Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Kunyaza

1.
LUI, ELLE

LUI : Ferme les yeux.
ELLE : C’est fait.
LUI : Elle te fait penser à quoi, la musique ?
ELLE : À l’eau, à la mer.
LUI : Et le parfum ?
ELLE : À la brise, à la brise du soir.
LUI : Garde les yeux fermés ; prête l’oreille, écoute la mer ; prête attention, sens la brise.
ELLE : Belle la mer, douce la brise.
LUI : Beauté-douceur !
ELLE : Je me sens bien !
LUI : Ceci n’est plus un lit mais une natte, une natte à même le sable, à même le sable fin d’une plage ; nous sommes sur la plage d’une mer aux eaux calmes et tranquilles, à la tombée de la nuit.
ELLE : Il souffle sur cette plage paisible une brise fraîche et douce.
LUI : Il n’y a que nous au monde, toi et moi, moi et toi, nous, rien que nous au monde. Toi toute nue sur la natte, moi tout nu à tes pieds, tu es la reine de ma soif, je suis le serviteur de ta faim, et nous avons la nuit devant nous pour nous manger et nous boire jusqu’à plus faim et plus soif.
ELLE : Non, pas la nuit !
LUI : …
ELLE : Pas la nuit !
LUI : Nous ne sommes pas la nuit, on est d’accord, comme nous sommes loin d’être sur une plage. Mais en écoutant cette musique dans cette chambre nous sommes au bord de la mer, en humant ce parfum nous sommes dans la brise du soir, et ce lit devient natte sur une plage le soir, et nous avons, toi la reine de ma soif et moi le serviteur de ta faim, sur cette natte sur la plage du soir d’une mer aux eaux calmes et tranquilles toute la nuit devant nous. Pas vrai ?
ELLE : C’est vrai, excuse-moi.
LUI : On revient à nos moutons ?
ELLE : Non, pas encore.
LUI : Mais pourquoi ?
ELLE : On est d’accord que cette première fois seul à seul dans une chambre ou sur une plage sera aussi la dernière.
LUI : …
ELLE : Tu ne dis rien ?
LUI : …
ELLE : On est d’accord ou pas ?
LUI : On verra bien.
ELLE : Il n’y a rien à voir.
LUI : …
ELLE : Ou on est d’accord et le jeu en vaut la chandelle ou on ne l’est pas et tu connais la suite.
LUI : …
ELLE : Pourquoi fais-tu la tête ?
LUI : …
ELLE : Je croyais qu’on s’était mis d’accord.
LUI : Je ne le nie pas, mais j’ai du mal à comprendre qu’on se soit donné la peine de passer par le laboratoire d’analyses médicales les examens et tout et tout pour une seule fois.
ELLE : C’était la condition pour cette seule fois dans de bonnes conditions et on était d’accord.
LUI : Oui, on l’était, mais…
ELLE : Quoi ?!
LUI : … toi plus que moi.
ELLE : Que veux-tu dire ?
LUI : On est d’accord, passons.
ELLE : Es-tu sûr ?
LUI : Oui.
ELLE : Sûr, sûr ?
LUI : Oui, oui !
ELLE : Passons donc.
LUI : À nos moutons ?
ELLE : À nos moutons !
LUI : Tu es là, je suis là, on est là.
ELLE : Oui, on est là.
LUI : La musique, écoute la musique.
ELLE : …
LUI : Le parfum, hume le parfum.
ELLE : …
LUI : La mer, entends la mer.
ELLE : …
LUI : La brise, sens la brise.
ELLE : …
LUI : Ton corps nu sur la natte, mon corps nu à tes pieds, et la nuit devant nous.
ELLE : Et la nuit devant nous.
(…)


2.
LUI, L’AUTRE, ELLE

(…)
L’AUTRE : Tu sauras aujourd’hui ce que ça peut coûter de passer un moment avec la femme d’autrui.
LUI : Une arme ?! Non, pas une arme, monsieur ! Non, pas…
L’AUTRE : Tu crois que je rigole ?
LUI : Non, pas du tout. Ça se voit à votre colère que vous ne rigolez pas, que vous êtes capable de poser le genre d’actes qu’affectionnent les vautours des réseaux sociaux, mais ça se voit aussi que vous êtes un homme qui peut se mettre à la place d’un autre et comprendre que celui-ci peut poursuivre une femme de ses assiduités sans autre intention que celle de passer un petit moment avec elle, et comprendre que celui-ci peut passer ce petit moment avec elle sans jamais se dire que ça le hisse au-dessus du mari. Je m’excuse une fois de plus du tort que je vous ai causé malgré moi et vous prie de me laisser me rhabiller, de me laisser porter ne serait-ce que mon bermuda.
L’AUTRE : …
LUI : Je jure sur les têtes de mes parents et sur celles de mes enfants que plus jamais ça ne recommencera, plus jamais !
L’AUTRE : Es-tu sûr de ce que tu dis ?
LUI : Je tiens à ma vie… et à ma réputation.
(…)


3.
L’AUTRE, ELLE

(…)

L’AUTRE : Après de tels gémissements et tels râles de plaisir la probabilité que vous vous revoyiez était plus que grande. Il m’a fallu marquer le coup pour que cela ne se reproduise pas.
ELLE : Tu as marqué ton coup en humiliant la femme que tu appelles ta femme et en ridiculisant l’homme d’autrui.
L’AUTRE : Ne me parle pas d’homme d’autrui. Parle du détourneur sans vergogne de l’épouse d’un homme respectable.
ELLE : Le détourneur dont tu avais besoin pour satisfaire ton égo de mâle soucieux de son honneur.
L’AUTRE : Je t’ai envoyé chercher l’enfant et non pas la jouissance.
ELLE : Allant chercher l’enfant, j’ai trouvé la jouissance.
L’AUTRE : Je ne regrette pas d’avoir fait le grabuge qui éloignera à jamais cet énergumène de toi.
ELLE : Tu devrais !
L’AUTRE : On est d’accord qu’il ne doit jamais au grand jamais se douter qu’il est pour quelque chose dans la grossesse que j’attends.
ELLE : De quelle grossesse tu parles ?
L’AUTRE : Celle que tu dois avoir attrapé à coups d’Oh mon Dieu ! et je ne sais plus quoi.
ELLE : Tu es sérieux ?
L’AUTRE : Ne me dis pas que l’énergumène t’a fait gémir gémir gémir comme une pute pour rien, ne me dis pas qu’il n’y a rien à attendre de ces Oui-iii qui ont failli me rendre fou, me rendre fou à lier !
(…)

Extrait de presse

« Une critique subtile et puissante de la domination masculine.

Une écriture à la fois fantaisiste et ciselée.

Un texte qui ouvre un horizon scénique très riche. »

[Centre national du livre, juin 2024]

Un court extrait lu par l’auteur

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