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Pellier, William
La vie de marchandise
2009
mercredi 20 mai 2009
Un homme et une femme vivent hors du temps, avec leur caniche. Ils veulent parler mais n’ont personne à qui parler. Ils n’ont pas de passé, juste des photographies où on les voit toujours debout et de face.
Ils sentent le plastique, le nylon, l’acrylique. Ils mangent des aliments congelés. Ils ne pensent presque pas. Lorsqu’ils pensent, c’est à eux le plus souvent. Ils cherchent à se souvenir : quand les choses sont-elles arrivées ou à quel moment ont-elles changé ? Comment la vie a-t-elle passé si vite ? Ils n’ont pas d’avenir. Ils projettent de mourir ensemble pour ne pas être séparés.
moi et ma femme on se tue dans deux semaines
la décision on l’a pensée maintenant on est encore lucides
elle déjà des jours elle a la perte d’un mot
je ne retrouve plus pour appeler quelque chose des mots pourtant faciles
pour les mots fléchés j’ai un carnet je les note dans l’ordre alphabétique si j’ai besoin
il finit toujours ses grilles
pour en revenir à cette mort ma femme elle tient à avaler un somnifère
c’est surtout l’idée que la voiture fracasse le parapet et se jette dans le vide
ça la tarabuste j’ai beau lui expliquer
en bas la voiture tombe dans un lac on va flotter
on ne va pas flotter pendant des heures elle coule à pic
avec nous nous emmenons le caniche
comme ma femme lui aussi il avale un somnifère mélangé à sa pâtée
les animaux sentent la mort dans la voiture s’il n’est pas drogué il peut très bien vouloir nous mordre
on l’a déjà vu
parle de la lettre
nous laissons une lettre dans le bungalow
il y en a déjà une la même on l’a laissée dans la cuisine de notre pavillon
des lettres pour expliquer
notre geste
qu’ils n’aient pas à chercher pendant des mois si ils retrouvent une voiture avec trois cadavres dans le lac
c’est les nôtres
expliquer que nous sommes en règle
c’est important
il va y avoir une enquête de toute façon une voiture dans un lac
ils vont la repêcher la voiture
laisse avec une grue maintenant c’est vite fait
on le verra dans le journal
ils peuvent le passer aux actualités régionales
dans un virage la grue je ne vois pas où ils peuvent la mettre
laisse je te dis
ils vont la laisser dans l’eau la voiture
touristique comme c’est touristique enfin dans la lettre on explique que nos factures elles sont payées
il reste de l’argent sur notre compte en banque on le donne à la spa
le pavillon on le donne à une fondation pour les maladies du cerveau ma femme elle leur envoyait un chèque une fois l’an ils lui envoient toujours un calendrier pour la remercier
il faut s’occuper des œuvres de bienfaisance ou de la recherche c’est ce qui peut nous arriver un jour
moi c’est les poumons par exemple
il a mal aux côtes quand il respire
c’est le symptôme ça c’est dans les poumons ça ne s’opère pas
la médecine ne peut rien faire pour l’instant peut-être un jour si ils lui trouvent quelque chose
c’est juste des cachets à prendre aux repas
jusqu’au 31 août
on a prévu de se tuer le 31
c’est le jour qu’il faut rendre la clé du bungalow pour rentrer chez nous le séjour s’est bien passé
en réalité on prend la direction opposée qui amène aux rebords du lac
c’est un lac qu’on connaît depuis longtemps pour y avoir pique-niqué il y a une petite plage
on est passé plusieurs fois à l’endroit où on va se tuer
c’est dans un virage
ils ont mis un parapet en pierre tout le long seulement là il y a une barrière en bois
le 30 août il vient la desserrer
Pièce sélectionnée au 2è tour du Grand Prix de littérature dramatique 2010.
Extraits de presse
« Avec humour, tendresse et acuité, William Pellier propose, dans une pièce tout en nuances, une réflexion juste sur une question délicate, celle de la possibilité de choisir le terme de sa vie, à l’heure où les sociétés occidentales sont confrontées à une population de plus en plus vieillissante, parfois dans des conditions de dépendance ou de misère physique et morale qui questionnent l’intérêt d’une existence si longue. »
[Anne Pellois, Centre national du livre, 2009]
Critique complète du Centre national de livre.
« Au bord du vide avec le sourire, s’agitant pour quelques vagues occupations qui ne les occupent plus vraiment, il y a dans les personnages de Pellier une filiation avec Beckett qui donne à La Vie de marchandise une dimension tout à fait remarquable. Aérienne et profonde, intemporelle même si elle puise dans le quotidien. »
[Gilles Granouillet, Comité de lecture Centre Dramatique National Saint-Étienne]
« Cette pièce déstabilisante recèle dans sa noirceur des trésors de langue, et dans ses profondeurs des expressions terribles de justesse. »
[Nicolas Blondeau, Lyon capitale, 23 juin 1999]
« C’est au cœur du banal que [ce] texte puise sa force et son économie et nous émeut. »
[Mireille Davidovici, Aneth, 22 décembre 1998]
Le texte à l’étranger
Pièce traduite en allemand par Frank Weigand et Leyla Rabih, et publiée dans la revue Scene n°14, novembre 2011.
Lecture de la traduction allemande, Wir Waren, à Vienne (Autriche) le 2 mai 2012 et au Thalia Theater, à Halle (Allemagne) les 10 et 11 mai 2012.
Création de Wir Waren au Theater Winkelwiese, Zürich (Suisse), dans une mise en scène de Stephan Roppel avec Suly Röthlisberger, Hansrudolf Twerenbold, du 15 septembre au 13 octobre 2012.
Création de Wir Waren au Theater Osnabrück, Allemagne, dans une mise en scène d’Alexander May, le 30 novembre 2012.
La pièce est donnée trois fois par mois en décembre 2012, janvier et février 2013 sur la saison 2012-2013.
Prix de la meilleure pièce du Festival Primeurs 2012 , festival d’écriture contemporaine, est un partenariat entre Le Carreau, scène nationale de Forbach, le Saarländisches Staatstheater, SR 2 KulturRadio et l’Institut d’études françaises de Sarrebruck. Lecture le 24 novembre 2012.
Création de Wir Waren au Deutsches Theater de Göttingen, Allemagne, dans une mise en scène d’Antje Thoms, à partir du 23 janvier 2014. Voir ici.
Vie du texte
Lecture aux Journées d’auteurs du Théâtre des Célestins de Lyon par Sophie Barboyon et Stéphane Bernard, dirigés par Sylvie Mongin-Algan, cie Les Trois Huit, en décembre 1996.
Texte inscrit au Répertoire d’ANETH et bénéficiaire d’une aide attribuée par la DMDTS / Ministère de la Culture, en 1999.
Lecture lors des Passerelles Théâtrales, Théâtre de la Cité internationale, à Paris, par Florence Giorgetti et Philippe Minyana, en octobre 1999.
Création par le Théâtre craie, mise en scène Claire Rengade, Théâtre des Clochards célestes à Lyon, du 17 au 23 juin 1999.
Reprise le 25 juin lors du festival Jardin des possibles à Lyon.
Sélection en 2001 par le comité de lecture de la Comédie de Saint-Étienne, mise en lecture de Gilles Granouillet.
Puis création par la Comédie de Saint-Etienne-Centre dramatique national, mise en scène de Louis Bonnet, du 23 octobre au 28 novembre 2001.
Mise en lecture par le Théâtre de la Tête noire de Saran, en 2003.
Lecture par William Pellier lors du Salon du théâtre, place Saint-Sulpice, le 23 mai 2009, à l’occasion de la parution du livre.