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Lindberg, Rasmus

Habiter le temps

2020

mercredi 4 novembre 2020

Dans une maison de famille, trois histoires, situées à trois époques différentes (1913, 1968, aujourd’hui), tissent le récit d’une saga familiale. Un évènement dramatique qui s’est produit en 1913 a ainsi des conséquences sur les générations suivantes.

Ces trois couples dont les destins se font écho dialoguent à travers le temps de façon sensorielle révélant leurs blessures, leur incapacité à vivre, leur culpabilité. Les mensonges des uns se répercutent sur ceux des autres et, comme dans un chœur polyphonique, chacun exprime son désarroi. Les répliques se croisent pour façonner un thriller psychologique où chacun donne progressivement à entendre sa propre version de la réalité.

Comme dans tous les textes de Rasmus Lindberg, le temps et la question existentielle sont au cœur du processus d’écriture. Ici, la pièce pose une question essentielle : Qu’est-ce qui détermine et influence un individu ? De quoi est faite cette mémoire, consciente ou inconsciente, qui se transmet de génération en génération ? Quelle part prend-elle dans la constitution de notre personnalité et dans nos choix ?

PERSONNAGES

— 1913
KRISTIN
ERIK

— 1968
STEFAN
CAROLINE

— Aujourd’hui
MYRIAM
HANNELE

La pièce se déroule dans une maison de famille à trois époques en même temps.


Acte I, SCENE 3

Le temps présent. Hannele entre. Elle parle avec une amie au téléphone. Myriam la suit, de gros cartons de déménagement dans les bras.

HANNELE.- Ouais ! Bien fait pour lui ! Juste pouh, tu vois ! Et lui genre « Aaargh, qu’est-ce qui te prend ! »

ERIK.- Qu’est-ce qui te prend, Kristin ?

HANNELE.- Et nous genre « ha-ha-ha » ! Et Tess, elle… (s’interrompt et regarde autour d’elle)

KRISTIN.- Je les trouverai, même si je dois fouiller dans toute la maison. (elle sort)

HANNELE.- Wouah la maison ! Incroyable !

ERIK.- Tu es incroyable ! Reste ici !

KRISTIN.- Change de chemise !

HANNELE.- Quoi ? Nan, en fait j’accompagne Myriam dans la maison de ses parents, la maison de campagne, la maison de famille quoi, enfin bref, parce que sa mère est morte et, oh merde ! Pardon ! Fallait pas que j’en parle ! Pardon, pardon, pardon ! T’as rien entendu, on n’est pas ici, y a pas de maison, personne n’est mort ! À la place on fait une échographie pour voir si le bébé se porte bien et d’ailleurs c’est le cas, je te montrerai les photos après, du coup je boirai pas ce week-end, quoi, t’as dit quoi ?

MYRIAM.- Hannele ?

ERIK.- Kristin !

HANNELE.- Ah bon ? Qui vient ? Ou plutôt : qui ne vient pas ? Ah, ok, alors on vient. Myriam et moi on adore ce qu’elle fait, pas vrai Mimi ! T’es d’accord pour qu’on aille au vernissage vendredi ? Dis oui !

MYRIAM.- Mm. Tu peux-

HANNELE.- Ok, on sera là ! Mimi paiera, bien sûr, mais là elle me jette le mauvais œil donc faut que je raccroche ! Juste pour finir : après lui avoir balancé sa bière à la figure, Tess lui a dit « C’est bon, t’as compris ? Je suis pas bisexuelle ! », ce qui est hyper bizarre parce que moi je crois quand même qu’elle l’est !

MYRIAM.- Hannele, tu peux venir m’aider ?

HANNELE.- C’est vrai ? Faudra que tu me racontes ! On se voit vendredi ! Salut ! Je t’envoie par sms le numéro de la carte bleue de Myriam. (Elle raccroche) Wouah ! La maison ! Incroyable !

MYRIAM.- Tu peux commencer par les livres. Là. Les cartons. Voilà.

CAROLINE(revient avec un verre d’eau et un mouchoir).- Voilà.

STEFAN.- Merci. Vous devez penser que je suis vraiment fou.

CAROLINE.- Laissez-vous du temps.

MYRIAM.- Tout ça, ça va prendre un temps fou ! Faut qu’on aille chercher d’autres cartons.

HANNELE.- Alors c’est là que ton grand-père a vécu ?

MYRIAM.- Mon grand-père Erik et ma grand-mère Kristin.

ERIK (change de chemise).- Kristin ! Cherche où tu veux mais n’entre pas dans la chambre ! J’ai une surprise pour toi à l’intérieur !

STEFAN.- Rien n’a changé. Les livres de mon père. C’est fou !

HANNELE.- C’est fou ! Ça a changé depuis l’époque où t’étais petite ?

STEFAN.- Ce tableau hideux, c’est ma mère qui l’a peint.

HANNELE.- Le tableau ! Wouah ! Mortel !

ERIK.- Kristin ! Tout va bien ? Je vais faire du thé !

HANNELE.- Il me le faut ! Je le veux ! Il est trop kitch. Je le veux ! Sérieux.

STEFAN.-Tout est à sa place.

MYRIAM.-Tout est à jeter.

HANNELE.- On pourrait l’accrocher dans l’entrée, non ?

MYRIAM.- Certainement pas. Et pourquoi t’as dit que ma mère était morte ? / Je t’avais clairement demandé de…

HANNELE.- Je sais, je sais ! Pardon, pardon.

MYRIAM.- Je trouve ça vraiment bizarre, / j’ai l’impression que tu t’en fous de…

HANNELE.- Moi je trouve ça vraiment bizarre de jamais avoir le droit d’accrocher des trucs sur les murs à la maison.

MYRIAM.- Ah bon ? C’est vrai ? Et ça t’étonne ?

CAROLINE.- Ça vous étonne que tout soit resté tel que dans vos souvenirs ?

STEFAN.-Même le berceau est toujours là.

MYRIAM.- Tu peux sortir le berceau ?

HANNELE.- Ben je sais pas. Ce berceau semble lourd et j’ai pas le droit de porter de choses lourdes parce que ça peut –

MYRIAM.- T’en es même pas au troisième mois.

HANNELE.- Et alors ? Je vais quand même pas faire des choses qui peuvent être dangereuses pour notre bébé ! C’est ça que tu veux ?

MYRIAM.- Alors pourquoi t’es là si tu peux pas m’aider ?

HANNELE.- Désolée d’avoir envie de voir ta maison d’enfance ! Et puis, je peux quand même mettre des tasses dans des cartons par exemple !

ERIK.- Les tasses sont sur la table, Kristin ! Qu’est-ce que tu fais ?

STEFAN.- Qu’est-ce que vous faites ?

CAROLINE.- J’aimerais vous prendre en photo.

HANNELE.- Et aussi ces photos encadrées !

STEFAN.- Quoi ?

HANNELE.- Ce qui me fait penser qu’il faut absolument que je te montre les photos de l’échographie, mais d’abord faut que je te raconte un truc de fou que Jonna a dit à Tess !

MYRIAM.-Mm ?

HANNELE.- Ok, assieds-toi !

CAROLINE.- Si vous vous asseyez. C’est seulement pour nous. Comme ça nous aurons un point de référence émotionnel à comparer à plus tard dans le traitement.

(...)


Extrait de presse

« Intéressante, la conception de cette pièce : elle oblige à suivre trois actions simultanément et donc à jongler avec les réparties – lesquelles ne s’opposent pas mais se complètent. (…)

Le temps stagne, se condense, éclate, on ne sait plus. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne le voit absolument pas passer. »

[Thierry Maricourt, maricourt-nordique.com, décembre 2020]


« thriller psychologique qui donne à voir le point de vue de chacun des protagonistes. »

[Tiphaine Leroy, La Scène, 1re trimestre 2021]


« Dans Habiter le temps, Lindberg convoque plusieurs générations d’une même famille, correspondant à trois époques différentes : tout d’abord, 1913 avec les grands-parents : Kristin et Erik, puis en 1968 Stefan et Caroline et enfin à notre époque, le couple lesbien de Myriam et Hannele, la demeure familiale de la petite bourgeoisie, ser¬vant de décor.

La construction en deux actes ne reprend pas comme certains pourraient s’y attendre un découpage chronologique linéaire mais de manière très subtile, élabore l’entremêlement des diverses strates temporelles parce que le passé plus ou moins lointain façonne le présent. (…)

La pièce tisse ainsi un fil tragique ; celui qui transmet aux descendants le malheur malgré tout, à partir d’une scène originelle (…)

Ainsi scène 9, les trois couples se mettent à valser ou dans deux scènes, qui précèdent la fin de la pièce (scène 30 et 31) une didascalie indique que les six personnages entrent dans le chant et forment à un moment donné une « unisson », un chœur : c’est beau, langoureux et mélancolique. »

[Marie Du Crest, Le Littéraire.com, 20 mars 2021]

Vie du texte

Création dans une mise en scène de Michel Didym, avec Eric Berger, Irène Jacob, Jérôme Kircher, Hana Sofia Lopes, Catherine Matisse, Julie Pilod, CDN-Théâtre de la Manufacture, Nancy, du 11 au 17 décembre 2020.

Création au CDN-Théâtre de la Manufacture, Nancy, le 15 décembre 2020. en raison du report des dates (Covid)

Tournée 2021
— Le Manège, Maubeuge (59), 12 janvier
— Théâtre Bonlieu, Annecy (74), 15 et 16 janvier
— Théâtre de la liberté, Toulon (83), 22 et 23 janvier
— Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse), 31 janvier
— Espace Nuithonie, Villars-du-Glâne (Suisse), 2 février
— Théâtre des Capucins, Luxembourg, les 11 et 12 février
CDN-Théâtre de la Manufacture, Nancy, du 13 au 16 avril
— CDN-Théâtre de l’Union, Limoges (87), du 9 au 11 novembre (annulé)
— Théâtre Lisieux Normandie, Lisieux (14), le 16 novembre
— La Comédie de Caen, Caen (14), les 18 et 19 novembre (annulé)
— Théâtre des Célestins, Lyon (69), du 23 au 27 novembre

Tournée 2022
Théâtre du Rond-Point, Paris (75), du 18 janvier au 6 février 2022


Spectacle par la promotion 2020-2021 de l’Académie de la Comédie-Française , dans une mise en scène de Leah Lapiower
avec Salomé Benchimol, Clémentine Billy, Antoine de Foucauld, Chloé Ploton, Camille Seitz, Nicolas Verdier
Théâtre du Vieux-Colombier, les 13 et 15 juillet 2021.


Mise en lecture, dans le cadre des Rencontres d’été - Focus sur les écritures théâtrales d’aujourd’huisélection du Comité de lecture - proposées par le Méta-CDN de Poitiers, par Maxime Huet-Monceyron et Aude Élise (Compagnie Sur le Feu), au château de Chiré, le 11 juin 2023.

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