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Léon, David

Stonewall

2021

vendredi 22 janvier 2021

Stonewall est le récit d’une résistance politique.

Ce poème dramatique mêle histoire intime, à travers l’aventure amoureuse d’un couple et la relation à une figure paternelle, et histoire politique en revenant sur des évènements emblématiques du militantisme et des mouvements contre l’homophobie, depuis les émeutes de Stonewall en 1969 jusqu’à l’attentat à la discothèque Le Pulse à Orlando en 2016.

Jouant sur l’intrication des époques et la variété des formes d’écriture, ce texte interroge de manière sensible la question de l’engagement militant et celle de l’acceptation ou du rejet de la différence. Il célèbre aussi le sentiment amoureux dans l’expression de sa puissance, même s’il est parfois source de manque et devient objet de deuil.

Quant à la figure de Madonna, qui ponctue le poème, elle apparaît comme un personnage féminin subversif, ouvrant sur la liberté.

Début

[IMAGES D’ARCHIVES EN NOIR ET BLANC. 1969. ÉMEUTES DE STONEWALL.]

Et ce feu à Stonewall je me souviens, ces hurlements. Personne ne nous représentait. Le temps était venu de révéler aux yeux du monde qui nous étions. Nous voulions des réponses, et libérer le monde de l’oppression, des inégalités, la discrimination. Ils voulaient faire de nous des marginaux et des parias, minorité. Nous avons initié le mouvement, la lutte et la libération. Nous étions l’avant-garde, le dos au mur en première ligne au front, on repoussait les flics. J’ai toujours cru profondément au regroupement et à l’alliance, la convergence des luttes. Et je n’ai jamais eu peur. De me faire battre, d’être cognée, je n’en avais rien à foutre. Et si j’avais envie de sortir la nuit vêtue en homme je le faisais. Et je faisais pareil si je voulais sortir en femme.

Stonewall c’était un bar, un petit bar de nuit, New-York, 6eme District, Greenwich Village in Manhattan, bar réservé aux hommes, la clandestinité. À cette époque les bars étaient tous interdits, aux SDF et aux chômeurs, aux prostituées et aux lesbiennes, aux travestis, aux noirs, aux gays, et aux drag-queens.

Stonewall je me souviens, à ma première entrée j’étais la seule drag-queen, j’ai demandé s’ils pensaient que j’étais un homme, ou s’ils pensaient que j’étais une femme, ils n’ont pas répondu, alors je suis entrée. C’était très difficile à cette époque d’être travesti, parce que les flics vous arrêtaient, et sans aucune raison. Sous le mépris, le ridicule et sous la haine. On traversait une telle période de répression et d’exactions, c’est insensé d’y repenser. Mais rien n’a véritablement changé.

Je me souviens, je dansais sur la piste, un doigt de scotch un mojito une téquila frappée, j’étais grisée, et les lumières d’un coup ont été allumées, c’était une rafle, un raid, les flics nous embarquaient, ils nous frappaient. Mais la situation s’est retournée, les gens ont dégainé des armes, le peuple — lames de rasoirs, cutters —, et ils ont balancé des verres, jeté des pierres, des cocktails Molotov. Et j’ai pensé : « Mais oh merci mon dieu c’est la révolution. Vous nous avez traité comme de la merde maintenant c’est votre tour. »

Stonewall était en feu.
Les voitures renversées, et la circulation bloquée.
Et le mouvement a commencé, la Nuit, la lutte.
C’est aujourd’hui le monde entier.


Figure face caméra elle pleure. Figure cernée de khôl. Finesse de l’eye-liner. La pulpe de ses lèvres d’un rouge vermeil tatouée. Un tailleur strict, une chemise blanche, une cravate noire GUCCI, un poing levé, ganté d’une dentelle araignée mouchetée. Bagues et bracelets et crucifix, rosaire nacré, une larme unique qui coule sur son visage. Elle pleure, Sister, ma sœur. Madonna dit : « But god loves gay people. » Elle pleure, elle parle Stonewall je tague, et sur leur mur j’écris. Elle parle d’une parodie, d’une farce politique, d’un simulacre démocratique. elle dit qu’ils veulent éradiquer — une nouvelle vague persécutrice, massacres, pogroms, et haine partout —, ces garçons-là, les garçons gays de l’Ouganda, de Tchétchénie. Elle parle, je la regarde, je pleure. Stonewall je tague, et sur vos murs j’écris.


Extrait 2

Mon père est mort 1 an tout juste après ma mort sur le char de l’histoire.
Finalement tu n’auras rien connu, ni de ma mort, ni de ma vie.
Je ne serai restée, rien qu’un homosexuel. « Une pauvre folle mon pauvre gars », ses mots, il disait ça cet homme, mon père.
Tu n’auras rien connu de moi.
Alors que j’ai tout de même écrit un petit bout, certes un petit bout, mais tout de même un petit pan d’histoire. Tu n’en as pas voulu.
Quand ma révolution a commencé — à l’intérieur la subversion —, ce jour, je dansais dans ma chambre, agenouillée. Je répétais des heures durant la danse, ce jour de ma révolution, ma subversion.
Sister, ma sœur, Madonna dit : «  Just like a prayer, your voice can take me there, just like a muse to me, you are a mystery, just like a dream, you are not what you seem, just like a prayer no choice your voice can take me there. »
Un Christ noir cloué en bandoulière au-dessus de ma table de chevet, celui de ma grand-mère. Les larmes coulent le long de ses joues s’écoulent. Des larmes si rouges, sacrificielles.
Je danse des heures d’une magie noire, d’une sorcellerie, balance mon cou comme une crinière, les paumes plaquées au sol sur la moquette dans une offrande.
J’ai eu 12 ans ce jour, le jour de ma révolution — ma subversion, mon émancipation, ma féminisation —, et de ce jour tu m’as haïe.
Déjà Stonewall, un cloisonnement dans ces entrailles de la maison.
Celle de cet homme qui fut mon père.
Tu ne voulais pas que cela se voie, tout ce désir, cette vie en moi.
Tu avais peur de moi ?
Ce désir effrayant — désordre —, ce volcan réveillé en moi ?
« Mais si l’on veut courir avec les loups », ne dit-on pas, Papa, « qu’il faut hurler avec la meute ». J’aurais du moins appris cela.


Extrait 3

[POLAROID]

se tenir par la main John et s’embrasser et se toucher et s’enlacer devant les autres « oh love to love you baby » aux yeux du monde John postés debout là sur le char de l’histoire des nuits entières debout nos mains gantées de noir dressées je n’avais jusqu’ici jamais perçu combien tout cela est politique éminemment John c’est notre manière de vivre ensemble sensuelle et poétique notre manière de se parler se caresser ces gestes si frêles et si pudiques « oh love to love you baby » et je n’avais jamais autant saisi John combien tout cela est idéologique.


Distinction

Pièce sélectionnée par le bureau des lecteurs de la Comédie-Française 2020-2021.

Extraits de presse

« Il fallait au moins le talent de David Léon pour réunir dans une même pièce des sujets aussi sérieux que les droits LGBT, les violences policières et l’oppression des minorités.

Stonewall, sa dixième pièce est sortie le 22 janvier chez l’excellente maison d’édition des Matelles Espaces 34 (…)

Le personnage principal se devine au détour du texte, tantôt homme, tantôt femme, toujours confronté au jugement de son père qui lui martèle que les garçons ne pleurent pas. (…)

Stonewall est aussi une déclaration d’amour sensuelle, un hymne à l’amour dont la bande-son serait interprétée par Madonna. »

[Mélanie Bulan, La Gazette de Montpellier, n°1702, 28 janvier- 3 février 2021]


« Percutant et fulgurant (…)

toujours sur la crête mais d’une maîtrise de plus en plus affirmée. »

[Joëlle Gayot]


David Léon fait retentir ce mot comme étant la matrice de son dernier texte. Comme dans l’ensemble de son œuvre, il n’est pas question de simple réalisme mais d’une quête de sens toujours poétisée à travers les images.

Cette fois-ci, l’écriture littéraire pure croise les images d’archives en noir et blanc de l’époque et des années qui suivront, images qui fonctionnent comme autant de dispositifs possibles de mise en scène ou comme paroles disant le collectif (celui du « nous » qui parle). (…)

Ces deux élans (politique et lyrique) s’enchaînent mais toujours après une sorte de rupture, de silence et de blanc sur la page. Il faut en faire entendre l’écho. (…)

La pièce ainsi travaille l’absence du dialogue, à la fois fonctionnement de l’échange langagier et surtout modalité de la parole au théâtre. Il n’est plus ici que traces, bribes souvent escamotées par l’absence scénique de l’autre. (…)

Le texte est aussi un chant universel des luttes contre les injustices, celles commises contre le peuple noir, les Palestiniens, les femmes, les plus démunis dans le monde.

C’est bien pour l’auteur, une affaire d’humanité, de cris lancés comme ce que l’on peut lire sur les banderoles durant les marches ou en lettres capitales grasses dans Stonewall de David Léon.

[Marie Du Crest, Le Litteraire.com, 2 mars 2021]


« Morts lors des émeutes de Stonewall, tabassées par la police et jetées dans l’Hudson ou criblées de balles à Orlando en 2016, trois voix s’élèvent dans la nuit, parlent de la force transcendantale de leurs amours, de leurs combats, de la violence du rejet paternel, du refus de se cacher, d’être la honte de la famille, d’être dans la lumière même si cela doit leur coûter la vie. »

[Mousson d’été, L’œil de l’Olivier, 26 août 2021]


« Dans cette lucidité qui lie l’intime à un ancrage historique, David Léon fait parler les tragédies, qu’elles soient collectives (descente de police puis émeutes de Stonewall en 1969, tuerie d’Orlando en 2016, des allusions aux persécutions et crimes homophobes de notre présent) ou individuelles (homophobie de la figure du père) et dessine en endossant des figures de militantisme, d’érotisme ou d’émancipation, une sorte d’écriture totale et soudaine. (…)

La force de son écriture, c’est de fonctionner tout en asyndète et en parataxe. En effet, en retirant les liens logiques entre les voix et les différents séquençages de la pièce et en confondant ce qui relève du témoignage historique, de la réappropriation d’images d’archives, de la traduction de paroles militantes et de paroles puissantes des textes de Madonna avec sa propre écriture,

David Léon fait advenir une écriture qui dissipe, cabre et irise tous les non-dits jusqu’au vertige. Stonewall est un manifeste politique et poétique en même temps qu’il est un miroir de nous-même (…)

Car au fond dans toutes ses pièces et plus fortement dans Stonewall, David Léon explore la blessure que laissent les mots en montrant comment dépasser la rancœur qui nous creuse par l’amour et plus encore dans ce texte par la lutte : ces mêmes mots avilissants qu’on lui assène peuvent servir d’arme de combat. »

[Raf, L’Alchimie du verbe, 5 septembre 2021]


« Rage et douceur mêlées, “Stonewall”, le texte vibrant de David Léon, donne à entendre les luttes LGBT depuis l’éclosion du mouvement en 1969, à New York. (…)

Ce texte puissant, intitulé Stonewall, a été enregistré pour France Culture cet été, au festival La Mousson d’été, de Pont-à-Mousson. Une chance pour nos oreilles.

Dirigée par Blandine Savetier, cette lecture en public est traversée par la rage et la douleur des identités opprimées, mais aussi par une douceur et une poésie rares. »

[Elise Racque, Télérama, 16 octobre 2021]


« chant rhapsodique »

[Jean-Michel Potiron, Blog jmp, 24 décembre 2021]

Vie du texte

Lors du Festival Bruits Blancs # 2, David Léon et le musicien Marc Sens feront entendre des extraits de Stonewall, au Théâtre universitaire de La Vignette, à Montpellier, le 3 décembre 2020.


Lecture à la Mousson d’été, dirigée par Blandine Savetier avec Christophe Brault, Marie-Sohna Condé, Guillaume Durieux et Emeline Touron, musique Philippe Thibault, août 2021.


Enregistrée en public, cette lecture de la Mousson d’été, dans une réalisation Pascal Deux pour France Culture, sera diffusée sur France Culture le 25 septembre 2021, dans Atelier Fiction.

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