Éditions Espaces 34

Théâtre jeunesse

Cette collection, créée en mai 2009, accueille des écrivains déjà publiés dans d’autres collections et de nouveaux écrivains. Elle s’adresse aux enfants du primaire et du début du collège, les textes pour adolescents étant publiés dans les collections Théâtre contemporain et Théâtre en traduction. Elle est aussi tout public.

Extrait du texte

PERSONNAGES

Ce sont tous des ados en âge d’aller au collège.

Jelly : elle préfère garder le silence et rire de tout ça. En attendant.
Polo : il fait ni oui, ni non, pris dans la machine infernale.

Les alliées de Jelly :
— Idriss, qui exagère souvent.
— Ronan, qui déforme souvent.
— Marine, qui hésite souvent.
— Alma, qui sait tout, tout le temps.

La bande de Mika : des voix qui dénigrignotent.


SCÈNE 4 / AU FOND DE LA GORGE

Jelly est avec Idriss, qui lui coiffe ses cheveux. Plus loin, Marine, Alma et Ronan.

MARINE
Pourquoi tu as frappé Polo, enfin pas frappé, mais
cogné
poussé
heurté ?

ALMA
C’est ce que nous demandons.

RONAN
Mais motus et couche bousue.

ALMA
Euh, non bouche cousue.

RONAN
C’est ce que j’ai dit !

IDRISS
Je te fais pas mal Jelly ? Je tire pas trop ?

MARINE
Jelly nous fixe et dans son regard, c’est…
y’a quelque chose qui brille
enfin, non,
disons qu’elle semble déterminée.
Enfin, non… Comme un reflet vif-argent qui ondule dans ses yeux.

RONAN
Si tu as frappé Polo, c’est que tu te défendais, c’est cela ?
Ou bien
c’est toi
c’est toi qui as
commencé ?

Jelly le fixe.

ALMA
Jelly
on a besoin de comprendre. Pourquoi tu as fait ça ?

Jelly se lève.

JELLY
L’air a un goût d’iode.

Un court temps.

Sur ma langue
le sel.

MARINE
Qu’est-ce que tu dis ?

JELLY
Loin d’ici
à là
le vent se lève le vent
se lève et
ondule l’eau, roule, la houle s’agite
s’ajuste agit charrie
déploie
loin d’ici
à là
les transparentes beautés aux étincelantes caresses tressées,
qui
se lèvent à temps :
le monstre n’est pas celui que l’on croit, marin,
n’a de nom que monstre
sera veilleur et guérisseur.
Le vent se lève, lointain, déjà ici et là,
avant que leur regard ne prenne de la distance, de bas en haut
avant que leur salive heurtée contre leurs lèvres ne mouillent nos peaux.

Jelly sort sa langue pour goûter l’air. Puis, passe sa langue sur sa bouche. Elle sourit, paupières closes.

JELLY
Le goût du sel ne trompe pas,
n’est-ce pas ?

Jelly regarde Alma, puis Marine, puis Ronan puis Idriss. Elle tremble.

IDRISS
Quoi répondre ?

Jelly s’en va en courant et laisse le groupe.

RONAN
Impossible de la rattraper : Jelly est toujours première en endurance et en course.

MARINE
Toutes les filles courent plus vite que les garçons,
désormais.
Mais Jelly, c’est sûr, elle, elle dépasse tout le monde.

ALMA
La voir partir comme ça,
c’est louche.

IDRISS
Rentrons.
Alors, on est rentrés chacun et chacune chez soi. Sans rien se dire, sur le chemin.

MARINE
Je crois que nous étions tristes. Oui. C’est bien ça.
Avec un nœud au fond de la gorge.


SCÈNE 9 / SOUS LE CIEL SI BAS
début

IDRISS
Là, le bâtiment où habite Jelly.

RONAN
C’est toi qui as sonné à l’interphone.

ALMA
Je fais l’interphone :
« Hiiiiiiiiiin ! »
Ça répond pas.

RONAN
Réessaye.

ALMA :
« Hiiiiiiiiiin ! »

MARINE
Bonjour… On est des copains et des copines de Jelly. On voulait savoir si elle pouvait sortir… enfin, aller dehors, si c’était possible… parce qu’en fait, c’est jour férié et avec le pont, et donc…

RONAN
Bref : est-ce que Jelly est là ?

IDRISS
Ses parents répondent non puis : « Il paraît qu’il va pleuvoir mais elle n’en fait qu’à sa tête : elle est partie se promener, vers le parc de la Citadelle, avec un copain qui avait un pansement sur la tête. Il n’était pas tout seul, d’ailleurs. Y’avait un groupe avec lui. »

RONAN
Et là, on s’est épris de nos jambes à nos cous.

ALMA
On est partis en courant, donc.

MARINE
En courant hyper vite même.

RONAN
Mais moins que Jelly.

ALMA
Il est vrai que je ressens un point de côté.

IDRISS
Le parc de la Citadelle, c’est juste à côté du quartier Vauban, là où toutes les méduses ont été repérées !

ALMA
Pourquoi ne pas écrire le point du point de côté avec un G final, comme dans le poing du coup de poing ? Ce serait assez judicieux. Non ?

MARINE
Dépêche Alma !

RONAN
On arrive dans le parc. Dans le ciel, y’a beaucoup trop de nuages. Gris foncé. Obscurs.

IDRISS
On dirait un plafond qui a été baissé.

RONAN
Je pense tout bas
je pense tout bas que
j’ai envie de rentrer chez moi mais vous savoir à mes côtés me rend plus fort.

MARINE
On se sépare en deux groupes : avec Ronan, on ratisse la partie nord du parc. Idriss et Alma, vous, la partie sud. On s’appelle dès qu’on a des nouvelles de Jelly. Sinon, retour ici dans 20 minutes.

ALMA
Wouah ! Comme dans les films.

RONAN
Pas la peine. Regardez !

IDRISS
Et là,
vous nous croyez ou vous nous croyez pas
— mais si j’étais vous, je nous croirais —
sous les arbres en fleurs, agités par des rafales gigantuesques, là, y’a le groupe, la bande de Mika, avec Polo, qui entoure Jelly, isolée.

MARINE
Ses cheveux volent en tous sens, fouettent son visage.

Alma, Marine, Idriss et Ronan s’approchent.

LA BANDE DE MIKA
Le père de Polo c’est le principal.
Il va faire remonter toute cette histoire au Ministère raisonnable de l’éducation nationale intérieure.
Tu vas être fichée.
Black-listée.
Pauvre fille.
Fichée S.
Sorcière.
Scélérate.
Saleté.

POLO
Jelly…

LA BANDE DE MIKA
Maintenant tu vas t’excuser.
Y’a pas moyen que tu t’en sortes comme ça.
Jelly-pas-jolie.
Carrément laideron.
Avec tes cheveux même pas peignés.

POLO
C’est bon, j’ai dit. Arrêtez.

LA BANDE DE MIKA
C’est pour ton bien Polo !
On fait ça pour toi tu le sais bien !
Sinon on se fera jamais respecter !
C’est pas la peine de reculer Jelly.
Et arrête de sourire comme ça !
Ça se fait pas ce que t’as fait à Polo, tu comprends ?
Tu comprends ?
Tu dis oui et après tu lui fais mal, en plus !
Ça se fait tellement pas, ça !

JELLY
Non.
J’ai dit non.

Bruit de tonnerre

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