Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.
[p. 35 Ã 38]
Chef, voyant Scoter. - Oh... mais qui j’aperçois là -bas, qui essaie de se planquouser à une table avec sa mignonne petite fiancée, mais c’est notre ami Scoter ! Scoter vroum, vroum... (Il imite le bruit du scooter pour aller jusqu’à eux.) Salut Scoter !
Scoter, mal à l’aise. - Salut, Chef... (Apercevant Bleu-Bite) Nom de Dieu Maurice, c’est pas vrai, Maurice, te v’là milicien ?...
Bleu-Bite, crâneur. - Eh ouis Scoter, j’ai choisi moi, mon pote. Bon boulot, bonne paye, pas de chômage...
Chef. - Ah non, pour nous, pas de chômage, avec le paquet de lascars qui traînent leurs savates dans le quartier, hein Scoter ?
Bleu-Bite. - Et pis d’abord, je mappelle plus « Maà »rice  » ! Y’a plus de « Maà »rice  » ! C’est fini « Maà »rice  » ! On n’est plus à l’école Scoter... Tu te souviens de l’école Scoter ? Quand tu m’envoyais toujours faire tes courses, j’étais ton larbin, ta bonniche, ton souffre-douleur...
Scoter, cynique. - Mais non, Maurice, mais non...
Bleu-Bite. - C’était toujours toi qui te soulevais les belles gonzesses, et moi, Ã chaque fois, j’étais le crétin de la bande !
Scoter, Ã Ni-Ni. - mais qu’est-ce qu’il me raconte ces vieilles histoires ?
Bleu-Bite. - Et le jour où tu m’as largué, en plein nuit, dans la neige, que tu m’avais piqué mes pompes et mon blouson, et que t’es parti avec la bagnole à mon père, tu te souviens de ça ?
Scoter. - Eh ben tu vois, t’as quand même réussi à rentrer...
Bleu-Bite, énervé. - Te fous pas de ma gueule en plus ! Aujourd’hui, malgré ta belle petite tronche, et ta folie fiancée, c’est plus toi le caïd...
Scoter, faux-cul. - OK, les gars, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? Vous avez besoin d’un tuyau ?... Je suis un mec réglo, vous l’savez bien, hein ?
Les miliciens rigolent, menaçants.
Potier, presque en diversion. - Hé Chef, une petite partie ?
Chef. - Ah normalement pas pendant le service, mais enfin, c’est dimanche, et puis, il fait tellement chaud... Tiens donc, les dames jouent au 4-21 à présent ? T’as déjà vu ça toi, Bleu-Bite ?
Bleu-Bite. - Ben, une dame qui joue au 4-21, c’est quand même plus simple que 4-21 qui jouent aux dames ! Hahahaha ! ! !...
L’assemblée ne peut s’empêcher de rigoler.
Chef. - Qu’il est con !... (Hurlement.) À boire ou j’tue l’chien ! ! ! ...
Redoublement de rires.
La Vieille, Ã un chien imaginaire. - N’aie pas peur mon chien-chien...
Georges Neu. - Voilà , voilà , une tournée de fine...
Ni-Ni et Scoter se lèvent discrètement pour partir.
Chef, autoritaire. - Bouge pas de là Scoter, j’ai quelques petites questions à te poser... pendant que je joue.
Scoter. - Je bouge pas Chef, je bouge pas. Hein Ni-Ni ? On est bien ici, chez Georges, Ã s’envoyer des petites fines derrière la cravate, par cette chaleur... (À Ni-Ni.) Quel crétin !...
Ni-Ni, sà »re d’elle. - Mais oui, Scoter chéri, on est bien...
La Vieille, Ã son chien. - Tiens mon chien-chien, tu veux une petite
cacahuète ?... Comment ? Tu n’es pas content ?... Ha, tu n’aimes pas les uniformes ? Ha oui c’est vrai tu te mets toujours en colère quand tu vois le facteur ou l’employé du gaz ; décidément on s’en sort pas du gaz, hein mon chien-chien ? Ni du gaz ni des uniformes. Tu sais, ils sont pas méchants les messieurs. Ils parlent juste un peu fort, et puis ils plaisantent beaucoup, mais ils ne sont pas méchants...
« C’est une dramatisation de certains aspects négatifs de la société occidentale : une banlieue comme tant d’autres avec ses immigrés, une station-service dont le vieux gérant maghrébin est mort au cours d’un braquage, un bistrot (lieu unique de l’action ) fréquenté par les gens du quartier, deux miliciens, un homme sur le retour qui tente de refaire sa vie avec une prostituée de vingt ans sa cadette, une vieille femme à l’esprit dérangé, et trois jeunes, Saïd français d’origine maghrébine, Scoter et son amie Nini.
Le milicien chef et Saïd savent que l’auteur du braquage est Scoter, revendeur de drogue occasionnel. Le premier profite de la situation pour s’en prendre à Nini en menaçant les uns et en entraînant les autres. Le viol est imminent lorsque Saïd arrive et prévient Scoter que ses " frères " sont à sa recherche. Même jeu du milicien à l’encontre de Saïd en excitant le racisme latent des clients, et cette fois-ci le jeu va à son terme : Saïd est laissé pour mort derrière le comptoir.
C’est une pièce réaliste, les personnages sont frustres, le langage quotidien.
Le schéma en est très classique (unité de temps, de lieu, et d’action) ; l’intrigue repose sur le suspens et la pression psychologique La situation d’enfermement, très forte, concentre les effets du réel et fait apparaître une fatalité dans l’engrenage de la violence et de la haine ; ceux qui n’entrent pas dans ce cercle ne sont pas en mesure de le briser. Le lecteur comprend aussi comment de vagues idées xénophobes s’ajoutant aux frustrations intimes peuvent déboucher sur des comportements monstrueux. Une démonstration in situ sans didactisme apparent, ce qui est pour beaucoup dans l’intérêt de cette pièce. »
[Bulletin critique du livre français, n° 583, avril 1997]
Pièce diffusée sur France Culture le 27 février 1997.