Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

L’HOMME retire sa main de la capsule. Il sourit en la voyant.

L’HOMME. – Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ?

LA FEMME. – Tu sais.

L’HOMME. – Chez qui ?

LA FEMME. – Les vieux de la rue des Bains.

L’HOMME. – Encore.

LA FEMME. – Deux fois par semaine depuis l’année dernière. Tu pourrais t’en souvenir. Je te jure. Quels emmerdeurs ces deux-là. Toujours derrière toi à vérifier ce que tu fais. À te donner des conseils sur la meilleure manière de faire ci. De faire ça. Ils n’ont qu’à nettoyer leur crasse s’ils ne sont pas contents. Et d’un méfiant. Parie que quand je suis partie, ils refont le tour de l’appartement pour s’assurer que je n’ai rien volé.

L’HOMME. – Tu n’as qu’à les envoyer chier.

LA FEMME. – Ils paient bien.

L’HOMME. – Et alors ?

LA FEMME. – Ce n’est pas le moment de perdre des clients. En plus, ils connaissent du monde.

L’HOMME. – Tu ne me demandes pas pourquoi je suis déjà là ?

LA FEMME. – Je t’ai demandé.

L’HOMME esquisse un sourire qui tient plus de la grimace que d’un véritable sourire.

LA FEMME. – Alors dis-moi.

L’HOMME. – Quoi ?

LA FEMME. – Pourquoi tu es déjà là ? Tu as pratiquement trois heures d’avance.

L’HOMME. – Tant que ça. Je ne m’en étais pas rendu compte.

LA FEMME. – Tu as pourtant ton téléphone et ta montre.

L’HOMME. – Je ne sais pas ce que j’en ai fait.

LA FEMME. – Depuis quand ?

L’HOMME. – Une semaine. Peut-être plus.

LA FEMME. – C’est maintenant que tu me le dis ? Tu sais combien elle a coûté cette montre ?

L’HOMME. – C’est moi qui l’ai payé.

LA FEMME. – Justement.

L’HOMME. – J’ai dû la poser quelque part. Ne nous fais pas un drame. Je la retrouverai.

LA FEMME. – Ça te va bien de dire ça.

L’HOMME lance la capsule en l’air. Elle tombe sur le sol.

L’HOMME. – Merde.

Il se lève. La ramasse. Se rassoit.

L’HOMME. – Il a fait sacrément chaud aujourd’hui.

LA FEMME. – Elle n’est pas dans la salle de bain. Je l’aurais vu ce matin.

L’HOMME. – Je n’ai pas arrêté de suer. Mon tee-shirt est encore trempé.

LA FEMME. – On ne perd pas une montre comme ça. Surtout une montre de cette valeur.

L’HOMME. – Une chaleur pareille, ce n’est pas normal pour la saison. C’est sûr qu’on doit battre des records. Ce n’est pas possible autrement.

LA FEMME. – Elle est peut-être dans le garage. La dernière fois que tu es allé bricoler. Tu l’as peut-être posée sur l’établi.

L’HOMME. – Tu verras qu’ils en parleront ce soir aux infos. On est largement au-dessus des normales saisonnières.

LA FEMME. – Tu m’écoutes ?

L’HOMME. – Oui. Le temps est complètement détraqué.

LA FEMME. – Tu te fous de moi ?

L’HOMME relance la capsule en l’air. Cette fois, il la rattrape.

L’HOMME. – J’ai vu cette émission l’autre jour. Sur les changements climatiques. Sur les risques pour notre santé. Enfin les risques envisagés pour notre santé. Les catastrophes à venir quoi. Nous sommes en train de tout foutre en l’air. L’humanité est en train de tout foutre en l’air. Et encore. Ils n’ont pas tout dit. Je me suis rappelé d’un truc. Le trou dans la couche d’ozone. Tu te souviens du trou dans la couche d’ozone ? Qui s’en souvient aujourd’hui ? C’était il y a combien d’années ? Avant tout le monde en parlait. C’était l’urgence numéro une. Les gros titres de l’actualité. Les présentateurs aux tons accablés. Et maintenant quoi ? Le trou dans la couche d’ozone a subitement arrêté de s’élargir ? Il s’est dit. « Maintenant que j’ai bien fait peur aux gens, je peux me refermer. » Tu verras qu’on crèvera tous d’un cancer de la peau.

LA FEMME. – J’étais avec toi quand ce reportage est passé. C’est moi qui voulais le regarder.

L’HOMME. – Il n’y a pas de raison de s’énerver. Tout le monde peut oublier. Pourquoi en faire toute une histoire ?

LA FEMME. – Qu’est-ce qu’il y a ?

L’HOMME. – Rien.

Il lance avec précision la capsule de bière dans l’évier.

L’HOMME. – Tu as vu ça ?

LA FEMME. – Quoi ?

L’HOMME. – Direct dans l’évier. Sans hésitation. Se levant. De toute façon, ça n’intéresse personne.

Il récupère la capsule de bière dans l’évier. Puis retourne s’asseoir.

L’HOMME,se mettant la capsule de bière devant l’œil gauche. – J’en avais assez.

LA FEMME. – Assez ?

L’HOMME. – C’est ce que j’ai dit.

LA FEMME. – Assez comment ?

L’HOMME. – Assez tout simplement.

LA FEMME. – Et tu es rentré ?

L’HOMME. – Tout juste.

LA FEMME. – Comme ça ?

L’HOMME. – Exactement.

LA FEMME. – C’est bien.

L’HOMME. – C’est ce que j’ai pensé aussi. Rentrer, la meilleure chose à faire.

LA FEMME. – Qu’a dit le contremaitre ?

L’HOMME,enlevant la capsule de son œil. – Rien.

LA FEMME. – Comment ça rien ? Il ne t’a pas vu partir ?

L’HOMME. – Je n’ai pas fait attention.

LA FEMME. – Et pour demain ? Il faudra que tu t’expliques.

L’HOMME. – Peut-être pas.

LA FEMME. – Comment ça ? Pourquoi le contremaitre te demanderait rien ?

L’HOMME,mettant la capsule de bière dans sa poche. – Peut-être que je n’irai pas demain.

LA FEMME. – Tu es malade ?

L’HOMME. – Je ne crois pas.

LA FEMME. – Tu as de la fièvre ?

(…)

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