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Kermann, Patrick

Le Jardin des reliques

2014

lundi 2 juin 2014

Cette pièce est inédite et est celle sur laquelle Patrick Kermann travaillait au moment de son décès.

Elle comporte six chapitres intitulés :
— Le spectacle de sa douleur,
— Er,
— Fable des temps d’avant,
— Le monde etc.,
— Vortex,
— Sheol.

Patrick Kermann ne s’appuie pas d’une dramaturgie classique. Il fait parler des voix qui brossent par leurs échos mutuels un tableau de notre monde, violent, désespéré, dans lequel l’Homme est au centre et la mort omniprésente.

Tous ses personnages sont au combat : avec eux-mêmes, avec le temps (la vieillesse), avec l’ennemi (le combat des frères) ou celui qui interroge, avec l’autre (homme ou femme aimé(e)).

Malgré cela, l’amour est présent ainsi que le monde, sa naissance et ses beautés.

Extrait : ER, p. 33-34

2

la lame transperça ma poitrine et mon âme quitta mon corps / la lame s’enfonça en ma chair qu’elle traversa de part en part / jusqu’àla garde elle pénétra la lame de l’ennemi fendant mon cœur aussi / qui lâcha avant qu’elle ne ressortît de mon corps / s’égouttant de mon sang sur le sable brà»lant du soleil de midi / avant que mes jambes ne s’affaissassent sur le sable brà»lant / que mon ventre ne touchât le sable brà»lant / que mes yeux ne se fermassent et que mon âme quittât mon corps / que mes oreilles ne se fermassent au vacarme de la bataille / dans le soleil de midi toujours et le sable brà»lant où mon âme me quitta / et que l’ennemi tombât aussi sur le sable brà»lant / qu’une lame – une autre lame – transperçât le dos de mon ennemi qui s’effondra sur mon cadavre déjà : mon corps quitté par mon âme / et mourut dans la rage des combats / dans la fureur de la haine / et mourut aussi dans l’acharnement âpre de la lutte / et puis d’autres encore : amis et ennemis / d’autres encore : soldats de si dérisoire bataille en monceaux sur mon corps : sang et chair entassés sur mon cadavre / sur mon corps quitté par mon âme / dépouilles aux entrailles ouvertes membres amputés tête arrachée / dépouilles aux plaies béantes emplies de sable brà»lant du soleil de midi / empilement du hasard des combats dans la hâte de poursuivre la lutte entamée / d’achever enfin la haine et la fureur / la tuerie aussi / d’en finir enfin avec la fin / laissant nos dépouilles pourrissantes aux chiens / ah les chiens qui se régalèrent de nos chairs / lapant àplus soif le sang qui bouillonnait encore de nos plaies / se regorgeant du sang âcre / se rassasiant de ces lambeaux de viande / s’endormant ensuite – oui s’endormant – quand la fraîcheur du soir tomba / que la trêve de nuit céda àla lutte qui reprit au matin / qui reprit l’autre matin / reprit et cessa l’autre soir / un autre soir et ainsi de suite /
(…)


Extrait : FABLE DES TEMPS D’AVANT, p. 41-43

ce pays est de haine et colère et ses villes aussi
ouvrez les tombes déterrez vos cadavres
les voici qui revivent de leur mort
les voici qui dansent et hurlent
ô les spasmes joyeux
regardez-les : ils sont de beauté blanche et osseuse

le feu est partout il avance dans nos rues il lèche nos portes il rampe dans nos pièces le feu est partout qui court dans nos rues et gagne nos édifices nos caves il file le feu qui gagne la mer le feu est partout les vagues de feu déferlent sur la cité

il était une cité heureuse aux hommes
– et làcette histoire
– une histoire entre un homme et une femme
– l’histoire de deux amants
– la toujours même histoire
– et ànulle pareille
il était dans la cité heureuse cette histoire
– entre une femme et un homme
– entre deux amants
dans la cité de cendres maintenant
– dans les ruines
– les maisons calcinées
– les murs tombés
– les toits effondrés
il y eut cette histoire des amants dans la cité détruite
– cette histoire d’avant l’anéantissement
– cette histoire de tous les temps
– et de ce temps-ci
– du temps de la dévastation
cette histoire ici et làdans la cité heureuse aux hommes

il y a le feu puis les cris et puis le silence
il y a la nuit qui rejoint le jour
il y a les étoiles qui fendent la terre
il y a les cris sauvages de nos oiseaux
il y a la bouche de l’oracle qui bée àplus soif
il y a les chiens qui rôdent dans les hurlements et aboiements
il y a les plaintes déchirant la lueur et l’obscurité
il y a les visages dont ne reste que l’image
il y a le sol crevassé les arbres arrachés

il y a la joie des vieillards désespérant de l’ultime fin
il y a le rire des spectres
il y a l’espace ouvert le temps arrêté
il y a l’histoire de deux amants
il y a le feu puis l’eau puis plus rien
il y a le corps mort du monde
il y a le corps mort de l’amour aussi
il y a tout cela et plus rien
il y a le silence seulement
le silence
puis l’azur
longtemps après il y a l’azur
le bleu insoutenable que la nuit concède au jour
enfin
il y a l’azur encore
le silence et l’azur
et le cadavre absent des amants
et de leur histoire
l’histoire entre une femme et un homme
entre un homme et une femme
entre deux amants
au milieu des cendres il y a cela : nos amants et leur histoire

Homme
qui / àqui maintenant / pour qui désormais ma vie / je te donne ma mort / prends / àtoi encore le don de moi / je donne tu prends / ouvre ta paume étends tes doigts et prends serrant ma mort dans ta main / tu es si belle mon aimée-aimante

Femme
tu donnes je prends / et te donne en retour ma vie aussi ma mort te donne que prends en ta main aussi / je donne ce don àtoi pour toi seul ce qui àjamais demeure en ta main / tu es si beau mon aimé-aimant

(…)


Extrait : LE MONDE ETC, p. 53-54

Commencement : autre matin on s’oublie et

bonjour beautés du jour

épuisé : votre bouche est si douce où me coule d’amour
tremblement et écorchement : voilàmes pensées de sang

bonjour beautés du jour

vite vite c’est délicieux ce coin de ciel lavé
ça frotte ça trotte ça crotte c’est beau
ici j’y suis merci
ocre tout partout où nous nous

bonjour beautés du jour

hihihi la virilité qu’il exhibe
ma carcasse gémit d’éveil réjoui
de quel trou surgis-tu au lever
ça fond c’est bon non
elle s’appelait Rachel
cigales aussi où nous nous

bonjour beautés du jour

nulle issue dans
d’abord ces choses : roses en leur jardin d’aube
je regarde ça : oh miroir de moi
picorent encore les oiseaux dans ma main
et les cimes où l’esprit vit
chassons les monstres d’ombre et allons
ça bouge ça mouve ça souge c’est tout
larmes ravalées quand nous nous

bonjour beautés du jour

oui je dis oui si gîte et jouis en lui
des éboulis m’en sortis et des miasmes aussi
c’est toujours le premier âcre et sà»r car
nul relent nulle peine de nuit non plus
ça retourne ça détourne c’est fou
le crachotis intérieur : voilàqui me bouleversa si fort
oh la froidure oh la roidure : mes membres s’en vont
moi suis quitte des reliquats mais
halètements pause halètements pause et ainsi de
votre rire quand au sommet nous nous

bonjour beautés du jour

(…)

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