendre compte poétiquement de mon ressenti des mondes de mes enfants, toujours à la frontière du réel, les mains dans l’écran. Et comment, au jour le jour, on s’apprend nos géographies.
Puis un de mes fils, alors âgé de 10 ans, s’exclame, alors que nous traversions à pied un haut plateau de Lozère « c’est beau maman, je me sens libre, c’est comme dans Mine Craft ! ». C’est la « sensation » de cette phrase qui m’a déclenché cette l’écriture qui navigue entre l’origine de tout et les machines à remonter le temps, dissertant des craintes de toutes sortes, de la question de dieu à celle du climat, et qui est où, et quel âge on a.
Pour la première fois, les enfants ont un savoir que leurs parents n’ont pas, et les parents n’ont aucune référence dans leur propre vécu de ce que chahute cette histoire-là, à vivre ensemble mode Crusoé.
L’écriture
Ce qui me tient pour l’écriture théâtrale, le moteur de tout mon travail, c’est que le texte soit « parlé », grammairé à portée de voix ; je souhaite écrire non pas un texte « pour » la jeunesse, mais un texte « dit des enfants ». Je passe beaucoup de temps à écouter les petits-grands pour que le texte soit dans un fonctionnement de parole, dans un imaginaire de jeu, où les choses se poétisent dans l’immédiat, vont vite, se modifient à vue.
L’histoire
Buggation commence comme un roman policier : la tête dans la lampe, kaferbo est interrogé, sur le monde, l’univers, et comment le nommer. Il parle ensuite de sa naissance, comme il peut s’en rappeler, et avec eux des autres enfants (Pel et Mel). Ils décident d’atterrir sur ce monde du début, cet univers de rien, d’avant tout le monde.
L’action exploratoire se déplie en rencontres : on croise Geppetto, un sculpteur de tout, des natifs du temps d’avant et des nés y’a moins longtemps, Dieu sera de la partie, sans oublier le cromagnon, ou le jardin des parents plantés là. Tous évoluent dans un monde qui se virtualise petit à petit, s’équipe en nouvelles technologies, jusqu’à la fameuse « buggation »… mais on ne sait plus si ça se passe en vrai ou pas.
avec
Kaferbo, ainsi nommé rapidement
Pel, n’importe quel enfant
Mel, princesse et diseuse de climat
Geppetto, sculpteur de tout
Le natif du temps d’avant, vieux déterré
Le né y a moins longtemps, terreux aussi
Une dame vieille
Les parents plantés là
Le cromagnon
L’horizon
Les gens
Séquence 9 et début séquence10
ils apparaissent tout seuls
tu les vois pareils et pas pareils la seconde suivante
c’est pas stable c’est comme les gens
Pel
j’ai une idée
kaferbo
c’est pas une mauvaise idée ça
Mel
qu’est-ce que tu fais ?
Pel
j’appuie sur des boutons
si t’as des télés dans le cerveau
ton idée elle peut voyager jusqu’au cerveau
Mel
juste si elle vient dans mon cerveau et après elle sait
Pel
j’ai mis un câble pour si jamais
pour si y’a plus de connexion
j’appuie sur un bouton pour mettre de l’amorce
et après moi je peux dire que la machine
elle peut bien arriver à démarrer
kaferbo
faut un code secret ?
Pel
non les codes secrets on les a oubliés
kaferbo
j’ai rien entendu j’ai dit
Pel
les mots de passe et les codes secrets je vais plutôt éviter parce que si on les oublie
Mel
la mémoire c’est des ruines ruines ruines et à un moment ça risque de tomber
kaferbo
où t’as mis la clé ?
Mel
la clé je crois que là
kaferbo
Tu crois ou t’es sûre ?
Mel
je n’en suis pas sûre
Pel
la peau s’ouvre t’appuies sur un bouton elle pivote la peau
kaferbo
c’est ça
Pel
et dans ta tête t’as un bouton
Mel
si ça marche
Pel
si ça marche pas t’as une sortie de secours les insorticides t’auras des boutons
et t’auras des douches qui se déclenchent
c’est les inspectateurs extincteurs
avec une vitre qu’il faut casser avec un marteau
et ça fait déclencher des douches avec de l’eau s’il y a le feu
Mel
y’a d’autres accidents je veux garder ma tête au cas où il y ait des choses
on a raconté les tempêtes les tremblements
silence
on n’a qu’à faire trois boutons on fait futur passé présent
et sur le clavier on tapote sur les touches et on dit à quel temps faut retourner
ils le disent mais doucement
Pel
je me promène dans la forêt et quand je vais à la maison je vois un cromagnon
il est sorti d’un œuf on le dirait
tombé
de l’œuf que tu as ramené
pour les sauver de l’extinction
tout ce qu’il dit est vrai
Kaferbo jouera le cromagnon mais on ne le sait pas tout de suite
il me fait peur donc je vais vite dans la maison
dans mon futur plein de maisons avec plein de gens des robots
les robots n’arrêtent pas de tourner en rond
je suis dans ma maison sur ma planète une autre
et je regarde le cromagnon
vert gros yeux jaunes il mange des pattes de granouilles
Mel laisse pousser ses cheveux
le cromagnon
je peux pas te dire tout ce que j’aime parce qu’il y en a beaucoup
les pommes les noix les noix de cajou
ça fait longtemps qu’on n’en a pas mangé
les camions les voitures les poissons
l’horizon
ramez ramez ramez ramez
le cromagnon en écho
le saumon le saumon le saumon
j’adore quelque chose d’autre mais il faut que je m’en rappelle
tu veux ma pomme que je n’ai pas croqué dedans ?
l’œuf dans ses mains on dirait le crâne de quelqu’un tu sais comme Hamlet
la princesse
c’est quoi cet œuf ?
Kaferbo
c’est pas un œuf c’est la pensée
la princesse
et l’œil à côté ?
le cromagnon
tu vois un œil là ?
la princesse
il est pâle on est obligé d’approcher très très près pour le voir on est obligé de faire un effort pour voir
le cromagnon
Là c’est moi qui vais à la naissance
Je suis un dragon craché
oui c’est ce qu’a dit ma mère à ce qu’il paraît je suis né comme ça
comme un bébé de zéro mois
un bébé de nuit des temps
il me faut une terre exprès ma mère elle dit quand elle me voit
on est dans les années 1
dans les années zéro voilà
quand la terre n’existait pas
quand y’avait rien dans tout le monde
et même pas d’étoile et même pas d’univers
quand rien n’existait
pas de soldats pas de touristes
pas de première guerre
quand on n’était pas le monde
pas de gaulois pas de terroristes
quand la terre n’existait pas c’était encore plus vieux
y’avait même pas un morceau de terre
parce la terre c’est vieux
le vieux t’arrives pas à le parler tu le comprends mais t’arrives pas à le parler correctement
les parents poussent
10
chœur des parents plantés
– on attend hein ?
– oui c’est long
tout le monde attend
– on est bien on est dans une salle
climatisée tout
– ah c’est long
– tout comme les étoiles qu’on voit qui sont déjà éteintes
– ça naît ça meurt ça naît ça meurt on le voit dans l’horizon qui part
– tout le temps y’en a un qui veut naître on attend tous devant
– ça finit jamais
– pourquoi donc faire venir un produit de fin du monde alors qu’on l’a ici ?
– d’autant qu’il y a d’autres choses qui vont se rajouter
la princesse
c’est que selon ce que le livre explique on lui a offert de dormir profondément et on lui a enlevé une côté pour qu’il y ait la dame dedans
les parents continuent à pousser pousser
– c’est un cinéma
– on est salés hein jusqu’au bout
– on peut se rattraper mais faut sortir du coup
– faut sortir
– criez
– moi je crois ce qui est crié
(...)
Extraits de presse
« Buggation est un retour aux origines du monde vu à travers le regard et la pensée d’enfants, au gré de leurs rencontres et des questionnements produits en eux.
Claire Rengade y mêle éléments du réel et mondes imaginaires, purement poétique ou échappés d’une réalité virtuelle dominée par les nouvelles technologies.
Retour aux origines du monde et science-fiction s’y mêlent avec un grand plaisir du jeu sur les mots et les usages du langage. »
[Tiphaine Le Roy, Le Piccolo, n°45, octobre 2014]
« L’énoncé des personnages se déclinent comme un poème à la Prévert. (…)
C’est comme une même voix qui s’exprime avec plusieurs bouches.
Cette auteure a un style. Un vrai. Qui n’appartient qu’à elle. Un peu compliqué à dire de temps à autre, mais là encore ce n’est pas grave. Car il est sincère, original, en adéquation avec son propos. »
[Association Beaumarchais, 26 septembre 2013]
« Des paroles qui deviennent des textes, des musiques qui parlent, une écriture toujours en mouvement… Claire Rengade ne cesse de jouer avec le son, l’écriture et la parole.
Un récit initiatique, qui commence un roman policier. Buggation, c’est l’histoire de la naissance du monde, qui mêle éléments du réel et mondes imaginaires. Le tout, à travers des yeux d’enfant. »
[ELLE, 31 décembre 2014]
