Éditions Espaces 34

Théâtre contemporain

Textes d’aujourd’hui pour le théâtre. Ces publications sont régulièrement soutenues par la Région Languedoc-Roussillon, et depuis 2003 par la SACD.

Extrait du texte

PERSONNAGES

ÉLISE, 25 ans
HAROUNA, 16 ans
L’HOMME, 55/60 ans


Extrait : Samedi

ÉLISE. – Et du coup tu as voulu travailler avec des jeunes.

L’HOMME. – Exactement.

Le vent siffle.
L’homme se lève.
S’approche de la baie vitrée.

L’HOMME. – C’est ici. Les fissures. Au niveau des plinthes, non ?

ÉLISE. – Je ne sais pas. Un peu partout. J’y connais rien, en fait.

L’homme regarde.
Inspecte la baie vitrée.
Le vent siffle au-dehors.

L’HOMME. – Et la nuit ?

ÉLISE. – La nuit ?

L’HOMME. – Avec tout ce vent. Ils dorment bien les jeunes ?

ÉLISE. – Ça ne les empêche pas de dormir. Mais je te conseille de fermer la porte du couloir. Ils sortent pour aller voler des trucs en cuisine. Pas grand-chose. Des fruits, du pain, des restes. Ce sont des ados. Ils ont toujours faim. Mais ça fait râler ensuite les cuistots. Qui ne se privent pas pour aller le répéter au village et conforter les bonnes idées qui circulent ici.

L’HOMME. – Quelles idées ?

ÉLISE. – Qu’il aurait mieux valu ne pas les accueillir.

L’HOMME. – Ah oui.

ÉLISE. – C’est un petit village. Quand nous sommes arrivés en septembre, forcément ça n’a pas plu à tout le monde. On n’aime pas beaucoup les Noirs ici. On n’aime pas grand-chose en réalité à part sa petite famille, sa petite patrie.

Silence.

L’HOMME. – Tu es en colère ?

ÉLISE. – Je suis fatiguée.

Silence.

ÉLISE. – Après il y a aussi des gens qui les accueillent. Tu verras. Des rencontres inattendues. Ils se forment, partent travailler dans les entreprises du coin, dans les villages aux alentours. Peintures, maçonneries, plomberie, électricité. Moi il faut que je parte.

L’HOMME. – Pour ta mère.

ÉLISE. – Oui.

L’HOMME. – C’est quoi sa maladie ?

ÉLISE. – Cancer.

L’HOMME. – Je suis désolé.

ÉLISE. – J’ai besoin d’être près d’elle.

L’HOMME. – Bien sûr, c’est normal.

Silence.
Le vent.

L’HOMME. – Il va pleuvoir.

ÉLISE. – Possible.

Silence.


Extrait Dimanche

HAROUNA. – Pourquoi tu viens travailler ici ?

L’HOMME. – C’est mon métier.

HAROUNA. – C’est quoi ton métier ?

L’HOMME. – Éducateur.

HAROUNA. – Tu vas habiter ici avec nous ?

L’HOMME. – Jusqu’à ce que je trouve un logement.

HAROUNA. – Dans le village ?

L’HOMME. – Dans le coin.

Silence.

HAROUNA. – Moi je veux bien.

L’HOMME. – Quoi ?

HAROUNA. – Être éduqué. Pour réussir mon examen.

L’HOMME. – Quel examen ?

ÉLISE. – Pour les papiers. Il y a un examen de français, il faut bien parler la langue.

L’HOMME. – Je trouve qu’il parle très bien. Tu parles très bien.

HAROUNA. – Je fais des fautes. J’écris mal.

ÉLISE. – Il faut le faire réviser une heure par jour.

HAROUNA. – Tu savais pas pour l’examen ?

L’HOMME. – Qu’est-ce que j’aurais dû savoir ?

HAROUNA. – On passe un examen pour avoir des papiers.

L’HOMME. – Je ne travaillais pas avec des jeunes comme toi avant. C’est nouveau. Je découvre.

HAROUNA. – Tu travaillais avec qui ?

L’HOMME. – Dans une maison de retraite.

HAROUNA. – C’est quoi ?

L’HOMME. – Avec des personnes âgées.

Silence.

HAROUNA. – Avec des vieux ? Tu travaillais avec des vieux ?

L’HOMME. – J’étais aide-soignant.

HAROUNA. – Dans le village ?

L’HOMME. – Non.

HAROUNA. – Tu les connais les vieux du village ?

L’HOMME. – Non.

HAROUNA. – Ils sont mauvais, ils nous aiment pas.

ÉLISE. – Ils ne sont pas mauvais Harouna, ils ont peur.

HAROUNA. – Peur de quoi ?

ÉLISE. – Peur de disparaître.

HAROUNA. – Ils disent qu’on est dangereux.

ÉLISE. – Ils ne vous connaissent pas. Ce sont des préjugés.

L’HOMME. – Il faudrait les rencontrer.

HAROUNA. – Je veux pas rencontrer des vieux.

L’HOMME. – Il y a aussi sûrement des jeunes de votre âge.

HAROUNA. – T’es fou toi. Y a pas de jeunes ici. Il est fou lui.

L’HOMME. – Pas beaucoup mais il y en a. C’est sûr.

Silence.
Le vent qui s’infiltre.

HAROUNA. – J’ai encore vu la dame hier, là, sur la route, la vieille dame. C’est qui ?

L’HOMME. – Je ne sais pas.

HAROUNA. – Elle a une robe noire. Elle passe souvent devant le centre. Elle s’arrête. Elle regarde comme si elle cherchait quelque chose. C’est ta copine ?

L’HOMME. – Je ne connais personne ici. Je viens d’arriver.

HAROUNA. – T’as pas de copine ?

L’HOMME. – J’avais une femme.

HAROUNA. – Elle est morte ?

L’HOMME. – On est séparé.

ÉLISE. – Tu vas laisser un peu André tranquille Harouna s’il te plaît ? Tu reprends du café André ?

L’HOMME. – Oui, merci.

Elle le ressert de café.
Elle se ressert également.
Le vent entre les fissures.

L’HOMME. – Et toi ?

HAROUNA. – Moi ?

L’HOMME. – Tu es arrivé seul ici ?

HAROUNA. – Avec Drissa. On est comme des frères. Je le connais depuis que je suis petit.

L’HOMME. – Il t’avait jamais dit qu’il voulait s’enfuir ?

HAROUNA. – Drissa, il ne s’est pas enfui. C’est qui la vieille ?

L’HOMME. – Je ne sais pas. Je t’ai dit que je ne connaissais personne par ici.

Silence.
Café.
Harouna se lève.
Va poser sa tasse dans la cuisine.

HAROUNA. – On va à la préfecture aujourd’hui ?

ÉLISE. – Demain.

HAROUNA. – On avait dit qu’on y allait aujourd’hui.

ÉLISE. – Demain.

Harouna va pour sortir.
S’arrête.
Regarde André.

HAROUNA. – Drissa, il s’est pas enfui. Il s’est pas enfui. Il me l’aurait dit.

Il sort.
Le vent toujours.

L’HOMME. – Qui est cette vieille dame ?

ÉLISE. – Il est paranoïaque. C’est le stress post-traumatique. Il a vu des choses pendant le voyage. Des choses terribles. Atroces.

L’HOMME. – Et Drissa ?

ÉLISE. – Il s’est enfui.

L’HOMME. – Il dit que non.

ÉLISE. – Il s’est enfui sans lui. Sans lui en parler. Et ça, il a dû mal à l’admettre. Il faut essayer de l’apaiser.

Sifflement du vent.

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