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Joanniez, Sébastien

Désarmés, cantique

2007

mercredi 18 juillet 2007

Désarmés conte l’amour entre une femme et un homme, sur fond de guerre.

Cela pourrait être de nulle part et de toute terre disputée.

La forme et le phrasé du texte rendent compte de cette force qui naît dans l’enfance entre la petite fille et le petit garçon, qui persiste malgré l’hostilité et les morts, et les unit lorsqu’ils sont en âge d’affirmer leur choix.

Extrait, p.9

ELLE

droite devant toi je suis ton amour
et je t’apporte le vin l’eau l’air qu’il te faut
je vois comme tes yeux sont doux
je ne crains pas ta lumière
ni ton coeur
ni je veux que tu t’éloignes
je veux que tu restes

prends le vin
prends l’eau et l’air
et prends-moi
si tu crois qu’il existe une manière de me prendre
moi qui vis maintenant dans les siècles enflammés
dans le désarroi et l’opulence
prends-moi et mon temps avec
ma terre retournée
prends tout
si tu penses que tu peux supporter

ta famille nous connaît
elle peut témoigner que l’époque est dure
que notre amour peut changer le monde
elle m’a vue t’embrasser l’autre fois
sous les arbres du cimetière
et ton père s’est penché vers ta mère
et ta mère vers ton père
et ils ont dit oui
eux déjà ils ont dit oui
ils sont souriants et ils attendent que tu te décides

bois un peu pour réfléchir
ne parle pas à la légère
pèse les mots les idées
il y a tant de choses à faire
tant d’amour qui ne vient pas se glisser par les maisons
tant d’amour qui ne se dit pas
et rien ne se fait

bois un peu d’eau ou de vin ou d’air
respire
le temps de penser à ta réponse
je te regarde
tes doigts entourent le pot de vin
je te regarde boire
je trouve que tu es pour moi
tes mains sont à ma mesure
bois mon aimé

par-delà les collines il y a le cimetière
et les anciens se reposent
les tiens et les miens
les nôtres dorment là
on voit les tombes qui s’alignent

et je me souviens de toi
à la mort d’un ancien tu pleurais
comme s’il s’agissait de ton père
comme un enfant moi de même je pleurais
parce que l’un de nous c’est notre frère

et ils n’étaient pas nombreux ceux qui pleuraient
ceux qui étaient tristes ils n’étaient pas nombreux

là je t’ai vu
pour la première fois
tes larmes coulaient si vite sur tes joues
on n’aurait pas pu les attraper toutes

et je me disais quel est cet homme ici qui pleure
quel est celui qui est si troublé
cet homme est comme moi

mais déjà il fallait serrer les mains
alors je me suis placée dans la file des proches
des hommes et des femmes sans tristesse
je me suis glissée derrière toi
ta veste tremblait devant moi
tes coudes et tes joues brisées
tes cuisses et ta nuque
je voulais caresser tout ce qui t’appartenait

(...)


Extrait, p. 22

LUI

je me tiens devant toi et je me demande
comment est-ce une possibilité de te trouver là
comment le monde ne t’a pas simplifiée en chiffre
comment les chars n’ont pas surgi t’écrabouiller
comment se fait le monde et toi au milieu

car je sais la violence et la destruction
le son des bombes et celui des cris
je sais que rien ne se tolère et tout s’achète
alors
toi
ici
c’est à peine y croire que la terre existe

et si tu peux être je veux être avec toi
je veux continuer sur cette terre où nous passons
à semer
à récolter
à chanter
à danser
pendant que le temps nous est donné
je veux vivre

mais prends mes bras pour t’enlacer
la nuit vient sur la ville
il n’est plus rien à deviner des rues
des jardins ne subsistent que les ombres
glisse tes mains dans les miennes
je vais te dire ensuite
car il faut que tu saches
de moi et du monde
la vérité

les frères dont tu parles
ceux-là mêmes qui sont de ta famille
ils ont voulu m’emmener
ils avaient des armes
et ils agitaient la mort devant moi

(...)


Distinctions

Ce texte a reçu le Prix Collidram 2009, Prix de littérature dramatique des collégiens, organisé par l’association Postures avec le soutien d’Aneth.

Pièce sélectionnée par l’association Athenor, section "adolescence" de Saint-Nazaire avec six autres textes, pour la saison 2009-2010.

Extraits de presse

« En arrière fond la guerre, les religions qui ont semé la mort et la haine. On n’en voit rien, on n’entend que la parole qui monte comme un chant d’Elle à Lui, une parole qui lui raconte comment Elle en est venue à l’aimer, une parole nécessaire avant qu’ils ne scellent leur engagement par le don.
Restés longtemps, très longtemps à l’écouter, c’est Lui qui parle à son tour comme on chante, convoquant les fruits du verger, le sucre et la sève pour dire son amour. Jusqu’à l’amour donné : « …dansons ma belle/jusqu’au bas de nos ventres/goûtons comme on boit le nouveau vin/la nouvelle eau comme on la boit doucement… »

Une composition très simple : deux monologues se succèdent. La marque de ce texte est ailleurs : écrit dans une prose poétique qui impose son chant mais sait se faire concrète, Désarmés est un écho au Cantique des cantiques. Il donne – redonne ? – à l’amour dans toutes ses dimensions, une ferveur, une innocence, qui enchantent, qui étonnent aussi. Aveuglé, hors du monde, Sébastien Joanniez ?
[Annie Quenet, Griffon, n°17, mai-juin 2009]


« Désarmés est un cantique dont les deux voix successives parlent d’amour et de guerre, d’amour malgré la guerre. « Elle » puis « Lui » : une Juliette et un Roméo que l’on imagine contemporains, jeunes amants dont les peuples respectifs se disputent la même terre. (...)

Sébastien Joanniez signe ici un texte lyrique, musical, composé de deux monologues se faisant face. Deux monologues porteurs d’espoirs. Deux monologues qui, bien qu’établissant le constat de « la violence et la destruction », du « son des bombes et (...) des cris », se projettent dans des lendemains d’union et de réconciliation. »

[Manuel Piolat Soleymat, Tatouvu, 15 janvier-15 mars 2008]


« Dans cette pièce, pas de noms. Seulement Lui, et Elle, qui parlent tour à tour de leur amour sur fond de guerre de religions. Tous deux sont de croyance différente et racontent leur rencontre, leurs difficultés, leur impuissance, mais aussi la force de leurs sentiments.

C’est un texte très court, mais très fort en émotions. Sur le ton légèrement lancinant du cantique – car c’est ainsi que la pièce se présente –, cet homme et cette femme crient tour à tour leur amour, envers et contre tout.

L’écriture est tout simplement sublime, d’une poésie difficilement quantifiable. C’est un texte doux, dans lequel ne perce aucune révolte, et pourtant… C’est un véritable réquisitoire contre la guerre, qui aurait pu empêcher ces deux êtres de s’aimer. Pas de violence de la part des personnages. Seulement de la tristesse, profonde et douloureuse, de voir leurs frères s’entre-déchirer, et leur bonheur presque palpable d’être ensemble.

[Minyu, 25 juillet 2011]


« Créé à Sartrouville en 2017, "Désarmés", opéra de notre temps sur l’amour en guerre fait baisser les armes d’admiration devant le travail musical et d’abandon face à la difficulté de l’intrigue.

Les accords arpégés et glissés sur le long de la reverb à la guitare électrique, la nappe de sons aux claviers et le frétillement de la batterie qui ouvre le spectacle rappellent que Désarmés est un opéra-cantique contemporain et son effet de fascination ne faiblira pas (envoûtant toute une heure durant le public aux nombreuses familles et scolaires).

La musique d’Alexandros Markéas et le texte de Sébastien Joanniez savent en effet se mêler et tourner, les gammes orientalisantes passent avec une impressionnante souplesse vers du rock psychédélique en même temps que le texte spirituel verse dans la passion : le cantique des cantiques rencontre Roméo et Juliette, de Bethléem à Woodstock.

Certes et indéniablement, l’envoûtement opère, le public est fasciné par ce glissement infini des mélodies et des sons (…) »

[Charles Arden, Olyrix, 2 mai 2018]

Vie du texte

Lecture par l’auteur et Gislaine Drahy, proposée par ANETH-auxnouvellesécrituresthéâtrales à l’Hôtel de Massa, Paris, le 16 mars 2009.


Lecture par l’auteur et Gislaine Drahy, lors du Festival Textes en l’air, Saint-Antoine-l’Abbaye (38), le 24 juillet 2009.


Mise en scène par Isabelle Hurtin, Compagnie du Ness, avec Gérard Cherqui et Isabelle Hurtin, et percussions de Youval Micenmacher, Espace Icare (92 Issy-les-Moulineaux), septembre 2011.


Mise en scène par Gislaine Drahy, Théâtre narration, avec avec Chawki Derbel, Sarah Seignobosc, médiathèques de Moins, Condrieu, Anse (Rhônes-Alpes), 14, 15 et 21 octobre 2011.

Reprise à Vaulx-en-Velin, Davézieux (Rhône-Alpes) en octobre 2012 et au Grand Angle (Voiron, 38) en février 2014


Création sous forme d’opéra dans une mise en scène de Sylvain Maurice, musique d’Alexandro Markeas, avec deux chanteurs solistes, trois musiciens (guitares électriques, claviers, percussions, batterie) et un chœur d’adolescents, sous la direction artistique de Catherine Kollen, Théâtre de Sartrouville (78), le 19 avril 2017.


Lectures théâtralisées par la compagnie Nocturne, avec Luc Sabot et Stéphanie Marc, au théâtre Sortie Ouest (Béziers, 34) et bibliothèques, en 2017-2018.

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