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Léon, David
Le Terrien est un spam
2023
jeudi 20 avril 2023
Un personnage – ou une figure – s’adresse au peuple des humains.
Au bord de la catastrophe qui s’annonce, il interpelle de façon drolatique les Lacaniens et Lacaniennes dans une frénésie de paroles, vives et désespérées, qui empruntent au vocabulaire du virtuel et aux tournures des communicants, pour trouver une issue.
Le langage, spécifique à l’espèce humaine, est devenu matière à jeu et déploie un humour corrosif, laissant place par moment à la parole archivée des animaux, derniers témoins de la dévastation du monde.
Oscillant entre poésie, psychanalyse et philosophie, cette fable futuriste, écologique mais aussi spirituelle, pose une question fondamentale : comment sauver le vivant quand l’homme est à la source du problème ?
« Nous avons pénétré tous nos écosystèmes trop vite », disent les Terriens.
« Et de manière trop imprudente.
Nous avons ravagé nos territoires.
Nous nous sommes exposés à des virus complètement inconnus à notre humanité.
La question devient politique », disent les Terriens.
Ils disent : « L’apparition d’une nouvelle maladie au potentiel pandémique ne sera pas déclarée avant qu’elle ne se soit répandue sur le monde ».
On ne va pas s’laisser hacker les Lacaniens !
Moi en tout cas pas moi !
Puisque j’vous dis qu’leurs dieux sont morts !
Fin des totems. Fin des points de croix et des calvaires fin des tabous !
Ça fait une paye que j’vous le dis pourtant !
Que l’Homme est son propre virus, déchet, déchet !
Rappelez-vous la formule les Lacaniens, Jacques a dit : « Là où il y a une accumulation de déchets il y a de l’Homme !
Le Tas D’Ordures : voilà une des faces qu’il conviendrait de ne pas méconnaître de TOUTE la dimension humaine ! »
Moi en tout cas pas moi je m’laisserai pas hacker !
Vous n’voulez pas m’entendre les Lacaniens !
Vous n’voulez pas m’entendre...
LalalaLangue détruit l’oreille.
On ferme les écoutilles.
On débranche on arrache, on dissout tous leurs câbles.
Je vais déménager d’planète !
J’OPtimise mon système je m’laisserai pas hacker !
Cette planète est foutue !
Cette planète est mortelle !
Ils ont flingué leur Terre. Bousillée la planète.
Que « nous avons sous-estimé l’impact », disent les Terriens.
Qu’ils « regrettent leur erreur », disent-ils.
Et OPtimisation en cours.
UnDeux,
Trois.
LesLacaniens ?
Vous avez bien désactivé tous vos micros ?
Je nous crois sur écoute.
Ils disent « se battre pour leur droit à la vie paisible », les Terriens.
Qu’est-ce qu’il NE faut pas entendre !
J’ai vu ces terres glacées des Alaskas, ces Chiens de traîneaux, ces meutes des Loups.
J’ai vu les pistes.
Et ces hauteurs, ces brumes vertigineuses des Kilimandjaros.
J’ai vu les Cordillères.
Et les Condors et les Pumas Inca.
Et les danses des Crotales j’ai vu et les danses des Cobras.
Les steppes et les savanes, les forêts tropicales.
« Nul ne saurait jamais en vérité ce que peut une forêt. »
J’ai vu leurs archipels, leurs murailles de corail, leur 7ème continent, l’océan de plastique.
Je garde en USB toutes les photographies.
Je télécharge je garde, oui téléchargement en cours.
J’efface les marques des destructions terriennes.
J’efface les traces les restes tous ces vestiges humains.
La main de l’Homme j’efface.
Les couchers des soleils les neiges je garde.
Les Mésanges bleues souffrantes des froids. Et je garde les Bruants, et les Himalayas.
Des Tétras-lyre les chants je garde les roucoulades les cris.
Et les Renards polaires ou Renard Isatis.
Les extinctions de masse et les Amazonies j’ai vu.
Et je raye l’Homme les Lacaniens vous l’entendez LalalaLangue dissoute.
Oui je raye le Terrien.
Il s’est rayé tout seul, et vous l’savez très bien n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?
La Terre est déclassée.
Je répète : La Terre Est DéClaSSée.
J’éteins.
Sanctuaire des Tigres j’éteins.
Et sanctuaire des Grands Singes.
Sanctuaire des Lions.
Et mausolée des Rats.
J’éteins sanctuaire des Éléphants.
Tombeaux des Bélugas. Tombeaux des Cachalots.
Des Antilopes sanctuaire des Goélands.
Des Doryphores et des Lucioles sanctuaire.
Mausolée des Grillons, les Psophus stridulus, les Locusta gryllus.
Sanctuaire vous m’entendez je désactive j’éteins.
Quelle merde.
UnDeuxokaylesLacaniens ?
« C’est un véritable ascenseur émotionnel », disent les Terriens.
« Et c’est le jour de notre renaissance », disent-ils.
Mais vous les entendez les Lacaniens LalalaLangueDérailleLalalaLangueseGrippe.
« Les choses sont sous contrôle », disent-ils.
Ils disent que « c’est comme si la Terre était dev’nue un seul pays ».
Les Terriens chantent et dansent et leurs morts s’amoncellent.
Mais vous les entendez LalalaLangue délire !
Ils disent qu’ils vont « crier, hurler, pleurer de joie, s’étreindre et s’embrasser ».
Iels « sont tellement heureux.ses », iels disent.
« De voyager enfin, dans leurs bulles sanitaires. »
[ archive ]
l’Araignée
à l’apogée des lunes l’attraction est si forte Qu’y règne le Chaos filer tisser et coudre et découdre et recoudre suturer la lumière mais que peut la lumière aux lueurs des soleils comme des constellations l’attraction est si forte Qu’y règne le Chaos matin après matin les aurores et les aubes mais que peut le matin au dernier jour des mondes au sortir des terriers aux agrès funambules j’ai tant guetté les nuits équinoxes et solstices crépuscules et éclipses les pénombres et les ombres comme au premier des jours à ces orbites des astres l’attraction est si forte Qu’y règne le Chaos filer tisser et coudre et découdre et recoudre suturer la musique mais que peut la musique Et relier le Chaos jusques aux nouvelles lunes aux horizons célestes l’attraction est si forte Qu’y règne le Chaos filer tisser et coudre et découdre et recoudre et suturer le temps mais que pouvait le temps l’attraction est si forte et je gravite ici au croissant du Scorpion aux armatures de l’Hydre au zénith de Neptune dans la boîte de Pandore ou sous la Calypso Qu’y règne le Chaos.
Distinctions
Texte remarqué par les Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre 2023.
Pièce finaliste du Prix Jacques Scherer 2023.
Extraits de presse
« Langue riche et dense. Flirtant avec la poésie, la connaissance et le trivial. Elle est l’axe du texte. Elle est un vrai voyage à elle seule. Elle est dotée de zones de fulgurances, mais aussi de turbulences.
Le texte opère un vrai travail sur la langue, dynamite la novlangue numérique et des réseaux sociaux, montre à quel point elle est absurde, insensée…
Il réfléchit aussi sur celle de Lacan (avec des références qui nous ont échappé sans doute), mais tout cela dans une joyeuse fête des mots, assez drôle (« Jacques a dit » pour citer Lacan par exemple). (…)
Quelques thèmes qui traversent et nourrissent le texte. Nous y avons trouvé, pêle-mêle et en vrac : le covid, les virus, l’isolement, la mondialisation, la destruction du monde, la pensée de Lacan et de ses défenseur. e. s, etc. (…)
la langue fait sens avec elle-même en quasi autophagie pourrait-on dire. Elle se nourrit d’elle-même et avance toute seule.
Avec toutefois les interventions des animaux qui viennent prendre la parole. Paroles d’animaux qui sont plutôt symboliques car le lien de la parole et de l’animal n’est pas du tout une évidence. Et ces paroles font avancer le texte. Vers ce qui pourrait, justement peut-être, sauver le monde… (…)
il n’y a pas vraiment de conflit dans ce texte, mais davantage une voix qui réfléchit, qui partage – avec ironie – une faillite de la réflexion humaine. »
[Comite de lecture du Théâtre des Quartiers d’Ivry, novembre 2021]
« Une pièce en forme de manifeste écologique.
Une comédie grinçante futuriste doublée d’une fable cruelle et désemparée. »
[Centre national du livre, février 2023]
« Cet ouvrage est un véritable OVNI ! Une merveille de trouvaille ! C’est tellement intelligent, tellement subtil, irrésistiblement sarcastique !
Cette brèche dans l’espace et le temps, à travers une communication chaotique et drolatique, est à la fois déchirante et terriblement réaliste. (…)
L’écriture de David Léon est hypnotique ! Cette immersion à travers une communication à distance, des camps divisés, une possible mise sur écoute, des informations à dissimuler…
On visualise sans peine les différentes scènes. Le décor est savamment posé sans même fournir de descriptions précises. Tout coule de source. Comme si inconsciemment nous étions déjà préparés à ces circonstances inédites et définitives. (…)
On ne ressort pas indemne de cette lecture. (…)
En lecture commune, à voix haute, ce livre est forcément un chef-d’œuvre ! J’espère qu’il sera étudié par un maximum d’élèves… »
[Virginie, Lire et sortir, 20 avril 2023]
« Pour qui connaît l’œuvre de David Léon, il n’est jamais étonnant de voir se mêler à son propre texte, à ses propres mots, des citations entre guillemets, des citations empruntées à ses auteurs de cœur et souvent des contributeurs importants de la psychanalyse travaillent en écho avec sa création littéraire comme si le texte, semblable à une étoffe, joignait plusieurs tissus.
Avec Le Terrien est un spam, les « emprunts » s’affirment encore davantage au point d’être recensés en appendice à la fin du volume. De mentionner ainsi Vinciane Despret, Baptiste Morizot, Fethi Benslama et enfin Jacques Lacan qui entre dans la matière textuelle tel un personnage : Jacques dit … Il apparaît dès l’épigraphe. Le célèbre psychanalyste dévore le langage. (…)
Il fonde ainsi un bestiaire poétique comme l’entendait un Apollinaire dans son recueil du même nom. Partout ailleurs, il établit des listes d’espèces menacées qu’il choisit sans doute moins pour des raisons strictement zoologiques que davantage pour leur pouvoir de mystère langagier : panthère nébuleuse, nycticèbe, tinamou noir, casoar à casque…
L’auteur agit comme un musicien avec son sampler. Il y a sans doute à reconsidérer tous ces mots non pas dans leur simple usage mais dans tout leur potentiel linguistique et poétique. Spam et son spiced ham. Les Terriens pourraient justement saisir cette beauté des mots, de ce nouveau dictionnaire.
Ce qui sauve cette humanité, c’est la possibilité d’écrire le texte malgré l’effacement annoncé de la Lalalan… qui sonne comme un air musical d’ailleurs, un air de tralala. (…)
Le texte est puissance de l’invention verbale de notre condition humaine. »
[Marie du Crest, Le Littéraire.com, 26 avril 2023]
« Lire du théâtre peut-être particulièrement rafraîchissant quand il s’agit de se moquer du langage virtuel et des tournures de phrases issues de l’univers informatique. (…)
Le comédien et auteur David Léon, formé à Montpellier, nous emporte dans une fin du monde drôle et décapante. Dans Le Terrien est un spam il s’agit de choisir entre les espèces, les choses qui méritent de rester en vie. (…)
Le texte est digne de Raymond Queneau et de l’Oulipo. »
[Laurence Creusot, La Gazette de Montpellier, n°1832-1833-1834, 27 juillet 2023]
« La Terre est infectée par un virus. Une voix tente de nous mettre en garde (en vain, la communication est incertaine). Le virus est certainement l’humanité elle-même. Les animaux meurent ou survivent, s’adaptent, agissent, font avec la fin du monde qui n’est que celle de l’humanité. Le monde, lui, survivra.
Mêlant joyeusement lalangue lacanienne, poésie, langage informatique, point de vue animal et foutoir de l’effondrement, Le Terrien est un spam est étrangement un texte joyeux : c’est fini et tant pis pour nous, on l’a bien cherché.
Le principe même du texte expose de manière évidente combien la communication est difficile, parasitée par de perpétuels malentendus.
Le Terrien est un spam est un texte un peu à part dans l’œuvre de David Léon une expérience curieuse et enthousiasmante, truffée de citations plus ou moins détectables (Vinciane Despret, Baptiste Morizot…), un texte incantatoire et puissant, où la parole ricoche comme une bille folle de flipper tandis que personne n’est plus capable de saisir l’opportunité d’un sauvetage. »
[Eric Pessan, 23 septembre 2024]
Vie du texte
Lecture par l’auteur accompagné de Vincent Ferrand à la contrebasse, Maison de la poésie, Montpellier, le 29 septembre 2021.
Lecture dans les cadres des Lundis en coulisse de Lyon, organisé par le Théâtre narration, et proposée par les Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre, 22 mai 2023.