Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Monologues pour
et autres textes

Textes pour un clown

pour Philippe Goudard

Marion Aubert

UN

Non mais ça n’est pas si répugnant pour le moment, pas monstrueux, du moins, l’équilibre je le tiens encore bien, puis quand viendra le temps du flétrissement puisqu’il viendra, quand décrépi mon corps, quand flasque et sans envie, peut-être n’attendras-tu plus de moi la chair enfin, peut-être autre chose, l’immatériel déjà, peut-être amoureuse de ma transparence seras-tu, peut-être mon fantôme chériras-tu, car assez vue la chair et comprise depuis longtemps, nous n’aurons plus notre vigueur d’antan mais pour l’instant, ça t’excite encore alors àquoi bon m’inquiéter non, décidément non je ne suis pas gêné.
Puis tout le monde n’est pas làpour te juger quand même, ce n’est pas seulement sur toi que tous les regards se traînent, il y a d’autres sujets d’intérêt, ton corps n’est pas l’unique objet, tout le monde n’est pas sur toi de se dire, quel corps ce Goudard non mais quel corps alors n’en fais pas tout un plat, Goudard déshabille-toi, puisqu’il faut le faire c’est prévu c’est nécessaire dixit le metteur en scène ce gros pervers alors bon. Qu’y a-t-il àvoir finalement ? Je n’ai pas le corps plus marqué qu’un autre après tout, je n’ai pas le corps criblé de brà»lures par un fada, mais peut-être en me livrant ainsi, nu, sans tabou, le corps àla merci, peut-être me percerez-vous, peut-être ainsi me percevrez-vous, c’est un risque àprendre et quitte àse montrer. Décelez-vous la vérité de mon corps pour vous ? Décelez-vous l’inquiétude ? Ma fièvre ? Mon passé d’athlète surtout ? Décelez-vous ma fierté ? Puis le temps qui s’agite, qui s’acharne sur moi ça vous intéresse ? Non mais fallait tenter pour voir car jusqu’àprésent, jamais livré mon corps de Goudard il était temps. Quel risque. Et certes d’autres l’ont fait, mais j’étais d’outre-mode dans ce temps-là, je n’étais pas au courant. Le théâtre allait tout nu, je portais encore un justaucorps car je suis artiste, puis nul n’est mort de ridicule et peut-être au moins ça resterait, quelqu’un s’en souviendrait, le Goudard est mort sur le plateau, honteux, misérable d’avoir exhibé sa pauvre nudité non mais qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour passer àla postérité c’est intéressant.

Car en digne fils d’Apollon le Barbare, j’offre mon pénis àl’assistance vous pouvez le toucher ça porte chance, non mais n’importe quoi, qu’est-ce que tu fais Goudard calme-toi, quelqu’un voudrait-il me sculpter ? Car peut-être un sculpteur est-il de parmi vous, peut-être fantasme-t-il mon corps fané puisque c’est troublant le fané de nos jours, c’est émouvant, peut-être va-t-il m’édifier, m’ériger sur la place du marché le Goudard nu, trônant, bien en bronze le muscle puissant, puis toutes les vieilles de glousser, de passer la main sur mon torse et mon sexe car quand même on n’en parle pas, mais depuis le début vous ne pensez qu’àça c’est intéressant.

Pourtant, j’ai des doutes parfois, vivons heureux vivons cachés braillait ma mère un monument ma mère on en reparlera, puis dévoiler quoi puisque parfois vaut mieux pas que trop, mais si peur du trop quoi tenter c’est dur, trop dur la sexualité quoique bon. Car pas d’envie, pas spécialement d’envie parfois juste une bonne étreinte et ça suffit. Une bonne étreinte en pyjama c’est bien. J’aime bien ça.

Mais si j’ose peut-être d’autres vont-ils oser, peut-être d’autres vont-ils se dire alors ? C’est autorisé ? C’est légal de se montrer ? Puis tout le public alors et surtout les techniciens, de me prendre la vedette et tout le théâtre en fête, tout le théâtre nu mon Dieu quel scandale et tous àsortir dans les rues, la pagaille et la ville noyée d’exhibitionnistes endiablés, le maire, le député, puis tous ils moururent de pneumonie car c’était l’hiver et tout ça par ma faute c’est intéressant.
Le corps. C’est très intéressant le corps c’est très intéressant. Passionnant le corps et passionné par le corps, j’entreprends de vous faire partager ma passion, c’est légitime puis il me faut des exemples concrets, puisqu’on ne va pas se priver non mais c’est vrai quoi faut partager c’est le lieu sinon quoi. Regardez-le vite.


Tous autant que vous êtes,
vous les autres tout alentour

Emmanuel Darley

Elle s’avance un arrosoir àla main. Dévisage les gens.

Non mais hé ! Ho !
Qu’est-ce c’est l’histoire là ?
Faudrait voir àpas m’emmerder, hein, pas m’emmerder tous ceux-là.
Les monuments et puis les aut’là.
Pas m’emmerder. Chez moi ici.
Pas m’emmerder tous là, ceux-làavec les belles bagnoles ! Rien du tout ça les bagnoles, les ho la la qu’est-ce qu’elle est belle, oh la la le confort, et le cuir, t’as vu le cuir, touche, vas-y, touche. Rien de rien !
Pas chier ouais !
Bien avant eux j’étais !
Tout’ p’tite même.
Des tas d’années làdans ces murs.

Fait mine de s’en aller. Revient.

Manqu’raipluc !

Pose l’arrosoir. Va chercher une chaise qu’elle approche. S’assied.

J’vais m’installer làtiens. S’toire de voir.
Surveiller. J’ter un œil, ouais.
Pas taiseuse moi, jamais d’la vie.
Si faut qu’j’parle, hein.
Haha !
Pas m’laisser faire, non ?
Faudrait voir.
Qu’est-ce qu’y croient ?
Aim’raient bien que j’file ouais.
Rêvent que d’ça ouais.
Pouvoir disposer.
Faire leurs trucs là, chez moi, àma place, comme si que.
Pas gênés.
Juste là !
Parce que bon, pas croire hein.
Pas non plus non plus.
Belles bagnoles, sièges en cuir et tout ça hein.

Elle se lève, va arroser. Se tourne vers la façade.

Pas m’faire chier !
S’croient tout permis même s’inviter àm’jeter dehors àcoups d’biftons.
Tout permis ouais.
Coups d’biftons, p’tit pécule, belle affaire blahblahblah.
Attendent ouais, peuvent bien.
Reluquer ouais, zieuter chez moi.
Comme si que mais non.
Rien de rien.
Tout permis, non mais quoi.
Comme l’aut’ là, d’avant.
Tout pareil ouais.
Élie Affre, là. L’aut’cocu.
Bon.
Toujours cru qu’pourrait me.
Toujours cru ouais.
Tintin ouais.
Toujours lààm’coller.
Les yeux doux, les violettes et le tintouin.
Haha !
Pensait Élie Affre, s’y voyait d’jà, Élie Affre : Élie Affre, acceptez-vous d’prendre pour épouse.

Non mais t’imagines.
T’imagines ?
Haha !
Aurait pas manqué hein.
Elle se lève, va arroser. Va de-ci, de-là.


Elle attend d’être àmoi

Laurent Gaudé

ELLE.
Cette maison, mes frères, cette maison, avec les hautes fenêtres et l’escalier, c’est chez moi, chez nous, je devrais dire. Mes frères.

J’attends mes frères, ils vont venir. Ils marchent. Je suis bien. J’attends. Je suis bien la sœur de mes frères.

Cette maison, avec les hautes fenêtres et l’escalier, il y rentre des femmes qui me dévisagent, il en sort des hommes qui me dévisagent, qui se trompent, qui pensent être chez eux, qui se trompent parce qu’ils dorment ici ou travaillent ici, mais je sais, moi, je sais que mes frères ne tarderont pas àvenir.

Ils marchent comme je marche. Ma mère nous a appris. Elle le tenait de sa mère, Armenui, grande petite mère au visage de soleil. Je n’ai pas oublié. « Tchiga tchiga tchiga...  » Marcher. Sans se plaindre. Sans souffrir. Aller plus loin que la fatigue. Marcher. Elle nous a appris. À moi et àmes frères, mes quatre frères. Nous savons marcher, comme personne.

Les hommes et les femmes qui pensent habiter ici sortent, descendent le perron, marchent jusqu’àmoi et demandent ce que je veux, ce que je fais là, je ne réponds pas. Le jour, tout le jour durant, je reste là. Dans la cour. Face àla porte vitrée et àl’escalier.

Mes frères.

Partis il y a longtemps. Un àun. Le plus grand d’abord, puis les autres, régulièrement. Du jour au lendemain. Disparus. Je demandais après eux. On me disait qu’ils étaient partis, faire leur vie, de par le monde. Faire sa vie. Attendre d’avoir l’âge. Puis, comme eux, chacun de mes quatre frères, un beau jour, partir et faire ma vie. J’y ai cru. Ça allait être mon tour. Les routes du monde. Je ferai comme eux, j’oublierai ce que je suis. Je ne donnerai plus de nouvelles, on me croira morte, la vie passera. Des miens, il ne me restera plus que cette façon de marcher, têtue, j’y ai cru.


Le jour ne se serait plus jamais levé

Laurent Gaudé

ELLE.
Vous aussi. Oui. Bien sà»r, vous aussi, mais ça ne se dit pas, n’est-ce pas. (Temps.) C’était là. Ils poussaient la porte. Comme nous l’avons poussée. De la rue, on ne voit rien. C’est bien ça. La porte se referme. On est là. Vous aussi, ça vous fait ça. Juste là. La façade devant soi. C’est comme une promesse. Oui. (Temps.) Depuis toute petite. Comme vous sà»rement. Je l’ai entendu. Dans la bouche de ma mère, je crois. La première fois. Oui. Mon père, sà»rement pas. Les hommes ne parlaient pas de ça. Ma mère, oui. Ça a dà» lui échapper. Une moue de dégoà»t sur les lèvres. La grimace de la femme assaillie par le temps. La première fois, elle a dà» dire « un endroit de perdition  ». Oui. Ça devait être ça. Pas plus. « Un endroit de perdition  ». Je n’ai pas compris. Plus tard, oui. Plus tard, je dois dire, elle est devenue plus précise. Elle pouvait être comme ça. Ma mère. Avec l’âge. Violente. Vous voyez. Vulgaire. Plus tard. Oui. Elle a dit. « Un endroit de baise  ». Ça a déformé son visage. Comme si elle vomissait. Elle n’y était jamais allée. Pas le genre. Je sais bien qu’on a eu des surprises. Certains dont on aurait jamais pensé. Mais elle, vraiment, non. Elle a dit ça parce que c’est ce qu’on disait. « Un endroit de baise  ». Je me suis demandé. Ça m’a stupéfaite. J’y ai repensé. Elle n’avait pas dit « bordel  ». Non. Elle aurait pu dire ça. Un cloaque. Ou un lupanar. Des mots comme ça, c’était fait pour elle. Mais ce qu’on disait àl’époque, c’était ça. On disait, comme ça, vous vous souvenez, on disait que dans la ville, en plein centre ville, près des écoles et des commerces, ça baisait. Pardon. Je sais. Ça ne se dit pas. (Temps.)


Tu veux pas ?

Laurent Gaudé

ELLE.
Tu viens, tu te poses devant moi, tu me regardes sans rien dire, avec cet air, là, tu veux quoi ?

Je ne parle plus.

Tu es têtu, tu restes, tu ne dis rien, tu attends, avec cet air, là, toujours et je vois dans tes yeux, l’attente, mais je t’ai dit déjà, je me tais, je ne parle plus.

Espère pas. Répète-le-toi, si tu n’y crois pas. Répète-le-toi tant qu’il faudra pour t’en convaincre. Espère pas. Rien. Tu seras déçu. Je ne suis plus comme j’étais.

Je ne parle plus.
Tu souris encore, les pattes d’oie autour des yeux, les dents qui apparaissent, comme si tu t’éclairais d’un coup, ou que tu te moquais de moi. Tu te moques de moi ? Non, tu souris grand, large, comme un cadeau, ça doit être bizarre pour les gens qui passent, nous deux, là, face àface, àse taire, si près, et toi, qui souris tout grand, ça doit être bizarre.

Avant, si tu m’avais connue avant, un homme comme toi, qui serait venu si près, qui m’aurait regardée comme ça, j’aurais pas résisté. D’emblée, j’aurais plongé et je savais faire. Les hommes, avant, je les faisais rire. Les hommes avant... J’avais des talons hauts, des bas résille ou le genre, j’étais grande avec de belles jambes, longues, que j’aimais bien montrer, qu’ils aimaient bien regarder, ils posaient leurs yeux dessus, je posais la main par là, et puis je disais, je disais, je ne sais pas, avant ça me venait, un truc, n’importe quoi, je disais comme ça et ils riaient aux éclats. Il me semble des fois que j’ai encore leur rire autour du cou, là, tu vois ?


Stabat ira laetitia

Michaë l Gluck

àd’où je viens / ça s’est pas beaucoup dit // alors je comble // et tant pis tant pis si / ça se bouscule au portillon / si ça flue déborde / si / si ça guimauve pas sec / tant pis le pire // une qui parle / de la nue dans les yeux ça vous fait / vous agresse vous submerge / ça vous fait / bourses en folie / nouvelle chute / toujours pareil oui / je sais // bouche qui s’ouvre / jupe qui se relève / et là-dessous rien / rien sinon buisson de virgules / rien de rien / sale temps sur les bourses mondiales / que ça méduse / que ça fait peur / bouche qui s’ouvre / de l’éructation / vous dites / du sale / les mots qui se déversent / les lèvres qui s’écartent / du sale vous dites ///

parler c’est façon de crier / parce que / des fois / oui des fois / y a que quand on gueule qu’on se parle // qu’on s’entend pas du tout / mais qu’on se parle // y a que / y a que quand / tout l’silence a bâillonné les mots / qu’on s’exonde du mutique / qu’on déverse / dans la colère on déverse / valorisation colossale des actifs / et qu’on pisse / des pisseuses les unes / des pisseuses / vous dites / vous les uns / vous dites ///

parce que les mots rugissent / parce que les mots flambent / prescription de médicaments / plus 7,7 % // parce que les mots sont criés / même àvoix basse sont criés / parce qu’ils ont l’insolence de la jubilation / parce que les mots // dans la douleur et dans le cri de la douleur / bile jubile / même àvoix basse / sortent de ma voix basse / indemnités journalières / plus 14 % / même / sont hurlements / vous dites / les mots qui tombent de ma bouche basse // honoraires / plus 5,4 % // vous dites / et qu’est-ce qu’elle a / celle-làcette obscène / mais qu’est-ce / cette chose monde / qu’est-ce // accouche l’immonde / met bas le monde / fait immondice / elle dépose ses ordures devant nous / aux yeux de tous / devant nous / et moi je suis basse continue langoureuse / basse continue que vous dites tombée de moi / alors vous musiquez / votre musique àvous / les uns / votre décomposition musicale / et moi / je / moi je ris ///

ça s’est pas beaucoup dit / alors je comble // j’engloutis / déglutis / avale / dévale / mets les mots debout face àla débandade / je ris // j’ai des rires de guerre / face àla débandade /// du trou d’où je suis venue / j’avance avec mon trou / vous ne dites rien / vous ne voyez rien / vous n’en pouvez plus /// et je ris mm / mm / mmm / ou / m’ter / mutter / muterus / ter ou ter / né ou terre / neutre / se tait neutre / mutter se terre / dans le silence neutre se terre / mm / mm / mmm / quoi que qui quand qu’on / qu’on le dise / ni l’un ni l’autre / neutre / j’ai l’histoire du monde / la cendre et l’ordalie / février trente-quatre / les surins coupent les jarrets des chevaux lancés sur la foule / pourquoi février trente-quatre / et pourquoi / lames de rasoir et verre pilé collés au coin des affiches / la carte du monde / la carte du temps / entre les jambes écartées / regardez donc /mais regardez donc / la peur / les siècles / les / mm / mm / mmm / m’ter / les m’territoires / mais non / regardez // des bouches débondent / aujourd’hui / des mots qui passent les matrices / scène obscène / m’ter / mutter // ça coule / onde / inonde / tout ce qui travaille les hommes / vœux craintes colère / volupté // joie intrigue / tout / en ces mélanges vivre /// mm / mm / mmm / ou / m’ter / mutter / muterus // vivre/


Lorène dans l’escalier

Gilles Granouillet

Talons aiguille dévalant l’escalier.

61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, arrête Lorène ! Lorène. Si vite ? Plus que 17, arrête, les talons, les voisins, les talons chez les voisins, folle, folle y pensent, elle va où là ? On l’écoute là. Dégringole, dégringole derrière la porte.

Quoi les voisins ? Connais pas les voisins. Connais mon ventre vide. 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77.

Moi, Lorène. 37, mariée depuis 14 àDanou, j’aime Danou, Danou 10 rue de la Valfère ça va le faire, homme de ma vie, représentant Honda tondeuses pelouses et gros jardinage, lui frère moi sœur un peu comme bien sà»r maintenant, bien sà»r maintenant joli quand même chemin commun, long chemin beau, indélébile ça.

Moi... Donc oui, Lorène, oui, métier oui, bien, plutôt bien, 7 ans de métier, oui. Il faut le dire, il faut tout dire 7 ans, 3 enfants Lorène, métier oui, enfants oui, Lorène là, dans la cage d’escalier qui court comme une folle.

Dépêche-toi ! 3 petits enfants je sais plus comment ils s’appellent, dépêche-toi ! Regarde tes cuisses, regarde tu brilles ! Dépêche-toi ! Suis votre mère, salope. 78.

8. Plus que.

Lorène avait huit ans. Le garçon aussi.

Au dernier. 11 étages. Je compte jusqu’à10, pars je te rattrape et je t’attrape il dit, je descends comme une folle tous les onze, je vole, tout en bas, une peur bleue, àmourir, qu’il m’attrape. M’attrape jamais, juste derrière, aurait pu mais toujours resté derrière, jusqu’en bas, jusqu’àla cave.

Làreste en face. Souffle ensemble. Haleines mêlées. Face àface, les yeux mêlés, longtemps. Moi pareil, le creux dans le ventre pareil qu’aujourd’hui à37. Lorène avait huit ans. Lorène toute neuve. Dans les nuages voit des destins charmants... huit ans...


Une hirondelle ne fait pas le printemps
même avec son tutu rose
(Une débagoulée improvisée, Allegro vivace
en tutu, pointes et plein de fleurs en crépon)

Daniel Lemahieu

J’étais Doumée sur la table, dessous moi les toros àbistourner, en face de moi un rouge, et Daniel encore dans sa tête de veau. Bistourne, ma fille, bistourne. Comment le sortir de là, de sa tête avec mon chiffon rouge ? Hé !... Hé !... Ho !... Il me voit pas le con, me regarde pas l’imbécile ! Enculeur de nichons ! Muleta ! (Chanté) « Moi qui l’aimais tant... Ollé ! / Tel qu’il est, il me plaît... Ollé ! / Sans 1. Tout ce qui est indiqué « chanté  » peut être fredonné marmonné, etc. lendemain, sans rien qui dure... / Adieu la vie, adieu l’amour... Ollé ! / Du gris que l’on prend dans ses doigts...  » / Ça marche pas. Du gris, on dirait du petit gris, comme de l’escargot. Le manège qu’il me fait quand il me tient dans ses bras, qu’il me parle tout bas, je vois la vie en rose, il me dit des mots d’amour... Enculeur de nichons ! C’est le capitaine Haddock ou Kadok ou Kodak ou Hodbach ou Colback. Mais le manège, enfin pas lui, Daniel, mais l’autre Sponsz, le Sponsz en train de proposer àsa partenaire, sa mère, dans le manège, àcôté de moi, de chevaux de bois, de la battre, sa mère tant qu’elle est froide, juste question de la chauffer. J’étais grimpée sur la table, dessous moi les toros, àvouloir tout lui faire de la femme fatale pour le sortir de sa tête. Mais pas possible. Je suis en forme aujourd’hui. Je devrais dire en voix. (Chanté.) « Moi qui l’aimais tant...  » Hé, enculeur de nichons, je m’appelle Marguerite, la ratasse de l’opéra. Il m’écoute, tu parles ! (Chanté.) « Réponds, réponds, réponds vite. Daniel.  » Où-il-est-encore-celui-là-dans-sa-tête-pendant-que-l’autre, Sponsz, dans le manège, il tabasse sa mère ? Une hirondelle ne fait pas le printemps. En l’entendant taper sur sa mère, pas lui, Daniel, quoique, mais l’autre Sponsz (Chanté.) « Soudainement je lui dis : c’est aujourd’hui dimanche  » (ça c’est vrai) tiens ma jolie maman, j’ai pris des roses blanches (trois pains sur la gueule), toi qui les aimes tant. Et quand tu partiras, au grand jardin là-bas (trois pains encore sur la gueule), toutes ces roses blanches, tu les emporteras.  » Avec cette brute, elle avait déjàla gueule toute bleue, la mère. (Chanté.) « Ah, je ris de me voir si belle dans ce tutu. Est-ce toi, Marguerite, réponds-moi, réponds-moi, réponds, réponds, réponds vite.  » D’habitude, il me répond jamais, il fait que la distribution des pains. Et tiens ! Et tiens ! Et voilà ! Et làencore ! Et encore là ! Tiens, prends encore ça ! (Chanté.) « En v’làdu blues, en v’la. Des pains ! Dans la gueule !  » Et comme s’il en pleuvait ! Mais arrête de me pleuvoir ! Et de-ci et de-là ! En voici, en voilà ! À côté de ça, les gueules cassées, c’est de la bibine ! Vous voyez ça ? Et encore ici ! Et par là ! C’est pas possible ?

Extraits de presse

« Fabienne Bargelli, une des fidèles de la compagnie Labyrinthes, dit la déchirure d’une femme entre raison et désir, ses doutes et ses choix, la tension perpétuelle entre corps et esprit.

Ce court monologue, Lorène dans l’escalier, fait partie des cinq monologues commandés par la compagnie àcinq écrivains en octobre 2002 (publiés dans Monologues pour... et autres textes). »

[L’Est-éclair, 18 novembre 2004]

Vie du texte

Cinq de ces textes ont été mis en scène par Jean-Marc Bourg (compagnie Labyrinthes) lors de la manifestation des Lunatiques àl’Hôtel de Lunas àMontpellier, en octobre 2002 :

— Tous autant que vous êtes, vous les autres tout alentour d’Emmanuel Darley, avec Stéphanie Marc ;
— Elle attend d’être àmoi de Laurent Gaudé avec Alexia Balandjian ;
— Stabat ira laetitia de Michaë l Glück avec Catherine Vasseur ;
— Lorène dans l’escalier de Gilles Granouillet avec Fabienne Bargelli ;
— Une Hirondelle ne fait pas le printemps même avec son tutu rosse de Daniel Lemahieu avec Doumée.

Mise en scène de Elle attend d’être àmoi de Laurent Gaudé par Arlette Desmots, compagnie Ekphrasis, àMontreuil, lors du festival "Théâtre au jardin", du 30 mai au 15 juin 2008.

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