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Cagnard, Jean

La distance qui nous sépare du prochain poème

2011

mercredi 12 octobre 2011

Conçu comme un voyage en six étapes : La distance, Le bord, Le passage, L’autre bord, La nuque, le chemin, ce texte, éminemment poétique, trace un chemin de vie.

« La poésie nous concerne tous. Ce n’est pas tant une affaire de mots ou de littérature, c’est une rythmique humaine au même titre que les fonctions vitales et lorsqu’elle apparaît, sous une forme ou sous une autre, on ne connaît pas grand monde qui n’y soit pas sensible. Elle ne fait pas appelle aux connaissances, au savoir, à la culture, à l’intelligence, elle cueille les gens à leur endroit primitif, transversalement, et va rejoindre cette époque lointaine où ils n’étaient, avant même d’élaborer de la chair, qu’une poignée de sens répandus dans la terre. Au moins elle ne devrait être que cela : un très vieil os produisant sans cesse de la jeunesse.

C’est une manière de voir le monde souvent cachée par la manière d’être dans le monde, une sorte d’énergie fossile qui vient alimenter notre besoin de rêver depuis le début des temps, et contrairement à celles que nous brûlons joyeusement et éperdument pour faire avancer notre époque, parfaitement écologique et infinie.

Son mode de compréhension est totalement libre. Il faut juste se laisser aller. Mais c’est peut-être le plus difficile justement.

(...) A l’origine il y a donc cette préoccupation majeure : la distance qui nous sépare du prochain poème. Poème étant pris dans le sens large de la vie, c’est-à-dire cet état de lumière qui nous rend un peu clairvoyants et heureusement vivants. C’est bien sûr, d’un poème à l’autre que nous progressons dans l’existence, tentant de réduire au maximum la distance entre chacun. (...) »
[Jean Cagnard]

TROIS
Le passage

À l’origine

Le pont était plat
Une planche sur la terre

Qu’on empruntait
Pour se franchir soi-même

On y venait tous les jours
Ou bien tous les ans

Selon l’épaisseur du temps
C’était drôle et savant

Mais le monde n’a pas aimé
Et a creusé dessous

Afin que l’on apprenne
Cruellement

__

Dans la construction d’un pont
Deux choses

La clé de voûte
La clé de sol

La première (ingénieure)
Fixe l’harmonie
Et la parole
Du temps

La seconde
Te lève de la route (t’envoûte)
Pour te placer
Au centre de légèreté
De l’échelle de Comb
Contre le nombril
Du vent et de la vallée

Alors tu deviens
Quelques milligrammes
De substance pensée

L’animal vision
En position blanche

Un héron humain

__

Qui est venu en premier
Le pont ou le fleuve ?

La poule dira le pont
La poule mouillée le fleuve

Et l’œuf ira se faire cuire
Dans la brume

__

Pont ou pas

Ce qui te fera franchir le fleuve
Est le poème posé de l’autre côté

Fleuve ou pas

__

Si tu ne parviens pas à gagner l’autre bord du fleuve
Deux choses

Ou bien ce fleuve n’a qu’une rive
Celle où tu te tiens
Et c’est peut-être tes semelles qui créent le bord

Ou bien ce fleuve est un océan
Et son élégance te fige

__

Achète-toi une barque
Adosse-la contre le pont
Et traverse le fleuve à la nage

Ou bien mets-la sur ton dos
Fais-lui traverser le pont
Sans regarder l’eau qui hurle

Dans les deux cas
Tu obtiendras un meuble libre
Une chaise une table un buffet

Et c’est le fleuve
Qui viendra couler
Dans ton salon

__

Mobile
Le passant
Sur le pont
Immobile
Sur le fleuve
Mobile
Sur son lit
Immobile
Sur la Terre
Mobile

La traversée
Est un ensemble
De contradictions
Aisées

(…)


Extrait de presse

« L’auteur invite le lecteur à un voyage initiatique, égrenant au fil des pages des poèmes comme des images semées pour trouver le chemin vers soi-même. Exaltant la nature - réelle ou symbolique, sensuelle et fantasmatique -, il oscille entre crudité et beauté, incitant à la méditation.

La connaissance passe par la conscience en mouvement, sorte de traversée du miroir, de marche vers l’altérité. Ici, les mots prennent corps et le corps devient paysage. L’animal n’est jamais loin de l’homme quand le poème est à apprivoiser.

Avec une écriture singulière, à la fois ancrée dans une contemporanéité et puissante dans sa liberté, Jean Cagnard interroge la fonction même du poème - et du théâtre -, sans doute un passage menant l’homme à lui-même. »

[L’avant-scène, n° 1327 du 1er août 2012]


« Il est rare d’assister à un plateau artistique aussi complet.
Le théâtre me touche dès qu’il y a un corps qui s’engage. Tout est fait en finesse et en recherche de sens.
Ici, nous sommes face à des peintres, des maçons, des fourmis artistiques engagés dans une incessante créativité.
Les matériaux bruts s’élèvent comme vers une perspective de vision.
Nous sommes face à notre vie passée, et dans un désir de regarder devant, au loin, la route qui s’ouvre... »

[Sylvie Lefrère, Vent d’Art, novembre 2012]


« (…) Le passage (III). Ce qui fait office de pont : une planche Pour se franchir soi-même pour accéder au poème posé de l’autre côté. L’expérience est donc intériorisée : la distance va de soi à soi. Les obstacles à franchir : épouvantail, fenêtre solaire… Ce repli sur soi équivaut à la métamorphose de soi en livre. (…) »

[Michel Lamart, Brèves, vol. 101, 1er trimestre 2013]

Vie du texte

Création par la compagnie des 1057 roses dans une conception des deux créateurs de la compagnie : Catherine Vasseur, comédienne, Jean Cagnard, également ici « manipulateur d’objet » début 2012. Julie Läderach, violoncelliste, les accompagne sur ce spectacle.

Avant-première, théâtre du Périscope, Nîmes, le 24 février 2012.

Création en 2012
— Théâtre de Clermont l’Hérault, 18 octobre
— Théâtre du Périscope à Nîmes, 8 et 9 novembre
— Théâtre de la mauvaise tête à Marvejols, 28 novembre
— Maison du théâtre d’Amiens, 14 décembre

Tournée de création 2013
— Labo Bean, La Grand’Combe (30), 21 septembre
— Théâtre du Chai du Terral, Saint Jean de Védas (34), 15 octobre
— ATP d’Uzès et de l’Uzège, Uzès (30), 22 novembre.

Portfolio