Accueil > Collections > Théâtre > Théâtre contemporain > Hana no Michi ou Le sentier des fleurs
Allegret, Yan
Hana no Michi
ou Le sentier des fleurs
2008
mardi 13 mai 2008
La pièce, écrite en français, est traduite en japonais par Shintaro Fujii, Maître de conférences en études théâtrales, Faculté des lettres, des arts et des sciences, Université Waseda, Chercheur et membre du comité exécutif du GCOE (Global Centre of Excellence), Institut de recherche théâtrale, Université Waseda.
Le sentier des fleurs est, littéralement, au Japon, le chemin que parcourt le sumo entre le vestiaire et le tapis de combat.
Ici c’est celui emprunté par la personne qui parle. Volontairement isolée dans le silence, la nudité du lieu, les actions minimales, elle pousse le dépouillement jusqu’à l’extrême pour laisse venir une nouvelle vie. Ce sont alors d’autres voix - rêvées ou réelles, pensées, souhaitées - qui se croisent, des figures animales ou légendaires qui tissent l’imaginaire, sa propre voix aussi, régénérée. Elles sont le chemin de sa réappropriation du monde, de sa renaissance à la vie, à l’écriture aussi. Comme si l’individu, par la recherche de la plus grande épure, ne pouvait que toucher à l’universel - l’amour, l’enfance, la mort.
Yan Allegret livre un texte poétique sur un cheminement individuel, comme en écho à la création du monde.
« Je suis parti au Japon en juin 2006, dans le cadre de la Villa Kujoyama, avec le désir d’écrire un texte autour de la notion du combat et de la relation existante entre le théâtre et les disciplines d’affrontement.
Très vite, mon voyage m’a permis de me confronter à cet aspect de la culture japonaise, mais aussi à d’autres qui se sont révélés fondateurs dans mon parcours. Particulièrement ceux du vide et du rêve. Comme chaque fois, le travail est apparu là où je ne l’attendais pas.
Entre juillet et aoà »t 2006, j’ai écrit la première ébauche d’un texte théâtral, « Hanamichi  », dans lequel ces trois axes, le combat, le vide et le rêve se côtoient et se répondent.
En septembre 2006, à l’invitation d’Oriza Hirata, directeur de la compagnie Seinendan et du théâtre Agora, j’ai dirigé un workshop avec 9 acteurs japonais autour d’une première version du texte, traduite en japonais. Les acteurs et moi étant majoritairement de la même génération, nous avons immédiatement partagé les mêmes questions quant au travail théâtral et au désir d’en ouvrir certains cadres.
Idée d’une incarnation « ouverte  », valeur du travail en temps réel, pluridisciplinarité des outils, nous nous sommes aperçus que nos préoccupations se rejoignaient.
Le workshop a permis de poser les bases et les axes d’une future création théâtrale.
Un processus de travail s’est fait jour, dans lequel les acteurs, forts d’un certain rapport au présent, sont à même de faire varier leur partition, leurs interventions et leurs liens en fonction de leurs intuitions individuelles et collectives, au moyen d’un certain nombre d’outils.
Les outils sonores (enregistrements de voix), vidéos et scénographiques ont été également travaillés en ce sens.
Une présentation publique de ce workshop a été présentée le 14 septembre 2006 à Tokyo, devant des professionnels du milieu théâtral japonais et français.
Le 20 septembre 2006, à l’invitation de l’Institut français du Kansai, une performance issue de ce travail a été créée ; « Hajime no Hanamichi, ou le premier sentier des fleurs », avec une des actrices du workshop. La forme du solo a ouvert d’autres portes et nous a permis d’éprouver nos outils dans une autre perspective, complémentaire à celle du workshop.
A ces occasions, mes rencontres avec le compositeur et créateur sonore Fabrice Planquette, résident à la Villa Kujoyama ainsi que le traducteur Shintaro Fujii, ont marqué le début de collaborations qui prendront forme dans la suite du projet.
Enfin, en avril 2007, je suis retourné au Japon, à l’invitation de l’Institut français du Kansai. J’ai réalisé à cette occasion une série photographique autour du projet Hanamichi, avec un modèle féminin japonais. Ces photos ont ouvert un nouveau pan du projet qui fonctionne comme entité distincte, de la même manière que le spectacle ou la performance.  »
Yan Allegret
– 1 Entrée
Entre
C’est fini
En silence.
La paroi coulissante s’est refermée.
Dans le silence.
Dans le corps du silence.
La pièce est vide.
À l’intérieur du silence.
Au-dedans.
Il n’y a rien.
Le corps du silence.
L’apparence de ta destination.
Ne dis rien.
Face à face avec l’endroit.
Jauge les forces, les tiennes, celles de la pièce.
Ne dis rien de ce que tu pressens. N’écris rien.
Laisse venir.
Quatre murs.
Un plafond de néons.
Un sol de paille.
Derrière toi, les chemins qui t’ont conduit ont disparu.
J’ai laissé mon enfant, mon amour,
Tout ce qui me retient au monde je l’ai laissé.
La paille du sol.
Le néon comme seule lumière.
Dans un coin le drap d’une couche fine.
Le vide de la chambre est un vide qui ne dit rien.
Je l’ai attendu. Je l’ai craint.
Un miroir sans cadre plaqué à mi-hauteur.
Reflets, parcelles de chair.
Je vois.
Mon visage incomplet dans la glace.
C’est là .
La pièce, sans apparat.
Sans volonté.
Nudité des murs.
D’une couleur qui ne veut rien dire.
Qui ne signifie rien.
La pièce t’offre le vide.
L’air contenu entre ses murs.
L’espace qu’elle recèle.
Cette chair qui est à naître.
Et l’odeur de paille.
Rien d’autre.
Le point de départ est là .
Tu es dedans.
La fin, le commencement d’un monde.
À l’intervalle entre les deux.
Personne ne sait où tu es.
Dans le corps du silence.
Personne ne sait l’endroit.
Ni les chemins empruntés pour y parvenir.
Personne.
Tout ce qui me retient au monde, je l’ai laissé.
J’ai dà » attendre ce moment.
J’ai dà » l’attendre.
Le redouter.
Redouter cette chambre-là ,
Cette absence de discours.
Ces angles dévoilés, cette odeur de paille.
Cette nudité.
Je l’ai frôlé parfois.
Le silence de la pièce nourrit le mien.
Je sens l’odeur de paille.
C’est là , déjà .
Je m’assois sur le sol.
Pas de retour en arrière je le sais.
Je pense à toi.
Les pensées se défont de moi.
Se dissolvent dans l’espace les questions suspendues.
Les mots se tarissent lentement jusqu’Ã la source.
Assis.
Immobile.
Jusqu’au sommeil.
Le corps du silence respire.
Des nuits entières.
– 1.1 Description écrite du sommeil
Ailleurs un enfant est debout.
Seul, à la lisière d’un cercle.
À la frontière.
Un cercle de paille tracé sur une terre d’argile.
Un enfant. Presque nu. La chair en offrande.
Il passe dans le temps.
Au point incandescent de sa solitude.
Accordé au réel, il en suit les courbes, il respire avec le temps, avec l’espace sur lequel il se tient.
La plaine immense et vide.
La page blanche de la plaine où le cercle a été dessiné.
Au-dessus, de grands oiseaux tournoient.
Ils décrivent dans le ciel d’autres cercles.
L’enfant est immobile.
Il attend. Une autre chair. La tienne.
Patience. Le temps ne passe pas.
L’enfant est muet, il règne sur le cercle, sur la terre craquelée qui l’entoure.
Seigneur de rien. Seigneur d’un vide.
Le temps ne passe pas.
C’est l’enfant, le cercle de paille et sa terre qui passent, silencieux, dans le temps.
– 2 Vide volontaire
Le souvenir de l’entrée, du commencement s’est éteint.
La pièce passe dans le temps.
J’assiste à cela.
Passager de la pièce.
Passager d’un corps du silence.
Où que je regarde, il n’y a qu’un vide.
Rien ne s’est transformé, ni ouvert.
Le drap de la couche disparu derrière les parois coulissantes.
Je ne vois pas au-delà .
Assis, j’assiste au passage de la pièce dans le temps.
L’âpreté du silence entame légèrement la peau.
Je me lave dans la pièce d’eau attenante.
Le bruit de l’écoulement me rassure.
Le bruit de l’eau, comme un langage
Une voix, à côté de la mienne, éteinte.
Je n’ai pas prononcé un mot depuis plusieurs jours.
À ton silence pendant que nous faisons l’amour
Où que je regarde, il n’y a qu’un vide.
Des étendues immenses des villes des quais des halls d’aéroports
La pièce ne donne aucun indice.
Aucune direction.
Elle n’offre rien.
Elle ne renvoie rien.
À cette pensée que tu savais logée en moi, et avant même que je ne te dise déjà tu te tenais au plus près de la plaie et tu posais ta main dessus
Tout ce qui me retient au monde, je l’ai laissé.
Maintenant seul.
Sans guide.
Nous marchions à la lisière du gouffre et nos mains se tenaient
Des morceaux de peau enlevés sous l’effet de la peur
La distance accrue par la fatigue de l’amour
Mais toujours nos mains se sont tenues
J’ai attendu cela.
Je l’ai craint.
Nous tenons la main de ce qui va mourir
C’est toujours ce qui va mourir que nous tenons dans notre main
Nos mains savaient cela, mais elles se serraient au-delÃ
L’ignorance de la chambre est belle parce qu’elle ne sait rien de la beauté.
Ni du temps.
Ni de l’inquiétude.
Ni de la pensée.
À ce nom de couleur que tu m’as donné
Aux cercles de nos bras contenant l’autre, le protégeant
Aux refuges de ta poitrine
J’aimerais être ignorant. Et pauvre.
Qu’ai-je déposé au sol.
Rien.
L’inquiétude n’était qu’endormie.
Elle se réveille.
À ta bouche sur ma nuque tes dents coupant net le fil de l’angoisse
À la jouissance ensemble
La perfection des angles te renvoie la maladresse de ta présence.
Tout geste paraît de trop.
À tout ce que j’ai saccagé en toi qui empêchait tes floraisons
Aux engueulades corrigées dans la nuit qui a suivi
Je suis seul.
Il n’y a personne.
À nos solitudes parallèles qui se rejoignent en une seule ligne
Ce combat. À mener. À dire. À traverser.
J’ai vu l’abîme et seule ta main me retenait
Tu as vu l’abîme et seule ma main te retenait
Je prends des notes.
Chaque feuille, une fois écrite, doit lutter pour exister dans cet espace.
Aucun mot, aucune réflexion, aussi intelligente soit-elle, ne tient.
Chaque feuille finit au trou, dans le sac plastique.
La pièce paraît riposter à chaque tentative.
Tu me disais souvent « Apprends à voir  ».
Nous jouions en équilibre au bord de l’abîme des jours
Le corps appelé par le vide mais retenu par le contrepoids de l’autre
Tu es seul.
Tout ce que tu as écrit avant ne t’est d’aucun secours.
Tu habites une page blanche.
Tu le deviens.
Aux départs innombrables
Aux retrouvailles innombrables
Une lutte par le moins est en train de s’engager je suis des deux côtés.
Au récit des pires rêves que tu m’as fait
Au récit des pires rêves que je t’ai fait
À nos nudités du matin
Peu à peu, aucun mot ne paraît être à même de dire cet endroit
Je suis incapable de dire où je suis.
À mes ongles dessinant sur ton dos les chemins de ton sommeil
À mon poignet retenu par toi chaque fois que j’ai voulu fuir
Respiration moins ample.
Comme si la pièce appuyait sur ma peau.
En permanence.
Serrer le fruit pour en recueillir le jus.
Contractions avant de mettre bas.
À la dissolution de mon corps dans ta bouche
Les mots s’éloignent.
Je renonce à décrire ce que je ne comprends pas.
À la place, je dessine maladroitement quelques silhouettes.
Quelques visages.
Celui de l’enfant.
Le tien.
À la direction que je ne t’ai pas montrée parce que je la cherchais moi-même
Murs monochromes.
Bruit de l’eau.
Odeur de paille.
Aux semaines de grâce éclairées par la lumière des corps
Il ne reste sur la feuille que des lignes droites et des cercles.
Des lignes droites.
Des cercles.
J’aurais tellement voulu poser ma main sur ton front et ne rien dire
J’abandonne mon carnet de notes dans le sac plastique.
Je deviens peu à peu improductif.
À ce qui fait mourir un amour
À ce qui fait qu’il brà »le plus loin que l’absence
Je m’efforce de faire le vide.
Faire le vide comme on dit « Faire l’amour  ».
Je pense à toi.
Aux pressentiments des départs que l’on n’écoute jamais
« Faire le vide.  »
À ton visage devant mes yeux
« Faire l’amour.  »
Et je ne savais pas à ce moment que ce serait la dernière
« Faire le mort.  »
Aux traces laissées sur la peau
Toute action volontaire est vouée à l’échec.
La pièce est un paysage brut d’inconnaissance.
À ce silence auquel aucun mot ne répond
Je te vois debout devant moi, les paumes ouvertes et je sais que c’est impossible.
Tu es droit, nu. L’évidence se fait peu à peu et ouvre mon souffle. Je suis parti de toi. Je suis parti, je vois mon amour debout les paumes ouvertes. Tu t’effaces peu à peu, j’ai cru entendre ta voix l’espace d’un instant j’ai cru l’entendre.
À nos disparitions
Je suis le passager, la main posée sur la crinière de paille du cheval immobile qui me conduit au vide.
(...)
Extraits de presse
« (...) récit onirique, poétique, métaphysique, d’une étrange beauté.
Yan Allégret possède une écriture à la fois tenue et lyrique, dense et déliée, une écriture qui saisit la conscience du lecteur dès les premiers mots.
(...) Il n’est pas courant de découvrir un auteur dramatique plaçant à ce niveau d’exigence la barre de ses ambitions littéraires.  »
[Manuel Piolat Soleymat, Tatouvu, n°34, juillet-septembre 2008]
« Cheminement d’une parole à travers le vide, le rêve, l’isolement et l’acte d’écrire, “Le Sentier des fleurs” prend comme point de départ un homme dans une pièce vide.
Le rêve, l’éveil et l’écriture se côtoient, se mêlent, dessinant un trajet intérieur dans lequel se succèdent plénitude, pertes et approfondissement, jusqu’à la dernière ouverture.  »
[Midi Libre, 11 décembre 2008]
« Redjep Mitrovitsa et Yan Allegret amorcent avec cette résidence leur travail autour de ce texte. Le dépouillement sera le point de départ. La voix de Redejp Mitrovitsa comme seul paysage. Ou comment toutes les figures contenues dans le rêve demeurent les reflets, les échos d’un seul rêveur.  »
[Le Dauphiné Libéré, 11 décembre 2008]
« “Un auteur vivant, une écriture qui ne correspond à aucun des codes habituels, c’est ce qui m’a séduit”, explique cet immense acteur qui incarna un Nijinski de légende et qu’on a souvent vu à la Cour d’honneur, dans Le soulier de satin selon Vitez, Le visage d’Orphée d’Olivier Pyou, cet été, dans une lecture à cinq voix de Dante. Yan Allegret le sent “capable de faire paysage par sa seule présence, capable de traverser le labyrinthe, d’être en même temps que le labyrinthe que nous traversons et le fil d’Ariane ”.  »
[Danièle Carraz, La Provence, 8 décembre 2008]
« - Peut-on dire que c’est une réflexion sur l’existence ?
- Le mot réflexion appelle un rapport à la vie basé sur le cérébral. Donc, en ce sens, non. C’est plutôt le cheminement d’une perception ou d’une sensation de l’existence dans laquelle la réflexion n’a plus le même poids qu’avant. »
[extrait de l’interview de l’auteur par Thomas Flagel, Poly, mars-avril 2011]
Le texte à l’étranger
Lecture publique à l’Institut français de Kyoto le 26 février 2008.
Création du spectacle dans une mise en scène de l’auteur au Théâtre Agora à Tokyo du 17 au 22 juillet 2008, avec Kentaro Abe, Nahoko Kawasumi, Michiko Kudo, Yuko Kumagai, Junnosuke Tada, Ami Chong, Kumi Hyodo.
Poursuite de la performance initiée à Kyoto, avec la création de 8 autres solos, chacun étant assuré par un acteur différent du groupe. Les performances seront créées en partenariat avec différents Instituts français au Japon (Yokohama et Osaka), en juin-juillet 2008.
Mise en place d’une exposition de la série photographique « Hana no michi  », à Tokyo en juillet 2008.
Vie du texte
Première lecture publique intégrale de la pièce sous forme de lecture-performance par Yan Allegret et la comédienne Nahoko Kawasumi, à l’Opéra bleu (compagnie du sarment), Aubervilliers, le 17 février 2008.
Workshop à la Baignoire (Montpellier, compagnie Les perles de verre dirigée par Bela Czupon) en avril 2008 pendant 10 jours. Rencontre et présentation du travail.
Interview de Yan Allegret par Manuel Piolat Soleymat pour l’émission « Les Sincères  » sur Radio Aligre, le 17 novembre (25 mn) et le 29 décembre 2008 (50 mn), que l’on peut entendre sur le site de la compagnie (&) So Weiter.
Lecture par Redjep Mitrovitsa à La Chartreuse le 11.12.08, à Paris-Villette le 16.12.08 et au Grand Parquet le 18.12.08 à Paris. Ces lectures sont la toute première étape de la création française qui se fera avec ce seul comédien.
Pièce sélectionnée par le Comité de lecture de France Culture.
Création dans une mise en scène de Yan Allegret, compagnie (&) so weiter, à la Scène nationale Le Grand R à la Roche sur Yon (85), le 15 mars 2011
avec Redjep Mitrovitsa. Création Sonore Yann Féry ; création lumière Cyril Leclerc et Yan Allegret ; création vidéo Cyril Leclerc .
Tournée de création 2011
— La Filature, scène nationale, Mulhouse,23 at 24 mars 2011
— CDN Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, du 4 au 8 avril 2011
— Le Carreau, Scène nationale, Forbach, 2- et 27 mai 2011