Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

CASSE-TÊTE - Je suis un enfant sérieux.

AMIRAL - Je n’en doute pas.

CASSE-TÊTE - Je vais casser la tête de tout le monde.

AMIRAL - Bien-sûr.

CASSE-TÊTE - Je vais prendre un marteau et je vais casser toutes les têtes. Comme ça.

AMIRAL - Doucement.

...

CASSE-TÊTE - Faudra pas venir pleurer après.

AMIRAL - Après quoi ?

CASSE-TÊTE - Après casser les têtes, faudra pas venir pleurer hein ?

AMIRAL - Qui ?

CASSE-TÊTE - Vous. Les autres, tout le monde. Quand je l’aurai fait ce que je pense, faudra pas chialer !

RES’PIRE - Oh l’autr’...

CASSE-TÊTE - Parce que y’en a qui se plaignent toujours. Que le boulot c’est dur. Que la vie c’est dur. Que c’est toujours les mêmes qui ont l’argent. Que tout et tout. Eux c’est comme si on leur avait dit : "La vie vous allez voir le paradis !". Comme si on leur avait promis quelque chose.

...

Mais moi on m’a rien raconté.

AMIRAL - Et ?

CASSE-TÊTE - Rien. C’est pour dire, je vais le faire.

AMIRAL - Quand ?

CASSE-TÊTE - Demain. Après demain. Même si je suis un fantôme, même si je dois revenir du cimetière, je le ferai.

AMIRAL - Pourquoi ? Pourquoi tu veux si fort casser les têtes ?

CASSE-TÊTE - Comme ça. Pour écouter. Le bruit. Avec tous les os, et les idées là-dedans, ça résonne.

NUIT BLANCHE - Moi j’ai des idées qui font pas de bruit.

CASSE-TÊTE - Et tes os, ils font pas de bruit peut-être ?

NUIT BLANCHE - C’est pas une raison pour les casser.

CASSE-TÊTE - Je te casserai la tête en premier moi. Tu vas voir le bruit !

AMIRAL - Doucement.

NUIT BLANCHE - Du bruit j’en ai assez ! Je dors pas, y’a du bruit dans les couloirs, avec les clefs les portes les grilles, ça m’empêche. Alors arrête... Moi aussi j’en ai des idées mais elles ferment leurs gueules.

CASSE-TÊTE - Tu feras jamais rien...

NUIT BLANCHE - J’ai déjà tout fait. Je suis vieille. Je voudrais partir en retraite maintenant...

AMIRAL - Qu’est-ce que tu as tellement fait ?

NUIT BLANCHE - Je suis soldat. Alors j’en ai fait...

AMIRAL - Si tu es ici, c’est que tu n’es plus soldat...

NUIT BLANCHE - Je continue. Dans ma tête je continue. C’est la guerre toujours avec des souvenirs.

AMIRAL - Mais ici tu peux oublier. Tu peux recommencer quelque chose. Nous sommes ici pour imaginer...

NUIT BLANCHE - C’est pas facile avec les souvenirs. Ça fait des images qui s’oublient pas.

CASSE-TÊTE - Si je te casse la tête, tu vas les oublier tes images !

NUIT BLANCHE - Ta gueule.

AMIRAL - Doucement.

...

Et toi ?

...

PAS PLUS - Sais pas. Ici pour rien. Pas quoi faire. Pas quoi dire.

...

Comprends rien. Pas pourquoi. Même pas c’est qui ?

AMIRAL - Des enfants comme toi...

PAS PLUS - Pas comme moi.

AMIRAL - Mais vous êtes arrivés ici le même jour, pour des raisons différentes bien sûr, mais... Vous êtes arrivés...

CASSE-TÊTE - J’étais le premier.

AMIRAL - Si tu veux.

NUIT BLANCHE - C’était moi !

RES’PIRE - Moi !

CASSE-TÊTE - Moi !

RES’PIRE - Dis encor’ qu’t’étais premier j’t’éclate !

AMIRAL - Du calme !

RES’PIRE - I’fait qu’mentir merde ! J’vais lui casser sa tête à lui !

CASSE-TÊTE - Tu veux me casser la tête ? Tu veux me casser la tête ?

AMIRAL - Stop ! Personne ne cassera la tête à personne ! Ici on n’a pas ce genre d’idée ! C’est compris ?

...

Vous savez ce qui va se passer si vous continuez ?

RES’PIRE - Nan.

AMIRAL - Je ne pourrai pas faire autrement. Si on vous entend crier, ils vont venir. Et je ne pourrai pas vous défendre.

PAS PLUS - Toute façon, déjà foutu.

AMIRAL - Oui mais là, ce sera foutu sérieux.

...

Bon. Reprenons. Il reste une heure. Ça passe vite une heure. Alors essayons d’être calmes, de réfléchir ensemble, pour trouver une solution...

PAS PLUS - Chier. Pas là pour. Pas ma faute si. Erreur. Erreur putain !

AMIRAL - Il n’y a pas d’erreur. A votre avis, pourquoi êtes-vous arrivés ici ?

...

PAS PLUS - Erreur.

AMIRAL - Oui... mais encore ?

CASSE-TÊTE - J’avais du plomb sous les pompes, j’ai pas couru assez vite.

NUIT BLANCHE - Ils m’ont endormie, au gaz. Ils ont profité que je dormais et ils m’ont balancé le gaz... Comme ça j’ai dormi tout le temps qu’ils m’ont emmenée. Je viens de me réveiller. Mais j’ai rien fait moi je dormais !

RES’PIRE - Moi zenculés m’ont niqué ! I’m’ont chopé dans l’terrain et i’m’ont tabassé comme un chien d’sa mère ! Mais j’ai pas fait l’pire ! Y’en a qui défoncent tout i’sont même pas arrêtés ceux-là !

AMIRAL - Qu’est-ce que tu faisais quand on t’a interpellé ?

RES’PIRE - J’faisais rien !

AMIRAL - Dans l’école, tu faisais quoi ?

RES’PIRE - Rien merde !

AMIRAL - Rien ?

RES’PIRE - Ouais !

AMIRAL - Tu n’as jamais marché jusqu’à l’école, jamais cassé une vitre au rez-de-chaussée, ouvert les armoires, renversé, jeté les chaises et les tables à travers les vitres, brûlé tous les papiers, qu’est-ce que tu n’as pas fait ensuite ?

RES’PIRE - Rien !

AMIRAL - Tu n’as rien pas fait ?

RES’PIRE - Oui ! Mais merd’si j’vous l’dis !

AMIRAL - Alors dis-moi pourquoi on t’a trouvé dans le logement de fonction de la directrice cette nuit-là ?

RES’PIRE - J’sais pas !

NUIT BLANCHE - Faudrait y aller mollo... Ça va le tuer vos questions-là... Il pleure déjà, vous voyez pas ?

AMIRAL - Je suis désolé, mais il reste une heure... Et nous n’avons plus le temps d’arrêter. Il me faut des réponses maintenant. Alors ?

...

Ce n’est pas comme ça que tu trouveras une solution...

PAS PLUS - Pas parler, pas besoin. Ici veulent, mais pas besoin.

(…)

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