Accueil > Collections > Théâtre > Théâtre contemporain > Les chants du silence rouge
Galea, Claudine
Les chants du silence rouge
2008
jeudi 18 octobre 2007
La pièce retrace l’épopée tragique des Indiens, depuis la cosmogonie légendaire de leurs origines jusqu’à leur anéantissement dans les réserves ou les grandes villes américaines.
La construction des Chants du silence rouge s’étend sur trois générations, et prend la forme de cercles successifs.
Les personnages sont avant tout une parole. Ils disent la culture indienne assassinée, l’histoire collective de ceux qui ont été détruits au contact d’une « civilisation  » qui a nié leur identité.
Des Indiens
à propos des Chants du silence rouge
Il m’intéressait peu de savoir s’ils étaient rouges, blancs ou jaunes, s’ils portaient des plumes et s’ils vivaient sous des tipees.
Différents, lointains, inconnus, inapprivoisables à moins de partager leur vie, inappropriables à moins de lire quelques centaines d’ouvrages et encore ! Je n’avais pas pour tâche de les rendre réels, mais vivants.
Possédant un langage et un mouvement.
Le mouvement serait davantage le matériau du metteur en scène, il m’appartenait plutôt de trouver le langage.
Le terme de Chant s’est imposé comme fondateur et formateur de cette parole indienne. J’ai entendu avant d’écrire. Au lieu de découper l’histoire en scènes ou en tableaux, je l’ai découpée en chants. Au lieu de penser dialogues j’ai pensé voix.
Derrière chaque voix un personnage se profilait. Les personnages sont ainsi nés de leur parole.
Mis en rapport, ils constituaient un Monde, un cheminement. Pas de psychologie personnelle. Ils n’existaient que pris dans la conscience collective de la tribu.
Personnages d’avant la psychanalyse, types d’individus empreints par le mythe et l’Histoire collective. Et cependant leur parole n’était jamais que la mienne, résolument moderne.
Aucune convention théâtrale, une absence totale et délibérée de didascalies ou d’indications scéniques, psychologiques - caractérielles à mon sens pour un texte tel que je l’avais choisi. L’oralité contre l’écrit, la matière contre la structure, l’invocation contre la description (l’évocation), le type contre l’individu, l’écoute contre l’interruption, l’échange contre le dialogue. Du chant plutôt que du monologue.
Dès lors j’ai simplement fait se répondre quelques personnages entre eux, le long chant demeurant la base de toute parole, lieu obligé des grandes décisions (Chants avant l’exil, chants de la mort, chant de l’initiation...).
L’histoire a fini de se dérouler comme une partition.
Claudine Galea
PERSONNAGES
Abuelo, grand-père et chef de la tribu
Abuela, grand-mère, deuxième femme de l’Abuelo, mère de La Fiancée
La Première Épouse, première femme de l’Abuelo
La Fiancée, fille de l’Abuela et de l’Abuelo, fiancée puis femme de l’Homme-qui-boit, devient Lupa-la-prostituée dans la Ville Blanche
Le Fiancé, épouse La Fiancée, devient l’Homme-qui-boit
L’Enfant-initié, petit-fils de l’Abuelo et de sa première femme, devient Celui-qui-continue-le-combat dans la réserve
L’Enfant-sans-sexe, devient l’Homosexuel
L’Enfant-muet, devient Le Fada
Le Fils de l’Homme-qui-boit, fils de l’Homme-qui-boit et de sa femme, petit-fils de l’Abuela, cousin de l’Enfant-initié, devient l’Indien-inventeur-de-scotch dans la Ville Blanche
Extrait
PREMIER CERCLE - Le temps du mythe
Chants de la naissance du monde indien
Chants des enfants
Le monde est né carré
d’un côté il est jaune comme le soleil
de l’autre bleu comme la mer
d’un autre noir comme la nuit
le ciel
de l’autre enfin du quatrième le monde est rouge et vert comme la terre
L’oiseau habite dans le ciel
et vient le serpent depuis le fond des mers
et la louve hante les terres
et du soleil un chien est tombé
Mon esprit est gardé par la lune
et j’ai des jambes poussées du sol
et mon cœur brà »le dans ma poitrine
ma langue coule comme l’eau
ou s’assèche
et ma bouche se remplit de terre
C’est la femme qui vint d’abord la lune toute blanche
et elle a inventé la couleur du soleil
la déesse précède le dieu et l’enfant
e et nous voyons bien chaque jour que sans la femme nous ne serions pas
Le monde est né tordu
et l’homme était sans sexe chez les Purupecha
les dieux ont eu honte et l’ont noyé dans la mer
La terre a connu le déluge et le ciel s’est renversé dessus
D’accord pour le déluge
mais c’est après que tout a commencé
Avant il n’y avait rien que des bouts de bois et des feuilles tombées
par terre et les fleurs restaient cachées sous la terre
Après dans la boue de l’univers
Watakamé descendit avec une chienne noire
Elle était plus grande que les loups plus noire que l’obsidienne
elle guidait le dieu et ordonnait la terre et séparait l’eau du feu et le jour de la nuit
La chienne noire fut la mère de l’univers
voilà ce qu’il en est
quand elle a laissé tomber sa peau d’animal un matin
et la terre épouvantée s’est mise à trembler
et les choses se sont mises en place
et d’abord nous, les indiens Huicholes
car de la chienne noire naquit la Femme
Tous les fleuves sortent d’un seul lieu
qui s’appelle Tlalocan
La terre sort de l’eau
et la lumière de l’écume
Le monde souterrain est liquide et viennent les katchinas
nous rappeler qui nous fà »mes
Quand, sortant de l’eau, écumant
Nous avons inventé le pied pour marcher
et la main pour toucher
Et c’est pourquoi l’enfant marche d’abord à quatre pattes
parce qu’il savait sà »rement nager
et le monde est d’abord à l’horizontale
Et nous avons inventé le soleil pour pouvoir sécher l’eau
et avant de parler nous avons éternué dans le froid de l’univers
Et quand le monde finira il redeviendra liquide
car la mer gagne sur la terre
et le sol est mouvant
et ce qui est dessous la terre pourrit et devient liquide
et les morts on les met dans des barques
pour rejoindre le Monde d’Avant
Le monde est d’abord du temps
des ronds de temps
et c’est cela que le vieux chef représente en fumant sa pipe
Il fait tourner la fumée en petits cercles et chaque cercle est une étape dans l’histoire du monde
Le chemin qui nous emmène vers l’autre vie n’est pas droit
il tourne
Rien n’est droit que l’homme
mais avec l’âge il se courbe
et le soleil est rond
et les vagues nous roulent
et le visage de l’homme est rond
et dans le sexe de la femme l’homme tourne
Et quand nous aurons quitté ce temps pour un autre
un nouveau cercle se fermera
plus grand ou plus petit
Quand nous naissons nous naissons pour toujours
Indiens pris dans les ronds du Temps pour toujours
A propos du livre
« La lecture des trois "cercles" successifs qui composent ce poème dramatique donne à entendre une voix singulière plus proche de l’Ange de l’histoire de Walter Benjamin, reprise en écho des combats et des affres des vaincus, que de l’ethnologue amateur ou du réducteur de mythes. Le poète engage ici un dialogue avec les ombres, qui touche par sa rigueur et sa retenue. "Je n’avais pas pour tâche de les rendre réels, mais vivants", note Claudine Galéa. Et c’est en effet la vertu de ces versets jamais hiératiques ou sentencieux, mais tendus par une langue économe et évocatrice, exempte de tout stéréotype, que de nous restituer le souffle - haleine et verbe - de ces individus réifiés en "indiens" dans l’imaginaire collectif.
(...) La poésie s’en fait ici le témoin de l’intérieur, le porte-voix intime, et ce carambolage au ralenti de l’intime et du politique n’est pas la moindre force de l’ouvrage.
Un grand beau texte, pour un théâtre de parole à l’ample résonance.  »
Vie du texte
Lecture lors de TEXT’AVRIL, semaine de l’écriture contemporaine proposée par Patrice Douchet, Théâtre de la Tête noire à Saran, sous la direction de Anne Courel, compagnie Ariadne, le 2 avril 2008.