Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

LES PLEUREUSES

Disait-il.

Entendait des voix. Des gens ici et là circulant. Derrière le mur ou au-dessus.

Personne, pourtant, au-dessus.

Voyait des ombres. Croyait. Pensait.

S’imaginait, sans doute, des choses.

Inventait, oui.

À commencé comme ça.

Tout doux, voilà. Petit à petit.

Gardait la chambre. Toute la journée.

Répétait à loisir. Garder la chambre.

Je garde la chambre, disait-il.

Devait avoir peur, craindre quelque chose.

Se levait pour un rien et allait à la fenêtre surveiller.

Jeter un œil.

Au cas où, disait-il.

Qui sait quoi, disait-il.

Pas trop de passage mais tout de même. Des voitures. Des passants.

Quelques vieux assis sur le banc, au soleil ou à l’ombre.

Surveillait la cour de derrière les volets. Regardait les femmes. Les enfants en bas âge circulant dans le chose, là, à roulettes.

Pour l’apprentissage, là, de la marche.

Babillants.

Lui, derrière les volets.

Suspectant les autres en face, de derrière les légers rideaux blancs.

Doivent m’observer et se poser question, disait-il.

Des jours entiers sans sortir.

À garder la chambre, le salon, la cuisine.

La salle de bain parfois.

Grattant la peau avec les ongles. Les bras, les jambes.

Assez vite couvert de croûtes.

Pas joli, joli.

Dans la baignoire à s’asperger.
À tenter calmer la douleur. À faire cesser le suintement.

Dans la maison cloîtré.

Prenant rythme.

Repères.

La journée bien réglée.

Gosses en partance.

Machine à nettoyer les trottoirs.

Facteur claquant la porte.

Onze heures moins le quart, régulier.

Oreille tendue, disait-il.

À suivre la course du soleil.

Du matin jusqu’au soir.

Promenades des chiens-chiens.

Poussettes en vadrouille.

Tout bien réglé. Organisé.

Jusqu’à cinq heures. Précises.
Revenait vers la porte.

Au garde-à-vous dans le couloir.
Toujours là à m’attendre, disait-elle.

Debout dans la cuisine.

Café passé juste servi.

Pas habituée, disait-elle.

Etre attendue.

Les premiers temps.

Si souvent, avant, envolé, sorti ou en retard.

Disparu.

Longue période en déconfiture.

Tard le soir à rentrer sur la pointe des pieds.

Tête ailleurs.

Elle, déjà couchée. Lumière éteinte même.

Interrogeant encore dans un demi-sommeil.

La journée, le travail. Tout ça, quoi.

Tout à fait naturel.

Quoi demander plus.

Drôle de chose, disait-il.

Peut-être là le début.

Perdu, oui, à partir de là.


ELLE
Quoi dire alors ?

Banalités.

LES PLEUREUSES
Gentillesses.

ELLE
Misérables mensonges.

LES PLEUREUSES
Pourquoi songer tout dire ?

Pas pensable tout dire.

Savait bien de lui-même de quoi il retournait.

Voilà qu’il pleut, disait-il.

Et nous, autour de lui à bavasser et à se tordre les mains, nous n’en avions rien vu.

Jugé cela sans importance.

Pourriez-vous entrouvrir la fenêtre ?, demandait-il.

Longue phrase sans faillir.

Et nous de refuser.

Argumentant.

Tout à la soif de l’épargner.

Bien trop froid, dehors, disait-on.

Tu n’y penses pas, disait-elle.

Quand peut-être c’était là, dernière envie.

Emporter avec lui ce souvenir de pluie-là.

L’odeur de cette pluie chaude.

Sur les arbres du jardin.

Le bruit des gouttes sur le bitume.

Et le sourire, il me semble aujourd’hui, disparaissait de suite.

Glissait comme lui, à nouveau, vers le mur.

Un temps.

Replongeait.

ELLE
Vous et moi fidèles à ses côtés.

LES PLEUREUSES
Comment dit-on ?

À son chevet.

À son chevet, voilà.

Nous avons fait tout ce que nous pouvions, disait-elle.

Et à voix basse nous parlions de lui encore et encore.

Nous disions Gume, son prénom d’avant oublié.

De lui et d’autres.

De ceux qu’il connaissait.

Les amis, la famille.

Les connaissances.

L’ont vite oublié, disait-elle.

Plus personne, là, d’un coup.

ELLE
Souvent comme ça en ces moments.

Va savoir, les gens, ce qu’ils pensent.

Préfèrent se foutre le camp.

Pas un mot.

Pffuit, plus personne.

LES PLEUREUSES
La peur sans doute.

(...)

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