Éditions Espaces 34

Théâtre du XVIIIe siècle

Essais et pièces rendant compte de la grande variété de formes du théâtre du XVIIIe siècle

Extrait du texte

Acte I, scène I, p. 19

Pauline, elle sort la première de sa chambre, comme fuyant Clénard qui la suit, Clénard

CLÉNARD
Voilà donc le sujet de vos refus, Pauline ?
Je ne suis plus surpris de cette humeur mutine
Que vous mettez à tout ; ah ! ah ! voilà le nœud !
On veut vous enlever, et c’est de votre aveu !
N’avez-vous pas de honte ?

PAULINE
En quoi donc, je vous prie ?
Ne puis-je suivre un homme à qui je me marie ?
Et que j’aime ?

CLÉNARD
Ah ! fort bien : que vous aimez... Et moi,
J’entends, je ne veux pas que vous l’aimiez.

PAULINE
Eh quoi !
Dois-je prendre de vous conseil sur cette affaire ?
Vous êtes mon tuteur, il est vrai ; je révère
Ce titre paternel. Mais, Monsieur, jusqu’ici
En avez-vous rempli les vrais devoirs ? Ainsi,
Pourquoi vous fâchez-vous ? Pourquoi me faire un crime
De vouloir échapper au tyran qui m’opprime ?

CLÉNARD
Petite ingrate !

PAULINE
Ingrate ? En effet, j’ai de vous
Reçu de grands bienfaits.

CLÉNARD
Redoutez mon courroux.
De mes soins vigilants telle est la récompense !
Je l’ai fait élever dès sa plus tendre enfance.
C’est un petit serpent réchauffé dans mon sein.
Maître de chant, de danse, et maître de dessin,
Je n’ai rien épargné ; rien pour elle...

PAULINE
Sans doute :
Je sais bien à peu près ce que cela vous coûte.
Tous mes parents sont morts, ils m’ont laissé du bien ;
Vous en avez été jusqu’ici le gardien :
Au couvent j’ai resté quatorze ans renfermée ;
Mon éducation, en ces lieux, s’est formée ;
Vous avez, pour cela, payé ce qu’il fallait ;
C’était votre devoir.

CLÉNARD
Taisez-vous, s’il vous plaît.

PAULINE
Je ne me tairai point, et je veux bien vous dire
Que je vois à quel but votre avarice aspire.
Vous m’aimez, dites-vous, et voulez m’épouser ?
C’est un plan que mon cœur ne peut favoriser.
Mon âge est à l’amour, le vôtre à la richesse :
Moins riche, je croirais mieux à votre tendresse.
Au reste, vous pouvez m’aimer à votre gré,
Je ne l’empêche pas ; mais soyez assuré
Que vos soins n’ont encor rien produit sur mon âme,
Et je crains que jamais vous ne m’ayez pour femme.

CLÉNARD
Vous le serez, morbleu !

PAULINE
C’est ce que nous verrons.

CLÉNARD
Eh bien ! vous allez voir le prix de tant d’affronts :
Vous ne sortirez plus. J’ai chassé Dorothée,
Qui, veillant sur vos pas, s’en est mal acquittée.
Je voudrais bien savoir, à propos de cela,
Par quel art je vous trouve au point que vous voilà,
Et comment votre amour et sa correspondance,
De cette gouvernante ont trompé la prudence ?

PAULINE
N’avez-vous pas surpris mes lettres ?

CLÉNARD
Oui, vraiment,
Je les ai ; je connais le nom de votre amant ;
Sans doute le rusé se sera, par finesse,
Introduit céans ?

PAULINE
Non, jusqu’ici notre adresse
N’a même pas osé s’en permettre l’espoir.
Nos lettres disent tout ; vous n’avez qu’à les voir.
Le moyen, s’il vous plaît, qu’il eût franchi la porte ?
Tout n’est-il pas fermé comme il faut ?

CLÉNARD
Il n’importe.

PAULINE
Ma chambre est à l’écart et donne sur la cour ;
Vous m’enfermez la nuit, et m’obsédez le jour...

CLÉNARD
Pas assez, puisqu’enfin l’on a pu me surprendre
À tel point que j’ai peine encore à le comprendre.
Vous devez avoir pris des détours...

PAULINE
Mais pas tant.
S’il ne faut que cela pour vous rendre content,
Je m’en vais vous le dire, et vous faire connaître
Qu’en dépit des argus, l’amour est toujours maître ;
Et que si vous avez quelque peu de raison,
Au lieu de me tenir au fond d’une prison,
Par de plus doux moyens vous chercherez à plaire ;
Et, pour l’objet qui plaît, que ne peut-on pas faire ?
Un jour donc promenant, et pesant pas à pas
L’amour que vous avez et que je n’avais pas,
Dans un lieu solitaire, au fond des Tuileries,
Un jeune homme interrompt mes tristes rêveries.
Il allait, il venait, et comme par hasard ;
Et ses yeux cependant surprenaient mon regard.
Dorothée à ce jeu n’entendait pas finesse ;
Mais ma crainte, Monsieur, lui tenait lieu d’adresse ;
Et tout ce que je pus, en cette occasion,
Ce fut entre elle et moi la conversation
Que j’entamai d’abord sur un sujet d’histoire,
Très contraire à l’amour, comme vous pouvez croire.
Dorothée aussitôt m’étala là-dessus
Des discours merveilleux, mais par malheur perdus :
Le moyen, s’il vous plaît, qu’elle fût entendue !
Le jeune homme attentif ne perdait pas de vue
Mes yeux, mes mouvements, et ce je ne sais quoi
Qui doucement vers lui m’attirait malgré moi.
Hélas ! du coin de l’œil seulement, je vous jure,
Je voyais son visage ;et quand, par aventure,
Je voulais contenter ma curiosité,
Crainte que ce défaut ne me fût imputé,
J’avais soin, chaque fois que je tournais la tête,
De trouver à cela quelque prétexte honnête :
Je reculais ma robe, ou cherchais le mouchoir,
L’éventail ou le gant que j’avais laissé choir.

CLÉNARD
Vous ne savez donc pas que lorsqu’on se hasarde ?...

PAULINE
Je sais bien, mais alors je n’y prenais pas garde.

CLÉNARD
Il fallait s’en aller ; c’était fort mal agir.

PAULINE
Que voulez-vous, Monsieur, j’y prenais du plaisir !

CLÉNARD
Ce jeune homme, Pauline, avant votre imprudence,
Ne pensait pas à vous peut-être, et...

PAULINE
Patience.
Nous allons nous asseoir ; notre jeune homme alors
S’écarte un peu de nous ; je faisais mes efforts
Pour voir, sans regarder, s’il nous quittait la place.
Mais au bout d’un instant, tout près de nous il passe ;
Et je vois près de moi, sitôt qu’il est passé,
Un morceau de papier en peloton froissé :
Je m’en saisis bientôt ; et sans que l’on me voie...
Ma bonne discourait toujours ; et je déploie
Doucement, doucement, d’une main à l’écart,
Le papier sur lequel, de regard en regard,
J’aperçois tout au bas d’une adresse de lettre,
Je vous aime, au crayon, que l’on venait d’y mettre.

CLÉNARD
Ah ! petit scélérat !

PAULINE
Et s’il m’aimait, pourquoi
Lui reprocheriez-vous d’être de bonne foi ?

CLÉNARD
Maudits soient les amants ! que dieu puisse confondre...

PAULINE, avec une adresse malicieuse
Je n’avais point d’adresse afin de lui répondre.
Vous jugez de ma peine, et qu’il me fallut bien,
Pour m’expliquer à lui, trouver quelque moyen.
En effet, le voyant revenir, je m’étonne,
Tout à coup, des discours que me tenait ma bonne,
J’en vante l’excellence, et lui dis assez haut :
Votre entretien me plaît ; vous parlez comme il faut.
Et cependant j’observe une telle mesure,
Dans l’éloge entamé, que je sais le conclure,
Tout justement quand l’homme est vis-à-vis de nous,
Par ceci : Qu’un seul mot de vous me semble doux !
Partout où je serai, suivez-moi, je vous prie.
Et voilà Dorothée éperdue, attendrie,
Qui, moitié par faiblesse et moitié par orgueil,
Met sa tête en mes bras, tandis que d’un coup d’œil
Longuement prolongé vers mon homme en extase,
Je confirme à loisir le vrai sens de ma phrase.

CLÉNART
Et l’homme vous suivit ?

PAULINE
Mais il n’y manqua pas.

CLÉNARD
Vous le rencontriez sans cesse sur vos pas ?

PAULINE
Sans cesse.

CLÉNARD
Et c’est ainsi que vous sûtes vous rendre
Les lettres qu’aujourd’hui je viens de vous surprendre ?

PAULINE
Oui, vraiment.

CLÉNARD
C’est assez : sachez donc mon dessein.
Je vous aime et prétends vous épouser demain.

PAULINE
Il faut que j’y consente.

CLÉNARD
Et c’est sur quoi je compte.

PAULINE
Qui, vous ? jamais ! jamais !

CLÉNARD, avec un dépit colérique
Je veux que l’on m’affronte,
Si vous sortez d’ici sans ma sœur ou sans moi.
Ma sœur suivra vos pas, et vous suivrez sa loi :
Exprès dans ma maison pour cela je l’appelle,
Et Michel, mon huissier, sera ma sentinelle.
Point de porte céans qui n’ait un double tour ;
Et nous verrons, Pauline, enfin si quelque jour
Vous daignerez pour moi vous montrer plus traitable.
Pour Cléri, votre amant, cet objet tant aimable,
Je ne le connais pas ; mais je suis procureur,
Mais je le connaîtrai ; je jouerais de malheur,
Si je ne trouvais pas quelque ressort honnête
Pour occuper ailleurs et ses pas et sa tête !
Comptez bien là-dessus ; sans adieu.

Il sort très agité.


Acte I, Scène II, p. 27

Pauline, seule, avec énergie

PAULINE
Vains efforts
Pour contraindre mon âme à de cruels accords !
J’aime Cléri : l’amour et l’honneur, tout m’engage
À résister toujours : j’en aurai le courage.
Je souffrirai sans doute, hélas ! dans mon ennui.
Si du moins il savait que je souffre pour lui !
Oh ! qu’il va s’alarmer de me voir renfermée,
De ne pas me trouver à l’heure accoutumée
De notre promenade !... étrange événement
Que Clénard ait surpris nos lettres !...

Elle tire une lettre de son sein

Ah ! comment
Faire rendre à Cléri celle-ci ? quelle voie...
Il apprendrait mes maux, et tout ce qu’on emploie
Pour me tyranniser ; mais il saurait surtout
Que pour me voir à lui, pour en venir à bout,
Je le seconderai, quoi qu’il puisse entreprendre.
Je n’ai pas de moyen... eh bien ! il faut l’attendre.


Acte I, scène III, p. 28

Clénard, La sœur, Pauline

CLÉNARD, à Pauline
Rentrez dans votre chambre

Pauline rentre doucement dans sa chambre, en passant devant Clénard qui la suit des yeux, et qui ne continue de parler qu’après la sortie de sa pupille.


Acte I, scène IV, p. 28

Clénard, La sœur

CLÉNARD
Or çà ! ma chère sœur,
Vous m’avez entendu ?

LA SŒUR
Mon rôle est su par cœur.

CLÉNARD
Aussi bien, dites-moi, que vos nombreux proverbes ?

LA SŒUR
Avec les vieux épis le glaneur fait ses gerbes :
Les proverbes sont bons, pour régler son devoir ;
Et qui veut se mirer, se regarde au miroir.

CLÉNARD
Je vous ai mise au fait de l’humeur de Pauline.

LA SŒUR
Fiez-vous à mes soins.

CLÉNARD
Elle est adroite et fine.

LA SŒUR
Je la mets à pis faire.

CLÉNARD
Avec sévérité,
Réduisez, comme il faut, cet esprit entêté :
Et morigénez bien sa petite personne.

LA SŒUR
Mon frère, commençons par être douce et bonne.
La femme est toujours faible, et qui veut l’attendrir
Doit flatter son humeur, et jamais ne l’aigrir.
La jeunesse répugne à des airs trop farouches ;
Et c’est avec le miel qu’on attrape les mouches.

CLÉNARD
Tout comme il vous plaira : pourvu...

LA SŒUR
Je vous réponds
De la conduire au but proposé. Faites fonds
Sur ce que je vous dis.

CLÉNARD
Pour sûreté complète,
Je viens, dès aujourd’hui, de faire maison nette ;
Et servante, et valet, tout est hors de chez moi.
J’ai, depuis quinze jours, mes clercs chacun chez soi,
Et je veux profiter de ce temps de vacances
Pour conclure l’hymen qui fait mes espérances.
Au retour de mes clercs, nous pourvoirons à tout.
Ce zélé domestique, et tant de votre goût,

Ici Pauline sort de sa chambre ; et reste à écouter jusqu’à la fin de la scène.

L’aurons-nous ?

LA SŒUR
Nous l’aurons.

CLÉNARD
Vous devez le connaître ?

LA SŒUR
Sans doute, et qui plus est, je connais fort son maître,
Brave homme, s’il en fut : tel maître, tel valet.

LA SŒUR
Oui, oui, je vais écrire,
Pour qu’il vienne demain. Mais j’avais à vous dire
Qu’un sexe très volage, et fier de sa beauté,
Ne peut être réduit que par la vanité.
Pour captiver Pauline, efforcez-vous de plaire.
Par soi-même, à votre âge, on ne plaît point, mon frère.
Il faut donc la gagner : je le dirai toujours,
Qui veut ne pas blesser, fait patte de velours.
Toute femme, à l’excès, est folle de parure.
Contentez, sur ce point, son goût ; je vous assure
D’un succès très complet.

CLÉNARD
Il ne lui manque rien.

LA SŒUR
Il faut encor...

CLÉNARD
Faut-il y dépenser mon bien ?

LA SŒUR
Vous en avez assez, elle en a davantage.

CLÉNARD
Abus que tout cela ! qu’elle soit douce, sage ;
C’est la bonne parure.

LA SŒUR
Idée et vieux propos.
Le siècle...

CLÉNARD
Laissez-moi, je vous prie, en repos.
Veillez-la, gardez-la, c’est votre seule affaire.
Au surplus, sur ce point, afin de vous complaire,
Je vais faire appeler des marchands...

LA SŒUR
La flatter...

CLÉNARD
apercevant Pauline qui écoutait et s’enfuit
Tenez, la voyez-vous qui vient nous écouter ?

Il va ferme la porte à la clef, qu’il vient remettre à sa sœur, qui passe à la droite.

Que cette clef toujours reste dans votre poche.

LA SŒUR
Mon dieu ! qui marche droit ne craint point de reproche.

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