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Léon, David
Debout, la joie
2022
vendredi 1er avril 2022
Le ressac de la mer étreint le mouvement de Debout, la joie.
Son flux caresse, lamine, charrie, creuse et polit, emportant le lecteur dans une valse des pronoms, des voix et des identités.
Au bouleversement de la rencontre avec l’œuvre de l’écrivain Mathieu Riboulet – dont le texte résonne ici comme un hommage –, la voix narrative tresse un dialogue, questionnant le lecteur : "Que produit la littérature face au travail du temps, de la mémoire, du deuil et de l’amour ?"
Conversation entre les morts et les vivants, Debout, la joie, travaille au dépouillement et à l’épure de l’écriture, à son archéologie même, affirmant le geste littéraire comme celui du lieu possible d’une Fraternité.
V, milieu
Mathieu écrit :
« Ces gens de pouvoir. Ces gens de haine. Nous connaissons leurs noms. »
le peuple a faim le peuple n’a plus d’électricité le peuple n’a plus d’argent il a été confisqué les gens n’ont plus de maison marée noire à l’île Maurice état d’urgence partout en France le ministre de l’Intérieur il est partout disent-ils son langage disruptif surmédiatisation et sémantique du viol effraction permanente du champ social public l’ensauvagement de la société dit le ministre l’ensauvagement du monde monsieur le ministre c’est la seule politique la dernière politique la beauté marché ce jour puis nagé dans les vagues de brumes embruns marins
Mathieu écrit : :
« Et je m’avise alors que le corps irradie la lumière des vivants, la belle lumière pleine. »
cette année tu ne prends aucune photographie tu les écris un homme nu toujours à la lisière du corps l’orée levée des brumes et puis dissipation disparition des brumes et puis alors révélation du rose du blanc du bleu pastel et puis alors l’apparition d’un arc-en-ciel de l’intérieur des brumes l’homme nu tourne ses bras muscles tendus biceps triceps trapèze force des cuisses et puis alors révélation du torse des fesses les lignes et les cheveux d’un noir corbeau à la lisière du corps l’orée l’homme disparaît il marche loin loin loin il se perd dans les ciels dans ses buées de lumière buée des buées dit l’Ecclésiaste et vanité des vanités que tout est vanité poursuite du vent
Il m’écrit depuis des mois et nous nous écrivons. :
Il m’écrit je vous embrasse. :
Il dit que le soir est terriblement lent, qu’il tombe pendant des heures. :
Il dit que j’écris ce que je vois, que je ne fabrique aucune image, :
aucune, mais que j’ouvre un récit, là, ici, sur la terre puis sur la mer il dit. :
Puis, il dit ce qui est entre la terre et la mer. :
Il dit qu’on dirait que ces récits partagés sont notre histoire. :
On dirait cela, il dit, vous, et moi. :
Que chaque jour on travaille, que chaque jour on écrit. :
Il dit que chaque nuit on rêve, à n’en rien oublier. :
On ne saurait plus quoi perdre, il dit, quoi oublier encore, quoi perdre, il dit. :
On ne se savait plus capables de produire des images. :
Si longues et si lointaines de nous, allongeant, étalant, étirant ainsi notre présence au monde.
XXIX
quelque chose de terrible à écrire ces fragments ces morceaux d’existence arrachés à l’histoire au récit familial fiction roman nous ne pouvons qu’admettre ici que reconnaître que c’est la vérité elle-même qui nous échappe se disloque sous nos doigts nos pas les battements de nos corps respirations transpirations au cœur de nos rêveries fantasmes souvenirs réminiscences il y a toujours intrinsèquement une falsification détournement contournement détours oui reprises replis retours et forcément injustes forcément incomplets seul le cœur même de l’écriture est vrai son flux son écoulement et ses mouvements l’écriture pour elle-même ses chocs renversements le basculement dont elle procède la vérité telle quelle importe peu c’est ce qui reste terrible de ne pouvoir y accéder y croire absolument c’est là la tentative l’essai l’absurde défi et sachant finalement que notre but réside essentiellement dans la boucle des phrases leur rythme et l’énergie sensible qu’elle porte charrie presque animale ou minérale ou végétale à la manière des plantes qui de quels frémissements imperceptiblement (nous ne savons à notre œil nu le détecter) se penchent vers nos soleils se plient s’inclinent font révérences aux ciels dressent leurs boutons leurs feuilles et leurs nervures et se repaissent des eaux des vents des odeurs de nos terres et se balancent balancent gorgées et pleines de notre temps
Extrait de presse
« Le texte de David Léon s’affirme comme l’impossible nécessité d’un continuum.
L’oeuvre est fragments (un des mots essentiels du livre), au nombre de 25 comme autant de poèmes en prose, de pages d’un journal intime rapportant le temps du Covid, des grandes manifestations protestataires, du Confinement, de l’explosion sur le port qui a ravagé Beyrouth ou celui des incendies californiens, des lectures de l’auteur Mathieu Riboulet, mort en 2018, ou le temps passé sur la vaste plage méditerranéenne des corps nus, des vagues, des oiseaux migrateurs, la Maguelone.
Au-delà du fragment, quelque chose emporte la voix de l’auteur, celle qui lira d’ailleurs un des passages de son texte (cf XXI) sur SoundCloud. Les lignes chassent tout obstacle. La ponctuation et les majuscules qui normalement se répondent, ont disparu.
De la plage à la « mer étale » de l’ouverture à celle du baigneur entrant dans les eaux froides de la mer, la parole écrite tisse sa toile. (...)
Mais au-delà de la simple citation ou illustration, ces extraits [de Mathieu Riboulet] sont hommage et tombeau poétique, voix off qui « dit » en quelque sorte, lecture en direct et écho onosmatique : Mathieu, l’écrivain et Matthieu le frère suicidé, personnage fondateur du théâtre de David Léon.
Les « deux frères » dont la géminée du t serait l’unique frontière. Les deux corps emportés dans la mort par la maladie ou le passage violent d’un T.G.V.
Les deux œuvres s’embrassent, s’enlacent. (...)
La joie de saisir dans la description, l’image poétique du langage, la beauté du monde, du vivant saisi dans toute sa force comme si David Léon fondait en écho à l’oeuvre de Mathieu Riboulet, une nouvelle écriture, réconciliant les êtres aveceux-mêmes. »
[Marie Du Crest, Le littéraire.com, 2 avril 2022]
« Trente-cinq fragments. Juxtaposés, déroutants.
Sur la forme déjà, l’adresse trouble et multiple. Ce "tu" qui nous confond, lecteur, frère, frère auteur, autre frère.
Ces fragments sans majuscule ni ponctuation, mais pas sans rythme. Qui emportent comme le ressac, textes à multiples vitesses, qu’on lit et remonte de quelques mots, lignes, et redéroule.
Emotions troubles et déroutantes encore, qui touchent de sincérité au travers de cette intimité dévoilée, cette nudité sans fard. »
[Babelio, 10 octobre 2022]
« Un livre déroutant. Si le résumé du livre m’a tout de suite attiré, j’ai été agréablement surpris de voir quelque chose de totalement différent de ce que j’attendais.
Une écriture sans typo, sans virgules, sans majuscules... Un enchevêtrement de mots durs, parfois doux, et sur tous les thèmes.
J’y ai vu un certain éloge à la vie et ses promesses. L’écriture ne rend pas la tâche de la lecture facile, mais c’est comme la vie, parfois semée d’embûches.
Une ode à la poésie. »
[Babelio, 16 octobre 2022]
Vie du texte
Lecture dans le cadre de la 2e édition du T.A.T ! (Théâtre Amour Transats !) du Nouveau Gare au Théâtre par Yan Allegret et les étudiants de l’école Auvray-Nauroy, à Vitry Sur Seine, le 17 juillet 2022.
Un court extrait lu par l’auteur
Et aussi Voir et entendre l’interview de David Léon par Cécile Jodlowski-Perra, Occitanie Livre et Lecture, à l’occasion de la parution du livre, 13 mai 2022.