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(Ouvrage collectif), Françoise Rubellin

Théâtre de la foire,
Anthologie de pièces inédites 1712-1736

2005

dimanche 1er mai 2005

Cet ouvrage comprend onze pièces du théâtre de foire, chacune faisant l’objet d’une présentation et d’un appareil critique spécifique. L’ensemble du volume bénéficie également d’une présentation de Françoise Rubellin.

 Arlequin fille malgré lui de Pierre-François Biancolleli, dit Dominique
présentation de Soazig Le Floch et Marie Berjon
Travestissement

 La Matrone d’Éphèse de Fuzelier
présentation de Laure Thomsen et Françoise Rubellin

 Pierrot furieux ou Pierrot Roland de Fuzelier
présentation de Danièle Rialland-Caillous
et Isabelle Degauque.
Parodie

 Le Fourbe sincère de Desgranges
présentation de Guillemette Marot
Travestissements, types de commedia dell’arte

 L’Ombre de la foire de Lesage et d’Orneval
présentation de Jeanne-Marie Hostiou
Prologue, pièce en monologue

 L’Oracle muet de Lesage et d’Orneval
présentation de Mirtill Varrò et Jeanne-Marie Hostiou
Pièce à tiroirs

 Alzirette de Pannard, Pontau et Parmentier
présentation de Isabelle Degauque.
Parodie de tragédie (de Voltaire)

 La Fille obéissante, Anonyme
présentation de [Isabelle Degauque.

 Atys travesti de Carolet présentation de Françoise Rubellin.
Parodie d’opéra pour marionnettes

 Arlequin et Mezzetin morts par amour de Lesage
présentation de Cécile Jeusel et Servane Daniel
Première pièce de Lesage pour écriteaux

 Olivette juge des enfers de Piron
présentation de Jeanne-Marie Hostiou et Isabelle Degauque.
Pièce à tiroirs


« Cette anthologie invite à distinguer différents genres et différentes structures parmi les pièces foraines : on trouvera plusieurs prologues, petites pièces autonomes (L’Ombre de la Foire, le prologue d’Arlequin fille malgré lui, les deux prologues de La Matrone d’Éphèse).

On pourra comprendre ce qu’est une pièce à tiroirs avec Olivette juge des Enfers et l’Oracle muet.

La parodie étant un des fleurons du théâtre forain, deux parodies d’opéra, Pierrot furieux ou Pierrot Roland et Atys travesti ont été retenues, ainsi que deux parodies d’une tragédie de Voltaire, Alzire. L’une d’elles n’a subsisté que sous la forme d’un canevas, et l’on n’en connaît pas l’auteur. Mais La Fille obéissante laisse imaginer ce que pouvait être ce spectacle aux marionnettes, surtout si on la compare avec une autre parodie de la même pièce, à la même Foire, pour acteurs cette fois : Alzirette de Pannard, Pontau et Parmentier.

Enfin, on pourra lire (il faudra les chanter) plusieurs opéras-comiques où alternent les couplets et la prose parlée, et une pièce toute en vaudevilles, Arlequin fille malgré lui..

La diversité des formes que reflète cette anthologie ne s’explique que par l’histoire mouvementée des théâtres de la Foire. »

Françoise Rubellin

L’ombre de la Foire, p. 229 à 234

Le théâtre représente une solitude avec un lac.

SCENE I
Arlequin, seul

Il entre d’un air rêveur et, apostrophant ses camarades, il commence ainsi.

Hélas mes chers camarades, qu’êtes-vous devenus ? Et que vais-je devenir moi-même à présent ? Vous m’écrivez en Angleterre, où j’étais comme un rat en paille, de venir vous joindre à Paris, pour jouer à cette malheureuse foire de Saint-Germain. Je quitte aussitôt ce charmant pays des Guinées pour vous rejoindre, et quand j’arrive, je ne vous trouve plus. On m’apprend que ces deux fameuses magiciennes (conjurées depuis longtemps à notre perte) vous ont enlevés, sans qu’on ait pu savoir où elles vous ont mis, ni ce qu’elles ont fait de vous. Que ferai-je donc sans argent, et privé de ceux qui m’aidaient à en gagner ? Faudra-t-il que j’aille de porte en porte demander : « Madame, votre chien ne mord-il point ?  » O fortuna !... Mais je m’aperçois que ma rêverie m’a conduit insensiblement dans un lieu solitaire, où je ne trouve pas le secours dont j’ai besoin. Tâchons de rattraper le grand chemin, informons-nous s’il n’y a point aux environs quelque château, où je puisse ce soir payer mon écot avec quelque morceau de comique, le seul bien qui me reste.

Dans le moment, il s’élève une vapeur à deux pas d’Arlequin ; un long gémissement frappe ses oreilles, il tourne sa vue du côté du lac et il aperçoit une ombre qui sort du sein de la terre.

Hoïmé ! Que vois-je ?...

Il veut s’enfuir, mais il est saisi d’un tremblement qui lui ôte ses forces.

SCENE II
Arlequin, L’ombre

L’ombre, appelant l’Arlequin
St... st... st...

Arlequin, à part
Aïe, aïe ! Cela m’appelle ; si j’approche, je suis mort, si je recule, je suis fricassé.

L’ombre, continuant
St... st... st...

Arlequin
Mais ne me ferez-vous point de mal ?

L’ombre lui fait signe que non.

Arlequin
Dites-moi de loin ce que vous me voulez.

L’ombre
Elle lui montre un papier qu’elle tient, et lui fait signe de le venir quérir.

Arlequin
Il fait quelques pas en tremblant.

J’ai trop grand peur de vous. Allez-vous en !

L’ombre
elle lui fait encore signe de le venir chercher.

Arlequin
Allons donc. Il s’avance un peu vers l’ombre, et il allonge le bras d’aussi loin qu’il peut, pour attraper le papier. Il le prend enfin et revient promptement sur ses pas pour le lire loin de l’ombre. Pendant ce temps-là, elle s’abîme ; il lit les mots suivants.

SCENE III

Arlequin, seul, lisant

Cher Arlequin, vois l’ombre de la Foire...

Ha, ha, c’est un revenant qui me connaît. Il tourne la tête pour regarder l’ombre qu’il ne trouve plus. Mais il s’est en allé, il a bien fait. Voyons ce qu’il veut dire...

Cher Arlequin, vois l’ombre de la Foire...

L’ombre de la Foire ! Notre bonne maman ! Hélas, pourquoi disparaissez-vous si vite ? Ombre chérie, je vous aurais entretenue sans frayeur... Voyons le reste.

Cher Arlequin, vois l’ombre de la Foire
Dont le cœur est encor sensible à tes douleurs.
Près de tes pieds sous cette pierre noire
Tu trouveras de quoi finir tous tes malheurs.

Quel bonheur ! Hâtons-nous de lever la pierre, il y a sans doute quelque trésor caché dessous. Il va s’agenouiller devant une grosse pierre de couleur noirâtre qui est au milieu du théâtre, il la baise et, la soulevant un peu, il fourre sa main dans un trou qui est dessous, qu’il retire très promptement. Que diable y a-t-il donc là ? Cela m’a égratigné ! On a bien raison de dire nulle rose sans épines. Il ôte la pierre tout à fait de dessus le trou, et il en sort deux gros chats qui prennent la fuite ; Arlequin recule épouvanté. Ah, ventrebleu ! Qu’est-ce que c’est que cela ? Mauvais pronostic, il y a toujours de l’espièglerie dans les revenants les mieux intentionnés. Enhardissons-nous cependant, autant être mordu d’un chat que d’un chien. Il retourne au trou, remue la main dedans en tremblant et en tire une corde. Il dit tristement : Le beau trésor ! Il répète les dernières paroles de l’ombre :

Tu trouveras de quoi finir tous tes malheurs.

Oui, elle a raison, quand je me serai étranglé, je ne souffrirai plus. La foire a cru apparemment que ce n’était que faute d’avoir de quoi acheter une corde que je ne m’étais pas pendu, elle a voulu y pourvoir. Effectivement, c’est le pari le plus honnête que j’aie à prendre dans la conjoncture présente. L’ombre m’apprend mon devoir, allons, étranglons-nous courageusement. Il se passe comiquement la corde entre les jambes, sous les aisselles puis au cou, il fait plusieurs pirouettes tenant la corde en l’air d’une main et, ne pouvant s’étrangler, il dit : Morbleu, je ne sais pas. Mais j’aperçois là un arbre qui m’offre ses branches pour y attacher ma corde, il me semble que je m’y pendrai plus proprement et plus à mon aise. Il va pour attacher sa corde à l’arbre, mais un des bouts de cette corde qui est encore dans le trou amène une perche. Ha, ha, qu’est-ce que cela signifie ? Il tire la perche, au bout de laquelle est encore liée une autre corde plus grosse, et au bout de cette corde est un épervier à pêcher. Voilà bien de l’attirail ; ce sont sans doute les engins de quelque pêcheur de ce canton avec lesquels il pêche dans ce lac... Cela me [fait] faire une réflexion. L’ombre par là n’aurait-elle pas voulu me donner un moyen de me tirer d’intrigue ? Son dessein est peut-être que je m’[ en] serve dans cette occasion pour pêcher dans ce lac, et prendre du poisson que j’irai vendre ensuite, et dont je tirerai de l’argent. Pourquoi non ? Parbleu, essayons cela. Voilà une ligne, je pense. Oui vraiment. J’aperçois au bout un hameçon, et un goujon qui y tient pour appât. Je vais tenter fortune, je serai toujours à temps de me pendre si je ne réussis pas. [Il jette la ligne dans le lac et fait tous les gestes d’un pêcheur. ] Ma foi, le poisson mord déjà à l’hameçon. [I tire sa ligne et enlève Mezzetin.]

SCENE IV
Arlequin, Mezzetin

Arlequin
Diable, voici un bons gros maquereau. [ Il lève Mezzetin qui est tombé le ventre à terre, et le reconnaissant il dit :] Mais que vois-je ? Ce poisson-là ressemble à Mezzetin comme deux gouttes d’eau.

Mezzetin [rit à Arlequin.]

Arlequin
C’est Mezzetin lui-même... Que je t’embrasse, mon cher ami... Hé, par quelle aventure te trouves-tu dans ce lac ?

Mezzetin [joint ses poings et lève les mains au ciel.]

Arlequin
Parle-moi donc.

Mezzetin [fait voir en portant son doigt à sa bouche qu’il est muet.]

Arlequin
Tu es devenu muet !

Mezzetin [lui marque par ses signes qu’il est poisson.]

Arlequin
Ahi, sorte becca ! Mon cher Mezzetin est devenu poisson ! Il n’avait garde de me répondre puisque les poissons ne parlent point.

Mezzetin [lui montre le lac et lui fait signe par ses doigts que toute la troupe y est métamorphosée en poisson.]

Arlequin
Tous tes autres camarades et les miens sont dans ce lac convertis comme toi en animaux aquatiques ! Voilà donc l’effet de la malice des magiciennes nos ennemies ; et voici les acteurs que me fait retrouver l’ombre de la foire ! J’en suis bien plus avancé, ils ont perdu l’usage de la parole. A quelle sauce mettrai-je ces poissons-là ?

Mezzetin [fait le saut de carpe.]

Arlequin
Vous ferez des sauts, bonne chienne de drogue. Allons, continuons de pêcher à telle fin que de raison. [Il recommence à pêcher et amène le Docteur.]



EXtrait de presse

« Comme le rappelle Françoise Rubellin, les auteurs de théâtre de foire n’ont eu de cesse de modifier leur langage àla scène, poursuivis qu’ils étaient, jalousés, par les tenants du Théâtre et de l’Opéra.
Une anthologie comme celle-làn’est pas particulièrement destinée àun public jeune. Pourtant cette liberté de ton et de forme qui confère àchaque œuvre une certaine cadence devrait séduire des lecteurs, voire des interprètes jeunes adolescents.  »
[Jacques Pellissard, Griffon, novembre-décembre 2009]

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