Accueil > Collections > Théâtre > Théâtre traduction > Avidya, l’auberge de l’obscurité

Tanino, Kurô

Avidya, l’auberge de l’obscurité

2022

jeudi 3 novembre 2022

Au cœur des montagnes du Japon et de leurs sources thermales, deux marionnettistes arrivés de Tokyo attendent le propriétaire de l’auberge pour présenter leur spectacle.

Ils sont accueillis par les quelques villageois qui séjournent dans l’auberge, puis par l’homme qui s’occupe des bains. Tous sont intrigués par ce nain et son fils au visage impassible venus de la ville.

Tandis que ce havre de paix et de guérison est promis à la démolition pour laisser place à une nouvelle ligne de chemin de fer, les langues se délient, les esprits s’agitent, les désirs s’insinuent.

Si avidya désigne l’illusion ou l’aveuglement dans le bouddhisme, ce voyage dans le ventre de nos désirs, aux confins des non-dits, est aussi un hommage au Japon ancestral, délicatement porté par la voix de la narratrice.

Extrait, SCÈNE 1. VESTIBULE (14 H, PAR UN TEMPS ENSOLEILLÉ)

Une vieille femme portant un voile sur la tête apparaît en écartant le rideau noren.

VOIX – Elle s’appelle Takiko, c’est une habitante du village. Les habitués l’appellent « Otaki ». Le hameau où elle vit se trouve à quatre kilomètres de l’auberge thermale. À quatre-vingts ans passés, elle n’arrive toujours pas à arrêter la cigarette, et fume encore plus depuis qu’elle a perdu son mari, il y a dix ans. Dans cette auberge thermale où elle se rend régulièrement depuis l’enfance, elle séjourne à présent dès le début de l’automne, pour repartir juste avant l’hiver. Ces séjours lui permettent d’apaiser un peu ses douleurs à la poitrine.

Otaki porte une épaisse veste haori par dessus son yukata et tient un furoshiki dans la main. Une petite faucille en dépasse. Elle s’apprête à aller cueillir des plantes sauvages dans les environs. Surprise de voir les deux hommes dans le vestibule, elle se fige sur place.
Ichirô est toujours en train de servir du thé.
Otaki affiche immédiatement un air méfiant.

ICHIRÔ, après avoir fini de verser le thé – Bonjour.

OTAKI – Bonjour…

ICHIRÔ – Mon nom est Kurata.

OTAKI – ... et ?

ICHIRÔ – On nous a fait venir ici depuis Tôkyô. Nous sommes censés donner un spectacle ce soir…

OTAKI – ... ah ?

ICHIRÔ – Le personnel de l’auberge est-il là ?

OTAKI – Mais... comment ça, un spectacle ?

ICHIRÔ – Eh bien, justement, c’est pour cela que nous cherchons le personnel de l’auberge.

OTAKI, dans le dialecte de Toyama. – J’en sais fichtre rien où il est, le personnel, moi.

ICHIRÔ – Ah ? Bon...

OTAKI – Y a personne, dans c’t’endroit.

ICHIRÔ – Comment ? Il n’y a personne, vous dites ?

OTAKI – Nan, y a personne de l’auberge.

ICHIRÔ – Et le propriétaire ?

OTAKI – Le propriétaire ? Y en a pas. Y a pas d’ça, ici.

ICHIRÔ – Je vois. Vous vivez dans le coin ?

OTAKI – Hein ? Quoi ? Moi ? Ah, ça non !

ICHIRÔ – Vous venez souvent ici ?

OTAKI – Ouais, on peut dire ça.

ICHIRÔ – Je vois…

OTAKI – Et alors quoi, vous êtes malades ?

ICHIRÔ – Hein ?

OTAKI – Z’êtes venus faire une cure ? C’est ça ?

ICHIRÔ – Non, nous sommes juste venus donner un spectacle, à la demande de cette auberge.

OTAKI – Et moi j’vous dis qu’y a personne, ici. Faut vous le répéter combien de fois ? Z’êtes malades, oui !

MOMOFUKU, se levant.– Elle dit qu’il n’y a personne.

Otaki, sidérée par la petite taille de Momofuku, en a le souffle coupé.

ICHIRÔ – Ma foi, oui.

MOMOFUKU – Je vais aux toilettes.

Momofuku disparaît dans les toilettes ; Otaki reprend enfin son souffle.

OTAKI – Mais vous êtes qui, au juste ?

Ichirô sort une cigarette de sa poche et l’allume.
Il inspire profondément, puis recrache lentement la fumée.

ICHIRÔ – Bon, quoi qu’il en soit, on a compris : il n’y a personne.

OTAKI – C’est… C’est pas un endroit pour les divertissements, ici. Pas un voyageur ne passe par là, et personne à part les villageois connait ce coin. Mais quand on descend tout à l’ouest, vers Sanno, y a une petite ville thermale paumée, et là on trouve des auberges qui font des banquets. T’aurais pas confondu avec là-bas, des fois ?

ICHIRÔ – Je vois.

OTAKI – Eh… dis, dis…

ICHIRÔ – Oui ?

OTAKI – C’est quoi, ce type ?

ICHIRÔ – C’est mon père. Pourquoi ?

OTAKI – Hein ?

ICHIRÔ – Je dis : c’est mon père.

OTAKI – Hein, quoi ? Ton… Ton père ?

ICHIRÔ – Oui.

OTAKI – C’est vrai, ça ?

ICHIRÔ – Oui.

OTAKI – Ton père à toi ?

ICHIRÔ – Oui.


SCÈNE 4. BAINS (AU CRÉPUSCULE, PUIS DE NUIT)

Des bains en plein air, construits entre les rochers.
De nombreuses bougies sont posées de manière aléatoire sur les rochers qui constituent les rebords du bassin. Elles tiennent sur les restes de cire fondue et durcie des bougies précédentes. L’opération a été répétée pendant des années, ce qui leur a donné la forme de stalactites. Deux ou trois d’entre elles sont allumées.
Au bord du bain, une grande boîte d’allumettes et de nouvelles bougies, emballées dans un sac plastique pour les préserver de l’humidité. On les allume quand la lumière vient à manquer, mais pour le moment, le soleil couchant éclaire encore les lieux.
Le bruit de la source, qui jaillit continuellement, fait sentir le pouls puissant et majestueux des profondeurs de la montagne.

Momofuku et Ichirô sont déjà dans le bassin. L’eau est très chaude. Les deux hommes, le visage cramoisi, transpirent à grosses gouttes.
Sansuke et Matsuo entrent à leur tour dans les bains.

MATSUO, à Sansuke – Ça va aller, maintenant.

Matsuo touche les rochers du bassin pour se guider. Avec des gestes d’habitué, il prend le baquet et verse à deux reprises de l’eau chaude sur son corps, avant d’entrer dans le bassin. Il reste concentré sur Ichirô, dont il est séparé par la buée.
Momofuku sort du bassin.

MOMOFUKU, à Sansuke – Hé…

MATSUO, surpris – Oh… Votre père était là…

Sansuke, dans le vestiaire, retourne aux bains en courant.
Avec des gestes soigneux, il frotte le dos de Momofuku. Il lui masse ensuite les épaules, puis peigne ses longs cheveux blancs avec un peigne en écailles de tortue.
Une fois qu’il a terminé, il lui attache les cheveux.

MOMOFUKU – Tu fais ça bien. Merci.

Le visage tout rouge, Sansuke affiche un large sourire et incline la tête plusieurs fois.

MOMOFUKU – Tu peux y aller.

ICHIRÔ – Merci.

Ichirô sort du bassin. Matsuo réagit avec sensibilité aux mouvements d’Ichirô.

ICHIRÔ – S’il vous plaît.

Sansuke rince le dos d’Ichirô. Alors qu’il commence à le lui frotter, ses gros bras se mettent à trembler.

MOMOFUKU – Les aveugles paraissent bien plus jeunes. Pas vrai ?

MATSUO – Hein ? Ça, j’en sais rien...

MOMOFUKU – Et si tu te touchais toi-même ? Tu devrais parvenir à le sentir, avec tes doigts dont tu es si fier !

MATSUO – Vous êtes drôle…

MOMOFUKU – Tu ne t’y connais qu’en fleurs pressées, alors ?

MATSUO – Et vous, M. Kurata ?

MOMOFUKU – Quoi ?

MATSUO – À quoi ressemble votre corps…

MOMOFUKU – Il n’est pas beau à voir. Tu veux toucher ?

Momofuku caresse doucement la joue de Matsuo, qui sursaute.

MATSUO – Non, je ne voudrais pas vous importuner…

MOMOFUKU – C’est bien dommage.

Sansuke, qui essaye de détendre le corps anormalement raide d’Ichirô, lui administre un massage shiatsu faisant rougir son visage.

MATSUO – Et votre fils ?

MOMOFUKU – Ichirô ? C’est encore pire.

MATSUO – Ah bon ?

Momofuku sourit.

MATSUO – Je ne me rends pas compte.

MOMOFUKU – Bah, ne sois pas si tendu.

Sansuke finit de rincer Ichirô et retourne dans le vestiaire.
Ichirô replonge dans le bassin.
Le corps de Matsuo se raidit soudain, et il essaye de sentir la présence d’Ichirô.

Un silence s’installe : seul le bruit de l’eau chaude enveloppe les bains.

Momofuku pose ses deux mains sur le rebord du bassin et s’endort.
Matsuo entend imperceptiblement son souffle. Il se rapproche doucement d’Ichirô, en essayant de ne pas faire de bruit.

MATSUO – Il devait être fatigué.

ICHIRÔ – Il dort ?

MATSUO – J’ai trop parlé. Ne vous inquiétez pas. L’eau est douce, ici.

ICHIRÔ – Oui, c’est vrai.

MATSUO – Ne m’en tenez pas rigueur, ce ne sont que les paroles d’un aveugle, mais… votre père, il est spécial. Je le sens, quand je parle avec lui. Je veux dire qu’il est intéressant. Enfin…

ICHIRÔ – Ah bon ?

MATSUO – Excusez-moi…

ICHIRÔ – Je vous en prie.

Matsuo essuie la sueur sur son front.

(...)


SCÈNE 5. CHAMBRES (DE NUIT)

(...)

IKU – Ça doit être fantastique, Tôkyô ! Le pays des rêves. J’aimerais bien y aller...

FUMIE – Lui, il vient du pays des rêves ! Où les rues sont pavées, les immeubles en briques…

IKU – Exactement !

FUMIE – Et tout le monde mange dehors !

IKU – Dehors ?

FUMIE – Tu ne savais pas ? Ils sortent des tables à l’extérieur, ils s’asseyent…

IKU – Et ils boivent du vin !

FUMIE – Puis le riz, c’est ringard ! Eux, ce sont les patates, ouais ouais, les patates ! Ils les mangent toutes écrabouillées ! Pas vrai ?

IKU – Du vin, quelle chance… Dire qu’ils ne boivent pas de saké dégueulasse.

FUMIE – Ah, au fait…

Fumie sort des légumes-feuilles en saumure.

IKU – C’était pas pour Otaki ?

FUMIE – On s’en fiche, elle les mangera pas. (Elle les sert à Ichirô.) Tenez.

ICHIRÔ – Non merci.

FUMIE – Ne soyez pas si gêné !

IKU – C’est délicieux, vous savez !

Fumie en avale une poignée.

IKU – Oh, comme j’ai envie d’en manger !

Elles mangent bruyamment toutes les deux.

FUMIE, après avoir dégluti lentement. – Il paraît que vous donnez des spectacles de marionnettes ?

ICHIRÔ – C’est ça…

IKU – Formidable !

FUMIE – Quel genre ? Du théâtre jôruri ? Ou comme les Chroniques des Trois Royaumes en marionnettes, le truc qui passait à la télé avant ? Ah non, je sais ! C’est le truc avec des fils, là.

IKU – Alors alors ?

ICHIRÔ – Ce n’est pas vraiment ça…

FUMIE – C’est-à-dire ?

ICHIRÔ – Eh bien…

Momofuku commence à fumer.

FUMIE, n’attendant pas la réponse d’Ichirô. – J’aimerais voir !

IKU – Je veux voir, je veux voir !

ICHIRÔ – Non, pas aujourd’hui…

FUMIE – Allez, s’il vous plaît… (Elle se colle contre Ichirô.)

Fumie appuie sa poitrine menue, mais ferme et ronde, contre le bras de l’homme.

ICHIRÔ – Non, je…

FUMIE – S’il vous plaît…

ICHIRÔ – Je ne peux pas…

Fumie et Iku se regardent.

FUMIE – Bon, alors on va jouer en premier, et vous prendrez le relais !

IKU – On commence, vous continuez !

FUMIE – Bon ! On joue quoi ?

IKU – Ce que tu veux !

FUMIE – Ça peut être n’importe quoi. Je suis trop bourrée, à ce stade tout sonne pareil !

Fumie et Iku sortent leur shamisen.

IKU – Euh, je ne sais pas, moi… Ça, par exemple ?

FUMIE – « Le lion d’Echigo » ? C’est lugubre. Nan, jouons un truc plus gai !

IKU – Ah, je sais ! Que dis-tu de ça ?

Elles commencent à jouer.
Synchrones, elles font trembler les murs de la petite auberge thermale en frappant les cordes de leur instrument. Le son du shamisen est furieux. C’est la volonté sauvage des femmes.
Le col du kimono de Fumie est largement ouvert, dévoilant le sillon entre ses seins. Le bas du vêtement d’Iku s’ouvre lui aussi peu à peu, exhibant ses cuisses blanches. Une chair blanche rebondie, comme une source qui jaillit.

Otaki, à l’étage, fulmine de nouveau.

OTAKI – Taisez-vous !

Elle veut descendre pour les interrompre, mais renonce. S’asseyant lentement devant la coiffeuse dont elle ne se sert jamais, elle, relâche ses cheveux et commence à les peigner, la cigarette toujours aux lèvres.

VOIX – Dans sa jeunesse, Otaki avait appris le shamisen, mais elle avait arrêté peu après. C’était en partie à cause des ravages de la guerre qu’elle n’était pas devenue geisha, mais surtout car elle avait bien conscience de son physique. Quand elle ne les encourageait pas, Otaki enviait les deux femmes. Elle voulait qu’entre elles, ce soit comme une famille. C’est pourquoi elle faisait généralement semblant de ne pas les entendre. Mais ce soir, le son qui lui parvenait d’en bas la cinglait au cœur même de sa féminité. Sa jalousie s’était réveillée. Elle, vêtue en geisha comme dans ses rêves, son histoire d’amour avec un client, les travailleurs de chantier lorgnant sa poitrine généreuse… Les souvenirs se mêlaient aux fantasmes avant de disparaître totalement, chassés par les violents accords du shamisen.

(...)


Extrait de presse

« Avidya est une auberge, dans le déni d’un monde qui s’en va, supplanté par la plaie d’une nouvelle ligne de chemin de fer qui blesse, à la vitesse du Shinkansen, les souvenirs des traditions ancestrales.

Son nom « Mumyô »-Avidya en sanscrit-, désigne le premier des douze maillons bouddhisme (nidanas), qui signifie « ignorance » ou aveuglement.

La rumeur nomme l’auberge Avidya, baignant dans les brumes thermiques de la station, « vallée de l’enfer », et raconte que les esprits qui l’habitent ne peuvent échapper à leur destin. Kurô Tanino, qui a écrit la pièce et signe la mise en scène, considère que c’est le point de départ de toute chose.

Avidya – L’Auberge de l’obscurité est une pièce, d’une rare profondeur humaine, qui nous emporte aux confins merveilleux du surnaturel.

Deux montreurs de marionnettes, un père et son fils, arrivent dans une auberge à vocation thermale. Mais le propriétaire qui les a invités par lettre, à venir présenter un spectacle, est absent.

Très vite une vieille dame, qui vit dans une des chambres communes de l’auberge, s’étonne de leur présence et de leur bizarrerie. Le fils lui semble particulier, et la trouble, d’autant plus que son père est un nain.

Au fil du temps, nos deux « étrangers » font la connaissance des habitués de l’auberge. Tous souffrent de problèmes de santé. Il y a dans la maisonnée : un aveugle qui espère voir avec « les yeux du coeur », une geisha qui aspire à enfanter, et un Sansuke qui gère la station thermale.

Après une forte demande des curistes, les marionnettistes acceptent de présenter une partie du spectacle. La représentation réveille une marionnette, difforme et démoniaque, qui agit sur l’intériorité des habitants de l’auberge.

Cet hommage de Kurô Tanino au Japon profond de ses ancêtres, est à la façon du théâtre Élisabéthain, plein de bruits sensuels et de fureur naturelle, délicatement porté par la voix d’une narratrice (peut-être l’auberge elle-même ?). »

[Dashiell Donello, Mediapart, 22 septembre 2018]


« En exergue de son texte, l’auteur dédicace la pièce à sa région natale, aux sources thermales d’Unazuki et au village de Yatsuo et au monde dis¬paru après l’ouverture du train à grande vitesse, le Shinkansen.

Les pièces de Tanino nous trans¬portent dans des lieux de la civilisation nippone ancestrale, cherchant à capturer les instants où les choses vont disparaître ou vont être perdus. (…)

La pièce nous donne à voir et à entendre par la présence du shamisen et du kokyu, un Japon en voie de disparition, de démolition, sous le coup des engins de terrassement à l’oeuvre en vue de la construction d’une nouvelle ligne de train à grande vitesse (p. 98). Le monde contemporain remplace le saké par le vin et le riz par les patates.

Cet attachement à la fois nostalgique et amusé (l’auteur souligne dans un entretien que le public japonais rit à la différence du français) à cette comédie humaine des geishas alcoolisées, du sansuke, officiant à la toilette des gens prenant un bain et fécondant les femmes en mal d’enfant, ou d’un mal-voyant maladroit, renvoie par sa forme même à des éléments de l’histoire du théâtre traditionnel.

Une récitante, en la personne d’une vieille femme, semble un avatar du narrateur, du tayu du Ningyo Johruri Bunkari, théâtre de marionnettes accompagné de musique, de l’époque d’Edo. (…

Tanino dévoile aussi le corps de ses personnages, leur nudité, leur physiologie sans pruderie aucune. (…)

Le charme de cette représentation inattendue cependant opèrera. Marionnette étrange, homonculus du neurochirurgien Penfield mettant en abyme la théâtralité et l’humanité.

Demeure la beauté de la nature, celle de la neige qui tombe comme chez Kawabata, celle des kakis orangés, des couchants magnifiques, de la cigale et de l’été revenu à la dernière scène quand le train rapide résonne au loin. (…)

Il y a dans cette pièce japonaise comme l’écho de La Cerisaiede ceux qui partent et de ceux qui restent. »

[Marie Du Crest, Le Litteraire.com, 13 novembre 2022]


« Ici, on a affaire à une auberge abandonnée, située dans une vallée très reculée et d’accès difficile. Néanmoins, des gens continuent de la fréquenter en voisins, pour s’y baigner l’été.

L’histoire commence par l’arrivée de deux personnages, un père (82 ans) et son fils (55 ans). Le père est atteint de nanisme et porte les cheveux longs. Cela le rend étrange, bien sûr. Le fils prend soin de lui. Tous deux viennent de Tokyo, à la suite d’une lettre qu’ils ont reçue, les invitant à venir dans ce lieu donner une représentation, car ils sont marionnettistes.

Mais ils ont beau appeler, l’auberge semble vide. Qui a bien pu envoyer cette invitation, alors qu’il n’y a personne pour les accueillir ?

Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Cet endroit vide s’avère très fréquenté. Une aveugle vous masse, un serviteur oublié là, continue de servir, des geishas viennent s’entraîner à jouer de leur shamisen. Là, au moins, elles ne sont pas en butte aux protestations des voisins.

Le dispositif tournant recommandé comme scénographie permet de faire coexister différentes scènes qui se déroulent en même temps au rez-de-chaussée et à l’étage. Sans doute, le spectateur devrait apprécier et suivre avec intérêt cette drôle d’histoire de va-et-vient, de bains et de massages, de conversations étranges, comme un ballet continu et insensé.

Chaque personnage semble rejouer indéfiniment le rôle qu’il a tenu dans sa vie, faisant du thé, cueillant des herbes, jouant du shamisen ou tenant des propos obscurs. Les visiteurs eux-mêmes finiront par donner un bref spectacle de marionnettes. Mais à la question initiale « qui a bien pu envoyer l’invitation aux marionnettistes », il ne sera pas répondu. »

[Nicole Fack, Théâtre Actu, 10 juillet 2023]

Vie du texte

Création en japonais surtitré dans une mise en scène de l’auteur au
Festival d’automne de Paris en 2016 ;
Festival d’automne de Paris, T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National, en 2018.

Portfolio