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Joanniez, Sébastien
Chouf
2014
jeudi 16 octobre 2014
Avec des dessins à l’encre de Chine d’Aurélie Bianchin.
Écrits au cours de voyages entre la France et l’Algérie, issus de rencontres ou totalement inventés, les textes de Chouf sont des pépites du passé, des bribes d’aujourd’hui, les éléments d’un pont qui se jette par-dessus la Méditerranée.
Ici, la poésie tente de dire le silence et l’espoir.
La page presque blanche allume des feux dans la nuit.
Car l’Histoire n’a pas encore éteint nos souvenirs, ni coulé nos bateaux, ni entamé nos appétits.
Partie 1
À la réflexion
Pacification
c’est pour ça qu’on était là-bas
pour pacifier
avec des armes
et des troupes
Aux champs
moi la médaille
je suis pas allé la chercher
on faisait les foins
alors la médaille
À la cuisine
en Algérie à l’époque
on dansait sur un volcan
on le savait
mais on était heureux
tous ensemble
les deux pieds dans le feu
Partie 2
Au foyer
l’Algérie
elle me manque un peu
pas trop
des fois
beaucoup
je sais pas
elle me manque partout
Au kebab
mais on est français maintenant
on a des enfants et tout
qui font les études et qui ont des enfants
on est pas des choses à emporter
A l’heure
C’est moi Fatima, je me réveille, je regarde le réveil, c’est l’heure, je me lave comme ça comme ça, les mains, la main gauche en premier, le front, les joues comme ça, je mets la gandoura, le hijab, et je vais prier dans ma chambre, pas longtemps, cinq minutes comme ça, et après j’enlève tout, la gandoura, le hijab, et je vais me laver, je m’habille, le pantalon, les chaussures, hop hop hop, les enfants ! C’est l’heure !
Comme ça tous les matins, on a pas le temps, mêmes les amies, si on dit qu’on boit un café, j’ai pas le temps, elles aussi, elles vont vite vite, avec les enfants, le travail, et tout et tout, on voit pas beaucoup les gens, un peu la voisine, elle vient chez moi, sinon pas trop les gens, on a pas le temps, on court toujours non ?
Encore j’ai mon mari, il m’aide un peu, pas la cuisine il sait pas, mais des fois il passe l’aspirateur, il s’occupe des enfants, que mon frère non, enfin un oui, il fait la maison propre propre, mais l’autre c’est un fainéant, il boit un café et il pose la tasse et il sort comme ça !
Mais mon mari non, il m’aide, il apprend les enfants, à l’école et tout, il apprend l’arabe aux enfants, on lit le Coran, la prière, j’apprends doucement aux petits, les paroles c’est dur au début, les enfants ils demandent toujours pourquoi, et moi je dis c’est comme ça, c’est obligé de vivre avec Dieu, et il faut marcher droit, pas mentir, pas voler, pas faire du mal, c’est comme ça.
Et il faut faire les études, ma fille elle veut la pharmacie, et mon fils la médecine, moi j’aime bien la médecine, mais il faut faire les études avant, et sinon il y a pas l’ordinateur, pas la télévision, sinon les enfants ils restent avec leurs copains et ils travaillent pas à l’école, alors hop, pas d’ordinateur des fois !
Et le travail c’est bien, moi je travaille depuis dix-huit ans, oui, dix-huit, bientôt vingt la médaille, oui, je travaille ici, je m’occupe des enfants, aujourd’hui on a dessiné le soleil, la mer, comme il fait froid, on a dessiné le soleil, oui oui !
Comme en Algérie, on y va les vacances, un mois, pas plus, moi j’aimerais plus, mais on peut pas, on reste là-bas un mois, moi j’aime là-bas, j’aime comme ici, moi je l’ai la double nationalité, parce que la France c’est mon drapeau, et l’Algérie c’est mon pays, mais je peux pas choisir, c’est comme entre le père et la mère, on peut pas choisir !
Partie 3
Au café
la maison des jeunes
c’est plein de vieux
qui se demandent quand les jeunes
vont venir jouer aux cartes avec eux
À la bouche
ici on a jamais de bisou
mon père une fois par an à l’aïd
et les amis c’est comme ça
tête contre tête
mais vous en France
c’est des fois quatre bisous
moi en France
j’irai dans la région des huit bisous
Au péage
on lancera des autoroutes sur la mer
à grande vitesse
France-Algérie en deux heures
avec les requins qui regardent
les voitures et les camions
passer sur l’autoroute
Extraits de presse
« Cette pièce très poétique et jouée sur un ton léger et drôle est un régal pour les yeux et pour les oreilles, elle pose des questions sans en donner l’air et nous questionne tout en nous replongeant en enfance…
A mesure que la pièce se développe et se crée, un nouvel univers s’ouvre à nous et nous emmène pour un voyage ludique, initiatique et incroyablement subtil.  »
[Jérémy Engler, L’envolée Culturelle, 8 novembre 2014]
« … un magnifique travail sur la bande son et des jeux de lumière intimement esthétiques (…) un vrai délice sucré salé qui laisse les spectateurs longtemps silencieux avant d’applaudir pendant de longues minutes.  »
[Jean-Claude Honoré, Le Dauphiné Libéré,février 2014]
« Le public a vécu des moments forts en émotion. Personne n’a pu se départir de cette question : Comment ne pas faire de lien entre cette histoire vieille d’un demi-siècle et les débats d’aujourd’hui ?  »
[Le Progrès, juin 2014]
« De son périple entre l’Algérie et la France, Sébastien Joanniez nous livre Chouf, regarde en arabe. Des cris et écrits d’une Méditerranée qu’il décrit en point de rencontres, d’aventures humaines réinventées. Par la magie de la poésie.
Sébastien Joanniez réconcilie les deux rives pour dépasser un passé qui a du mal à passer. Dans ces terres en vis-à -vis il y a des grandes similitudes et des grandes différences (…)  »
[Soumaila Sunjata Koly, c-lemag.com, avril 2015]
« Comment parler des Algériens sans tomber dans des lieux communs ? Que dire de l’Algérie ? Comment qualifier la France ? Que retenir de cette histoire commune entre la ces deux pays ? Colonisation, guerre, émigration : trois réalités, trois brà »lures qui résonnent dans l’esprit de beaucoup.
A la faveur d’une rencontre entre un auteur, Sébastien Joanniez et la compagnie Arnica, une création multiple est née. Tout d ’abord un texte "Chouf ", une trilogie théâtrale "Ecris-moi un spectacle" , très justement sous-titrée " 3 spectacles autour du lien franco-algérien", et -pourrait-on ajouter- algéro-français pour souligner un univers, une manière de voir, de dire, de transmettre.
Parlons du texte : ce qui agit immédiatement à sa lecture vient de sa construction, situations du quotidien, touches légères de bribes de souvenirs qui apparaissent et disparaissent, rappelant la technique du fondu enchaîné utilisée au cinéma, à la manière de Godard ou Truffaut.
On aimerait revenir en arrière mais on est déjà pris par ce qui va suivre.......un peu comme la mémoire, différente en fonction des jours et pourtant la même dès lors que des choses remontent à la surface que l’on croyait évanouies, il suffit de si peu pour que tout revienne et submerge...
C’est ce qui caractérise l’écriture de Sébastien Joanniez qui a effectué des voyages entre les deux pays, rapportant des fragments de vie avec beaucoup de délicatesse poétique, que ce soient des mots, des mains, des entretiens, des photos, des voix et des visages "issus de rencontres ou totalement inventés".
Son style favorise la lecture à voix haute comme un monologue intérieur surgissant d’un silence enfoui. (…)  »
[Djalila Dechache, Babel Med, 10 juin 2015]
« Chouf est un recueil de petits textes poétiques et de dessin (…), c’est 66 textes en forme de poèmes, dialogues, monologues, comme des pensées, des constats dressés.
66 textes tout en retenue, qui racontent des cauchemars et des rêves.
66 voix d’hommes, de femmes, de jeunes, d’enfants, 66 visages, 66 situations, 66 vies, bribes d’hier et d’aujourd’hui, espoirs de demain, 66 images fugaces et indélébiles. (…)
La langue est simple, à la fois naïve, timide et terrible. (…)  »
[Grazietta Végis, Les chroniques, décembre 2014]
Distinction
Sélectionné pour le Prix Sony Labou Tansi des lycéens 2017
Vie du texte
Ces textes ont vu le jour dans le cadre d’une aventure initiée par la Maison du Théâtre (Jasseron – 01), baptisée « Écris-moi un mouton  », relayée et soutenue par de nombreuses structures et personnes, mise en œuvre sous la direction d’Émilie Flacher.
De l’Ain à la Meurthe-et-Moselle, des Ardennes à Nîmes, de Marseille à Alger, de Saint-Priest à Roanne, « Écris-moi un mouton  » a voyagé pour en arriver à ce livre. Sur cette route, les rencontres ont défilé, des visages et des voix, des mains et des mots, fugaces ou indélébiles.
Avec eux, avec elles, de témoignages en entretiens, de photos souvenirs en anticipations, nous avons tenté de marcher dans le passé, le présent et l’avenir du lien franco-algérien, et d’en revenir avec des spectacles d’objets et de marionnettes :
— On dirait rien longtemps (puis tout à coup tout) a été créé par la Compagnie Arnica en octobre 2012 à la Maison du Théâtre (Jasseron – 01).
— On vivrait tous ensemble (mais séparément) a été créé par la Compagnie Arnica en mai 2013 au Théâtre Gérard Philipe (Frouard – 54).
— On en croirait pas ses yeux (au début) a été créé par la Compagnie Arnica en novembre 2014 au Théâtre de Roanne (42).
Spectacle au Théâtre Théo Argence, Saint-Priest (69), le 7 novembre 2014.
Tournée 2015
— Théâtre de Bourg-en-Bresse, du 20 janvier au 5 février
— Scène conventionnée, Vendôme, 15 février
— Centre culturel de la Ricamarie, 27 février
— Saint Fons (69), 10 octobre
— Festival Eclats de Scènes, Bonneville (74), 24 octobre
— Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières, 26 et 27 septembre
— Gonesse (95), 10 novembre
— MJC de Persan (93), 13 novembre
— Festival Le Marché noir des petites utopies, Marseille, 12 décembre
Tournée 2016
— Théâtre de Vienne (38), 7 et 8 janvier
— Théâtre Nouvelle Génération-CDN, Lyon, du 26 au 29 avril
— Château-Rouge, Annemasse (74), du 28 novembre au 3 décembre
— Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains (74), du 7 au 9 décembre
Reprise, sous le titre Ecris-moi un mouton, par la compagnie Arnica dans une mise en scène d’Émilie Flacher, avec Clément Arnaud et Agnès Oudot, marionnettes et machinerie Florie Bel, Émilie Flacher et Pierre Josserand, Théâtre de marionnettes de Genève (suisse), du 25 au 28 novembre 2021.
Lecture sonore lors du Festival des arts vivants Résurgence de Lodève, avec Sébastien Joanniez et Luc Sabot, compagnie Nocturne, ainsi que Pierre Lassailly (clarinettes, percussions...), le 17 juillet 2015.