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Simonot Michel

Traverser la cendre

2021

jeudi 2 septembre 2021

Pendant l’extermination, ceux qui maintenant sont morts se sont soulevés, ils ont écrit, enterré leurs récits, caché les livres : leur résistance face à la déshumanisation. Pour demeurer vivants. Par les mots.

Après l’extermination, c’est au témoin de prendre la parole. Il doit rendre visibles leurs traces, déterrer leurs mots, affronter l’Histoire, dire la nudité des faits. C’est lui qui parle pour l’absent, le mort, l’inaudible, le refusé, l’invisible.

En s’adressant, par-delà la Shoah, à tous les massacrés, Michel Simonot interroge le rôle du témoin, loin de tout pathos, et invite le mort à prendre part par lui-même à ce qui s’énonce dans une fiction poétique qui suit le récit et l’exposition brute de faits.

(…)

ne pas s’arrêter
un centimètre seulement
sinon la mort
qu’ils n’arrêtent pas de cogner
sinon la mort

reptile
pisser en rampant
chier en rampant
franchir les cadavres de glace
sinon une balle et un rire
ou bien le rire et la balle
éclats de balles éclats de rire éclats de crânes

au-dessus de toi derrière devant
loin derrière loin devant
les crosses cherchent la nuque
chaque tête explosée son exultation

grisés de cervelle éclaboussée
leurs mains serrées aux fusils ils voudraient s’applaudir
mais non ne pas les lâcher sinon
alors les crosses empoignées se hurlent d’encouragement loin derrière loin devant
se vocifèrent d’admiration loin derrière loin devant

(passage suivant, centré sur la page)

de ton silence
desserrer les lèvres
fendre l’effroi

prononcer les mots d’après
prononcer que tu es vivant
te réapparaitre

Je
dire je
tu ne sais plus
je tu ne le sais plus

je t’ai cherché trouvé dans les décombres
je te dis tu pour que tu puisses dire je

alors te donner ma langue
porter ta voix

dire les faits
raconter l’histoire

un poème
un chant

du chaos de la cendre de la terre
l’herbe aujourd’hui repousse

écoute
tu entends

la pierre redevient chair
les fleurs se tendent vers le soleil

les gisants vont pouvoir se dresser

(…)


tu racontes

Zalmen Gradowski c’est mon nom. Je suis de Suwalki.
mes écrits ont été retrouvés le 5 mars 1945 près du four crématoire d’Auschwitz Birkenau dans une gourde allemande enterrée, en aluminium fermé par un bouchon de métal. Un carnet de 14,5 centimètres sur 9,5 centimètres. Écrit en yiddish.

Haïm Herman c’est mon nom. Je suis de Varsovie.
mes écrits ont été retrouvés à Auschwitz en février 1945 près de la voie ferrée, dans une bouteille d’un demi-litre bien cachetée. Je les ai rédigés en français le 6 novembre 1944. Je suis arrivé à Auschwitz le 4 mars 1943 par un convoi en provenance du camp de Drancy.

Lejb Langfus c’est mon nom. Je suis de Maków Mazowiecki.
deux de mes manuscrits ont été déterrés en avril 1945 près des ruines du crématoire III de Birkenau. retrouvés dans un bocal en avril 1945, par un habitant d’Auschwitz.

Zalmen Lewental c’est mon nom. Je viens de Cieschanov.
mes écrits ont été retrouvés en juillet 1961 et octobre 1962 à Auschwitz, écrits en yiddish.

Marcel Nadsari c’est mon nom. Je suis de Salonique
mes écrits ont été retrouvés en octobre 1980 à Auschwitz, écrits en grec.

Alexis est mon prénom. On ne connaît pas mon nom. Je suis un juif grec. En août 1944 je prends les photos des corps sur le bucher près du crématoire. J’enterre l’appareil photo. Dawid Szumlewski qui m’a donné l’appareil photo le fera sortir du camp grâce à la résistance clandestine.

Après la guerre, les habitants ont retourné la terre d’Auschwitz Birkenau cherchant l’or des morts. Ils ont détruits une partie des documents. Sans valeur, ils n’étaient pas en or.
D’autres ont été retrouvés en avril 1952.

Nous étions six parmi les centaines des Sonderkommando


Distinction

Le texte reçoit l’aide à la création d’Artcena, printemps 2021.


Coup de cœur du comité de lecture d’A Mots Découverts, 2021.


Pièce recommandée par le comité de lecture de Eurodram 2022.


Pièce sélectionnée pour le Prix Godot 2021-2022 du comité de lecture de La Comédie de Caen - CDN de Normandie.

Extraits de presse

« chant puissant, tragique dans le sens classique, et beau, beau par-dessus tout / les mots, le rythme, la forme »

« texte bouleversant, cri mutique »

[Comité de lecture de A mots découverts, 2021]


« Je dirais qu’il [ton texte] est à la fois terrible et nécessaire (…)

Traverser la cendre affronte courageusement l’indicible. Tu contribues avec ta pièce puissante à « fendre l’effroi », je reprends ta formule. Cris, documents, poésie, évocations, listes, réflexions, faits, s’associent en une sorte d’oratorio qui transmet des choses essentielles. (…)

Trouver la langue « d’après » n’est pas facile. Tu as réussi je crois. »

[Lettre de Robin Renucci à l’auteur, juin 2021]


« Michel Simonot traverse, creuse, fouille avec une patience archéologique, l’indicible cendre de l’innommable histoire des camps d’extermination ; où des écraseurs d’os pilonnaient les squelettes humains pour les confondre à la terre.

L’auteur, à l’encre de la cendre, à trouver et écrit la langue d’après, qui est ici et maintenant, pour que l’humanité l’apprenne et la parle à son tour : « nous connaissions notre propre mort nous vivions pour la mort nous devions être des archivistes pour les vivants après les morts nous devions être des faiseurs de traces ».

Je ne me souviens pas d’un choc littéraire depuis « Si c’est un homme de Primo Levi ».

« Traverser la cendre » est un livre que les lecteurs doivent planter dans les mémoires d’autres lecteurs pour qu’éclosent des lettres fleurs sur la terre des ghettos : « entre les dalles fragments fêlés de ta silhouette tu crois voir
il y a des fleurs
des coquelicots à l’odeur de sang
je veux les cueillir les offrir aux silhouettes qui me croisent ».

[Dashiell Donello, Le Blog des Dits du théâtre, 2 septembre 2021]


« beau, ardu et mystérieux, un de ces livres qui vous en demandent autant qu’à son auteur. (…)

Après une première partie où la Mort, au sens général, en tant que symbole, semble surgir de la cendre, en parallèle avec la parole, et où la poésie de Simonot grandit peu à peu (on imagine le texte lu à voix haute), la parole est subitement empêchée par l’impossibilité de la représentation.

Si le texte n’a jamais été concret jusqu’ici, cultivant même une certaine abstraction, il va devenir à ce moment-là très froidement descriptif : les noms des dignitaires allemands organisant la solution finale, la liste des couleurs d’étoiles suivants votre ethnie dans les camps, les dates des actes de résistance qui ont fleuri dans les différents camps, le langage se rabat pendant quelques pages sur le concret, sur le descriptif, sur les faits.

Mais on sent bien qu’il n’épuise pas ses possibilités, qu’il a encore bien des choses à dire sur le sujet : c’est alors une vaste prière qui commence, une litanie très hantée, une sorte de dialogue avec la mort qui se transforme peu à peu en monologue en revenant au présent. La cendre retourne alors à la cendre, on peut espérer que ce livre aura œuvré un peu au souvenir des morts. (…)

Simonot est un homme de théâtre, et du plus contemporain qui soit ; on ne s’étonnera pas donc de trouver dans son texte une oralité, voire une mise en scène qu’on retrouve dans la disposition des mots dans la page, dans les polices utilisées, dans ces belles pages presque entièrement blanches. (…)

il [le texte] est un prodigieux kaddish qui prend la forme d’une litanie douloureuse, d’un appel aux morts, d’une injonction à garder des traces de culture même dans le chaos (l’auteur insiste beaucoup sur ces bibliothèques brulées, sur ces manuscrits retrouvés aux abords des camps).

On est épaté par l’audace de ce texte, qui ose revenir sur ces lieux et ces actes tellement fouillés par ceux qui l’ont vécu, et qui le fait avec les armes du langage d’aujourd’hui : la poésie, l’oralité, le chant même.

Au final, voilà un livre qui va exiger beaucoup de vous, on ne va pas se le cacher, mais qui, lentement, durablement, va gagner votre cœur, et apporter sa minuscule pierre à l’édifice de la dicibilité de l’horreur (mot compte double). Nécessaire.

[Canal blog, 9 septembre 2021]


« Depuis Le But de Roberto Carlos en 2013, le dramaturge Michel Simonot creuse un sillon d’écriture unique dans le paysage contemporain. Après Delta Charlie Delta (2016), Traverser la cendre, qui vient de paraitre aux éditions Espaces 34, peut être lu comme le dernier volet de la trilogie à la fois cohérente et puissante, à la recherche d’une parole qui, l’origine, est avortée, comme en attente d’un enfantement littéraire, quasi scripturaire. (…)

Ce ne sont pas es survivants qui provoquent la parole du dramaturge, mais les morts, les sans voix, ceux qui ne sont plus que cendre – à traverser. (…)

Il y a une fébrilité dans ce texte que nous n’avions pas ressenti à la lecture des précédentes œuvres du dramaturge. Michel Simonot semble remonter la faille et le déchirement de son histoire pour retrouver la source de sa propre existence. Il explore un désert de cendres pour toucher la chair de ce qui le constitue. Ce livre s’inscrit dans la parole brisée avant que d’être prononcée. (…)

Il exhume les lambeaux de textes disséminés dans la terre de l’Histoire, non comme un excavateur, ni un inspecteur, ni même un archéologue, mais comme un fils à qui la parole fondamentale n’a pas été transmise, de sorte que les mots accourent sur la page pour tenter de lui donner une réalité, une épaisseur, une consistance. »

[Pierre Gelin-Monastier, Les Lettres françaises, septembre 2021]


« Qu’un tel texte puisse rester méconnu est impensable parce qu’il fait partie de ces rares livres qu’on a envie de garder près de soi, dans une poche de manteau, sur sa table de nuit, dans le vide-poche de la voiture, pour être sûr de l’avoir à portée de main.

Un texte à lire, relire, sans cesse. On ne dira pas « savourer », « déguster », termes impropres, inadéquats. Cette littérature-là se lit d’un coup ou parcimonieusement, ligne à ligne, page à page, on voudrait, toute distraction abolie, ne rien omettre, ne rien perdre. Au terme de la lecture, on ne sait plus. On est abasourdi. Percé, transpercé des traits décochés. Cette lecture-là est un choc. Elle ne laisse pas indemne. »

[[Jean-Pierre Suaudeau, page Facebook, septembre 2021]


« Michel Simonot a écrit un recueil de poésie pour tenter de dire l’indicible : le traumatisme de l’extermination des Juifs d’Europe par l’Allemagne nazi. (…)

Pendant l’extermination, ceux qui maintenant sont morts se sont soulevés, ils ont écrit, enterré leurs récits, caché les livres : leur résistance face à la déshumanisation. Pour demeurer vivants. Par les mots. Après l’extermination, c’est au témoin de prendre la parole.

En s’adressant, par-delà la Shoah, à tous les massacrés, Michel Simonot interroge le rôle du témoin, loin de tout pathos, et invite le mort à prendre part par lui-même à ce qui s’énonce dans une fiction poétique qui suit le récit et l’exposition brute de faits. »

[David Rofé-Sarfati, Toute la culture, 3 octobre 2021]

Le texte à l’étranger

Le texte est traduite en allemand par Heinke Wagner sous le titre provisoire Durch die Asche en 2021.

Vie du texte

Lecture musicale par l’auteur avec Franck Vigroux, bibliothèque de Saint-Nazaire (44) le 24 mars et Théâtre Athenor, le 26 mars 2022.


Lecture par Denis Lanoy, à la Maison Théâtre des Littératures à voix hautes, Nîmes (30), le 7 avril 2022.


Dans le cadre du Festival Regards croisés, proposé par le collectif Troisième Bureau, lecture dirigée par Danièle Klein et Geoffroy Pouchot-Rouge-Blanc, avec Léo Ferber, Gilles Najean, Geoffroy Pouchot-Rouge-Blanc, au TMG, Grenoble (38), le 20 mai 2022.


Création sur France Culture, dans une réalisation de Louise Loubrieu, avec Ludmila Mikaël, Frédéric Pierrot, Guslagie Malanda, Philippe Dormoy, Noémie Gantier, Bernard Bloch, Philippe Tlokinski, Matej Hofmann, Sophie Bezard, Zbigniew Jankovski, Yiannis Plastiras, 5 mai 2024.


Création dans une mise en scène de Nadège Coste, Compagnie des 4 coins (Metz) avec Laetitia Pitz (interprétation), Grégory Alliot (chorégraphie), Gilles Sornette (compositeur), Le Point d’O, Ostwalt (67), du 15 au 17 mai 2024.

Tournée 2024-2025 (en cours)
— Les Trinitaires, Metz (57) avec une création également autour de Même arrachée dans le volume collectif Ce qui (nous) arrive, vol 1
— L’Apalva, Villerupt (54), janvier 2025

Un court extrait lu par l’auteur

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