Éditions Espaces 34

Théâtre du XVIIIe siècle

Essais et pièces rendant compte de la grande variété de formes du théâtre du XVIIIe siècle

Extrait du texte

PYRAME ET THISBÉ

SCÈNE I
ZORAÏDE, THISBÉ

ZORAÏDE
AIR 1 : On n’aime plus [dans nos forêts]
Le perfide ne m’aime plus,
Rien ne saurait calmer ma crainte,
Dans ses soins les plus assidus
Je m’aperçois de sa contrainte,
Il soupire à bâtons rompus ;
J’ai perdu le cœur de Ninus.

THISBÉ
Zoraïde a trop de défiance ; une personne aussi aimable que vous doit-elle craindre une infidélité ? Ce chef des flibustiers, dont vous êtes éprise, revient vainqueur des pirates d’Alger. N’en doutez point, Ninus vous aime : il rêve, il soupire, il ne sait ce qu’il fait.

ZORAÏDE
AIR 2 : Je reviendrai demain [au soir]
J’aurais déjà reçu sa foi,
S’il soupirait pour moi. bis

THISBÉ
À qui fait-il donc les yeux doux ?

ZORAÏDE
Je crois que c’est à vous. (bis)

THISBÉ
Moi ?

ZORAÏDE
AIR 3 : Ouiche, ouiche
Vos attraits, votre naissance
Vont me ravir ce cœur-là.

THISBÉ
Croyez que toute sa puissance
Jamais ne m’éblouira.

ZORAÏDE
Ah, ah, ah !
Ouiche, ouiche,
Quelle fille refusera
Un amant riche ?
Ouiche, ouiche,
Eh oui-da.

THISBÉ
AIR : Quand j’ai ma cornette [à deux rangs]
Vous m’offensez, en vérité,
Il ne sera point écouté.
Et qui peut ébranler mon âme ?
L’amour y fait régner Pyrame.

ZORAÏDE
Ô Ciel !

THISBÉ
Nous nous aimions depuis longtemps, et je n’attendais que son retour pour conclure notre mariage.

ZORAÏDE
Vos parents y donnent sans doute leur consentement ?

THISBÉ
À vous dire le vrai, nous n’en connaissions autrefois que de très bourgeois ; mais depuis peu un nouveau généalogiste nous a fait descendre de têtes couronnées, qui veulent que cet hymen s’achève. Je ne sais comment tout cela tournera. Mais voici venir Ninus, et Pyrame avec lui ; voulez-vous les aborder ?

ZORAÏDE
Non, je dois leur cacher mon trouble.

THISBÉ
Ce ne sera pas mal fait ; car aussi bien ont-ils quelque chose à se dire que nous ne devons pas entendre.


SCÈNE II
NINUS, PYRAME

NINUS
AIR : Trois enfants gueux
Viens recevoir les honneurs éclatants
Qu’on te prépare en cet heureux asile,
Nos flibustiers de toi sont fort contents ;
Mais pour moi seul ta gloire est inutile.

PYRAME
J’en suis bien fâché ; vous avez pourtant eu la meilleure part du butin.

NINUS
Ah, mon ami ! Je suis dans un grand embarras.

PYRAME
Ma foi ?

NINUS
AIR 6 : La jeune Isabelle
D’une amour nouvelle
Je suis occupé,
Je quitte la belle
Dont j’étais frappé.
Pourquoi Zoraïde
M’aime-t-elle encor ?
Si je suis perfide,
Elle seule a tort.

PYRAME
Bon ?

NINUS
Sans doute, si elle ne m’aimait plus, elle n’aurait plus rien à me reprocher.

PYRAME
Fi donc !

NINUS
Cela est comme je te le dis.

PYRAME
Tant pis.

NINUS
AIR 7 des Trembleurs d’Isis
Élevé dans les alarmes,
Dans le tumulte des armes,
Je ne goûtais point les charmes
Qu’un tendre amour nous produit ;
Mais en mettant pied à terre
J’ai vu la fille du frère
De la femme de mon père,
Ma cousine autrement dit.

PYRAME
Thisbé ?

NINUS
AIR 8 : Dieu des amours, menuet
Eh quel autre pourrait, grands dieux,
Me rendre sensible ?
De ses beaux yeux,
Vifs, amoureux,
Je sens tous les feux.
Du Dieu d’amour,
En ce jour,
Un trait invincible
Arme la cruelle main
Pour chasser le repos de mon sein
D’un vainqueur,
Plein de douceur,
Ô pouvoir terrible !
Le trait vole et perce mon cœur.

AIR 9 : Vous n’avez pas besoin
Un seul moment de notre sort décide,
Au dieu d’amour je n’ai point échappé,
J’ai cru d’abord adorer Zoraïde,
Mais je vois bien que je m’étais trompé.

PYRAME
Et son père ?

NINUS
Que diable, tu ne me parles que par monosyllabes !

PYRAME
C’est que tous mes amis me conseillent de ne plus rien dire.

NINUS
Puisque tu ne peux me donner aucun avis, je vais chercher Thisbé ; je ne puis être un moment sans la voir.


SCÈNE III
THISBÉ, PYRAME

THISBÉ
AIR 10 : Un canard
Je vous revois, mon cher Pyrame,
Dans cet agréable séjour,
Tout rit à notre heureuse flamme,
La fortune, et la gloire, et l’amour.

PYRAME
AIR 11 : Quand Moïse [fit défense]
Celui qui pour cette affaire
Quitte son natal séjour
Risque toujours trop à faire
Le voyage le plus court :
Si le pauvre diable laisse
Ou sa femme, ou sa maîtresse,
Qu’il s’attende, en revenant,
À trouver du changement.
Hélas !

THISBÉ
Vous soupirez, qu’avez-vous ?

PYRAME
AIR 12 : Ô reguingué
Lorsque vous partagez mes feux, (bis)
Je n’en suis que plus malheureux,
Ô reguingué, ô lon lan la.

THISBÉ
Éclaircissez-moi cette emblème.

PYRAME
Ninus...

THISBÉ
Parlez.

PYRAME
Ninus vous aime.

THISBÉ
Le flibustier ?

PYRAME
AIR 13 : Prenez bien garde à votre [cotillon]
Flatté de l’espoir le plus doux, (bis)
Il va venir à vos genoux
Vous offrir argent et bijoux.

THISBÉ
Ah ! vous m’offensez, Pyrame.

PYRAME
Quel tendre courroux ! (bis)

THISBÉ
Il est plus juste que tendre : pouvez-vous me croire intéressée ?

PYRAME
J’ai tort : je dois appréhender son pouvoir, et non pas ses richesses.Nous dépendons ici de lui ; et si vous le refusez, je crains qu’il ne s’irrite.

THISBÉ
Zoraïde le rappellera par ses larmes, il lui a promis de l’épouser.

PYRAME
Bon ! Il s’embarrassera bien de lui tenir parole. Vous ne le connaissez pas.

AIR 14 : Monsieur La Palisse
Par un attentat cruel
Il brisera notre chaîne ;
Si vous n’allez pas à l’autel,
Craignez qu’il ne vous y mène.

THISBÉ
Ne vous figurez point cela.

PYRAME
Je dois prévenir ce malheur en vous cédant à mon rival. Je crois que c’est le plus court.

AIR : Birène
Par charité, ne pensez plus à moi,
Quand cet amant aura rempli ma place,
Je gémirai de vous voir sous sa loi,
Mais il faudra qu’à la fin je m’y fasse.

THISBÉ
Que je ne pense plus à vous ! Ah, que vous êtes sage pour un amant passionné ! Il y en a bien d’autres qui pensaient différemment.

AIR 15 de l’opéra nouveau, menuet
Souvent l’amant
Voit sans tristesse
Prendre à sa maîtresse
Un engagement ;
Il espère,
S’il sait lui plaire,
Goûter les plaisirs
Dont on privait ses désirs.

PYRAME
Je profiterai de l’avis ; mais voici Ninus, ne faites semblant de rien.

Haut