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Miro, Pau

Buffles

2013

vendredi 19 avril 2013

Collection Théâtre contemporain en traduction
traduit du catalan par Clarice Plasteig Dit Cassou

Buffles
sous-titrée Une fable urbaine

Une famille de buffles tient une blanchisserie dans un quartier difficile. Le père, la mère, les 6 enfants.
Une nuit, un des fils, Max, disparaît. Reste une famille de buffles qui tient une blanchisserie dans un quartier difficile. Le père, la mère, les cinq enfants et l’absence de Max.

Quand ils étaient petits et que Max a disparu, les parents ont dit à leurs enfants qu’un lion avait emporté Max, et qu’il ne reviendrait jamais.

Puis une nuit la mère, incapable de surmonter cette absence, disparaît. Les abandonne-t-elle ? Est-elle mangée par un lion ? Peu importe.
Puis le père disparaît.
C’est la faute des lions disent les frères et sœurs.

A cinq, comment vont-ils réussir à survivre ? grandir et apprendre la loi de la ville autour de laquelle les lions veillent.

Entre le conte, la fable et l’hyper-réalisme, la pièce dont la distribution n’est pas précisée mais incidemment suggérée livre une réflexion sur la famille, le clan, la solitude, la soumission aux lois, et la question du libre-arbitre.

Partie 1, scène 1, p. 11

Max est mort quand il avait huit ans.
Il lui manquait deux jours et trois semaines pour en avoir neuf.
Une nuit il a disparu.

Papa nous a dit qu’un lion
l’avait emporté
et que désormais il ne reviendrait jamais plus,
parce que quand les lions t’attrapent
c’est impossible de t’échapper.

Le jour de son anniversaire,
le jour où Max aurait eu neuf ans,
nous avons gagné au loto.

Beaucoup d’argent.

Pas tant que ça.

À nous, ça nous semblait être beaucoup.

Ça c’est vite épuisé.

Papa nous a demandé ce que nous voulions,
on pouvait demander n’importe quoi.
Ce qui nous faisait le plus plaisir.

On a rien demandé.

Rien ne nous venait à l’esprit.
Nous étions trop bouleversés.

La mort de Max était trop présente pour nous.

Les herbes et les branches qu’on mâchait
paraissaient plus dures,
les feuilles paraissaient plus amères aussi.
On avait du mal à avaler.

1, scène 2, p. 12

Maman rendait papa responsable
de ce qui était arrivé à Max.
Quand on s’asseyait à table pour manger,
quand on buvait de l’eau,
quand on sortait pour paître,
des mots et des regards agressifs lui échappaient.
Il fallait faire payer cette injustice à quelqu’un.
C’est tombé sur papa.

Elle ne pouvait plus rester près de lui trop longtemps
sans s’emporter,
je ne sais pas comment ils pouvaient dormir ensemble
sans s’arracher la peau.

Parfois sa rage était si intense
qu’on aurait réellement dit
que papa avait quelque chose à voir
avec la disparition de Max.

Combien de millions on a gagné ?
Je ne sais pas.

Ça aurait pu être le triple ou le quadruple,
mais on aurait fait la même tête.

Toute bonne nouvelle,
à cette période-là,
passait totalement inaperçue.

Maman n’a alors plus su reconnaître,
plus jamais,
une bonne nouvelle.

Elle disait qu’elle avait eu tellement d’emmerdes dans
sa vie
que pour savoir si une nouvelle était bonne
il fallait qu’elle observe le visage des autres.
Pour s’en assurer elle devait demander plus d’une fois
à ceux qui étaient là.
Nous, nous ne pouvions pas l’aider
parce que notre visage n’exprimait rien.

L’argent a finalement servi
à acheter des affaires pour la blanchisserie.

À rénover la blanchisserie.

Des machines à laver.

Un nouvel éclairage.

Le parquet.

Une enseigne complètement neuve.

Le panneau à l’entrée aussi.

Un rideau de fer.
Oui…

Et aussi…

Dis…

Papa s’est acheté une guitare électrique.

Oui.

De couleur pourpre.

Oui.

Et un ampli.

Oui. Un Fender…

Il n’avait jamais tenu un instrument de musique dans les mains.

Mais… il s’est acheté une guitare électrique.

Plutôt que de nous tourner le dos,
ou de donner une ruade à maman,
il s’enfermait dans l’atelier pour jouer de la guitare.

Rage électrique.

Ils rient entre eux, c’est une blague privée, pas très bonne.

Quelques notes à la suite,
pincées,
qui formaient presque une mélodie, de temps en temps.

Mais surtout : rage électrique dans l’atelier.

Ils rient de nouveau.

Personne ne pouvait entrer dans l’atelier de papa.

C’était interdit.

Personne n’y était jamais entré.

C’était son… sanctuaire.

Il y restait des heures, enfermé,
et après la mort de Max,
encore plus.

Il réparait les pièces des machines à laver,
les moteurs, les filtres…

Et quand on s’y attendait le moins, il jouait de la guitare…

(...)

Partie 2, scène 1, p. 49-51

Le lendemain de ce qui était arrivé dans cette ruelle avec les lions ou, plutôt, de ce qui n’était pas arrivé dans cette ruelle avec les lions, je suis entrée dans l’atelier de papa. J’en pouvais plus, il fallait que je parle avec papa, j’en pouvais plus, tout ce silence explosait sans cesse à l’intérieur de moi-même. Je frappe à la porte de l’atelier.

– Il faut que je te parle.

Silence.

– C’est important.

Silence.

– C’est important. Ouvre.

Silence.

– Tu m’entends ? Ouvre ! Si tu ne veux pas ouvrir, sors au moins ! Il faut que je parle avec toi. S’il te plaît !

Je frappe plus fort. Je donne un coup de sabot. La porte de l’atelier s’ouvre peu à peu. J’ai peur. Mes frères sont dans l’autre pièce, depuis qu’ils ont commencé à se masturber, ils s’enferment dans la chambre, ils font des concours. Ma grande sœur a commencé à sortir seule. On parle peu entre nous, on ne parle pas de ce qui est arrivé dans cette ruelle avec les lions. On ne parle pas.

Silence.

La porte de l’atelier est ouverte. C’est bizarre, mais j’y entre. Papa n’y est pas, mais il peut revenir à tout instant. Je reste un petit moment, je ne sais pas quoi faire, je suis bloquée. Tout à coup, une forte secousse m’ébranle moi, ébranle l’atelier et toute la ville. C’est un tremblement de terre de force 4 sur l’échelle de Richter. Ou peut-être ce sont mes frères qui sont enfin lassés de se masturber et qui jouent à cogner leurs cornes contre le mur avec la saine intention d’y faire un trou par lequel voir un peu de l’atelier. Le coup a fait tomber un tiroir de la table. Il vaut mieux que je le remette à sa place avant que papa ne revienne. J’essaie de l’emboîter dans son trou, il retombe par terre. Il pèse trop lourd, je ne sais pas ce que je fais, je ne contrôle pas bien mes pensées. Il s’est cassé, le fond du tiroir s’est cassé, il s’est fendu. C’est un tiroir à double fond. Il y a quelque chose entre les planches de bois, un morceau de vêtement.

Silence.

C’est une chemise de petit enfant, tachée de sang.

Silence.

La chemise que Max portait le jour où il a disparu, la nuit où un lion l’a…
Je sors de l’atelier la chemise dans les mains, et mes frères ne sont alors plus dans la chambre. Je cache la chemise dans la taie d’oreiller. Le sang est sec, il ne tache plus. Je vais là où sont les machines à laver, papa est en train de finir de poser une pièce à une machine qui ne marche pas. Il a laissé la porte de l’atelier ouverte sans s’en rendre compte, il vieillit, il vieillit. Il me regarde du coin de l’œil, me sourit et s’en va vers l’atelier et moi je m’en vais vers la cuisine.

Temps.

C’est curieux de retourner dans une église, après tant d’années. Évidemment je ne suis pas croyante, mais parfois j’y entre, je m’y assieds un moment ; je fais mine de faire le signe de croix pour ne pas attirer l’attention, mais ce que je fais c’est attendre que ça monte en moi, que ça monte en moi sous les yeux de Jésus et de ses amis. On ressent mieux ces montées-là ici. C’est comme se sentir de nouveau à la maison, les cierges, les saints…

Silence.

Maintenant ils ferment l’église. Il se fait tard. Quelqu’un pose sa main sur mon épaule : il faut que je parte. Ce qui devait monter est redescendu.

Silence.

On me raccompagne dehors, on me dit de ne pas revenir, qu’il vaudrait mieux que je ne revienne pas. Heureusement dans le quartier il y a d’autres églises. Rien d’autre, mais des églises, il y en a des tas.

(…)


Extraits de presse

« L’année 2013 vient de s’achever et si je devais faire un petit bilan de mes lectures, je crois que ma pièce préférée de l’année serait Buffles : une fable urbaine du jeune auteur catalan, Pau Miró ! (…)

Entre conte, fable et hyper-réalisme, la pièce livre une réflexion sur la famille, le clan et la question du libre-arbitre. Il n’y a pas de bon ni de méchant, pas de morale, il est plutôt question de survie.

Les comportements des personnages et les dialogues naviguent entre un réalisme "humain" et une approche animale, ce qui rend la pièce surprenante. Les personnages en effet gardent leur instinct animal.
Très bonne intrigue. Miró Pau a l’art d’entretenir le suspense. Un texte d’une grande sensibilité, tout en mystère et en délicatesse !

Une belle écriture, rythmée, subtile, efficace et poétique ! »

[Bibliothèque municipale de Lyon, article, 18 janvier 2013


« La pièce est en deux parties. La première est comme un long poème polyphonique dont les parties n’ont pas été précisément distribuées.

Le texte comporte un sous-titre : une fable urbaine. Nous sommes dans le merveilleux, au cœur de cette famille de buffles qui dirige une blanchisserie sur la pente descendante. Au loin, les lions rôdent mais n’attaquent pas les buffles. On comprend que, peut-être, si un enfant (le plus intelligent) a disparu il y a quelques années, sa peau a été échangée contre le repos des autres.

Chaque réplique est entrecoupée de silences en disant tout aussi long que les dialogues.

Pau Miro a une formation d’acteur et met en scène une grande partie de ses textes. Il sait manier les coins obscurs du théâtre et laisser au texte une partie inachevée que le metteur en scène prendra en charge.

Un texte d’une grande sensibilité, tout en mystère et en délicatesse. »

[Bruno Paternot, Inferno magazine, 2 juillet 2013]


« Comme souvent, les trilogies littéraires, musicales, théâtrales nous invitent à découvrir les œuvres à la fois comme uniques et chorales. L’œuvre de Pau Mirò n’échappe pas à ces découvertes subtiles, à ce va-et-vient du sens. Buffles est le commencement. Le commencement de la fable urbaine, celle de l’incertitude entre la figure animale, promise par le titre et la figure humaine, que le premier mot « Max » entérine.

En vérité, l’écriture de Pau Mirò va installer la pièce poétiquement dans cet « entre-deux », à la différence du parti pris d’un fabuliste qui choisit un anthropomorphisme radical des personnages-animaux. Les lions rôdent ; la famille va paître.

(…)

Pau Mirò ne cherche pas à « instruire » son lecteur, son spectateur, comme l’aurait fait un classique par le biais de la fable qui fait parler les animaux. Il superpose subtilement la société humaine et la sauvagerie, miroir qui renvoie ces deux images en somme consubstantielles et trouve ainsi un chemin nouveau, un pouvoir de la fable personnel dédié au théâtre, peut-être comme un écho ancien à Rhinocéros de Ionesco.

[Marie du Crest, La Cause littéraire, 30 septembre 2013]


« Une fable moderne et épatante (…)

Mettant peu à peu à jour les dysfonctionnements de cette famille, les ressentis, les peurs, la metteuse en scène restitue toute l’ambiguïté de leurs relations grâce aussi à l’utilisation du son et d’un décor ingénieux qui s’ouvre, se ferme, se transforme en permanence pour suivre les jeunes buffles dans leurs pérégrinations urbaines qui les mènent à découvrir la vérité (glaçante) sur leur frère absent.

L’Église, le capitalisme, la gentrification : ces thèmes sont abordés avec autant de tact que ceux de l’intime.

Et ce buffles, devenus – visuellement – des avatars de leurs congénères humains, s’avèrent poignants. »

[[Nadja Pobel, théâtre(s), n°22, été 2020]


« De cette fable contemporaine de l’écrivain catalan Pau Miro, la marionnettiste Émilie Flacher, cofondatrice de la compagnie Arnica, exalte de troublante façon l’étrangeté et les aperçus sur l’adolescence, les non-dits familiaux, le sacrifice et la révolte.

Les six comédiens qu’elle met en scène font plus que manipuler à vue les saisissants bovins de bois, d’osier et de cuir qu’elle a créés : ils leur donnent vie. »

[Le Canard enchaîné, janvier 2022]


« Conte initiatique et urbain, fable chorale et singulière, le texte de Pau Miro est une allégorie sociale et politique sur la famille et le sacrifice. (…)

L’analogie entre le règne animal et la société des hommes est flagrante, accentuant notre émoi et notre fascination devant la beauté sauvage de ce spectacle hors du commun. »

[Télérama, 12 janvier 2022]

Vie du texte

Mise en espace par Édouard Signolet, Le cabinet vétérinaire, avec Nicolas Gaudart, Ludovic Lamaud, Véronique Lechat, Clarice Plasteig Dit Cassou, Marion Verstraeten, dans le cadre des nouvelles dramaturgies catalanes à Théâtre Ouvert, le 25 mai 2013, puis les 28 et 29 avril 2014.


Lecture de la trilogie animale aux Lundis en coulisse du Théâtre narration à Lyon, le 9 décembre 2013.


Chantier de création par Edouard Signolet, Le Cabinet vétérinaire, Théâtre Ouvert, 28 et 29 avril 2014.


Dans le cadre de Textes sans frontière : l’Espagne, le Théâtre du Centaure propose la mise en voix dirigée par Bérangère Vantusso de Buffles avec Caty Baccega, Fabio Godinho, Brice Montagne, Rita Bento Dos Reis.
En 2015
— Théâtre du Centaure, Luxembourg, 22 novembre
— Nest CDN Thionville : 29 novembre
— MJC de Villerupt : 27 novembre et 4 décembre
— Université de Luxembourg, Esch/Belval : 1er et 2 décembre
— Université de Nancy : 8 décembre
— Théâtre du Saulcy, Metz : 9 décembre


Création par la Compagnie Le Cabinet Vétérinaire dans une mise en scène d’Edouard Signolet avec Amaury De Crayencour, Nicolas Gaudart, Véronique Lechat, Clarice Plasteig, Marion Verstraeten, au Théâtre Romain Rolland (94 Villejuif), du 8 au au 19 novembre 2016

Tournée de création 2016-2017
— Herblay (95), 22 novembre
— Guyancourt (78, ferme de Bel Ebat), du 24 au 26 novembre
— Clamart, 21 février
— Goussainville, 10 mars

Tournée 2018
— Théâtre 13, Paris, du 6 au 8 avril


Création par Luce Pelletier, avec Christophe Baril, Isabeau Blanche, Anne-Catherine Choquette, Daniel D’Amours, Kariane Héroux-Danis, Théâtre de l’opsis, Montréal, Canada, du 1er au 25 novembre 2017.


Lecture par la compagnie Arnica en vue de la création sous forme marionnettique (2019), mise en scène d’Emilie Flacher, au conservatoire d’Avignon, 12 juillet 2017.

Création dans une mise en scène d’Emilie Flacher, compagnie Arnica, avec Guillaume Clausse, Claire-Marie Daveau, Agnès Oudot, Jean-Baptiste Saunier, Pierre Tallaron, au Théâtre de Bourg-en-Bresse (01), les 31 janvier et 1er février 2019.

Tournée 2019
— Théâtre Jean Vilar, Bourgoin Jallieu (38), le 5 février
— Espace 600, Grenoble (38), le 12 février
— Maison des Arts du Léman, Thonon-Evian (74), le 14 février
— Théâtre Am Stram Gram, Théâtre Enfance Jeunesse, Genève (CH), du 28 février au 3 mars
— Association Bourguignonne Culturelle, Dijon (21), le 8 mars
— Le Dôme, Albertville (73), le 12 mars
— Le Polaris, Centre Culturel de Corbas (69), le 5 avril
— La Mouche, Centre Culturel de Saint Genis-Laval (69), le 9 avril

Saison 2019-2020
— Théâtre de Villefranche-sur-Saône (69), le 11 octobre
— Train Théâtre, Porte-lès-Valence (26), le 18 octobre
— Théâtre Molière, Scène nationale de Sète (Centre Culturel léo Malet-Mireval) (34), les 15 et 16 novembre
— MJC Rodez (12) dans le cadre du festival NOVADO, le 19 novembre
— Espace Jéliote, scène conventionnée Arts de la Marionnette - Oloron Sainte Marie (64), le 21 novembre
— Le Granit, scène nationale de Belfort (90), le jeudi 5 décembre
— Centre Culturel Pablo Picasso, Homécourt (54), 7 janvier 2020
— Théâtre Massalia, Marseille (13), du 5 au 7 mars

Saison 2020-2021
— Théâtre Le Mouffetard, Théâtre des arts de la Marionnette, Paris (75), du 18 au 28 novembre 2020
— L’Hectare, Territoire Vendômois scène labellisée marionnette, Vendôme (41), le 3 décembre
— La Passerelle, scène nationale de Gap (05), les 7 & 8 décembre
— Festival Marto !, Théâtre de Chatillon (92), le 9 mars 2021
— Le Théâtre de Charleville Mézières (08), le 21 mars
— Festival d’Avignon OFF, le 11. (84), juillet 2021
— Maison de la Culture, Nevers (58), 14 octobre

Tournée 2022
— Théâtre des Arts de la marionnettes, Mouffetard (Paris), du 12 au 23 janvier
— L’Hectare, Vendôme, 10 mars
— Esplanade du Lac, Divonne-les-Bains (01), 14 octobre

Tournée 2023
— Théâtre National Populaire de Villeurbanne, du 7 au 11 mars
tournée Grand ouest
 Piano Cocktail de Bouguenais (44), 14 mars
 Théâtre de Morlaix (29), 16 mars
 3 ’E Saison Culturelle Ernée (53), 18 mars
 Quai des Arts Pornichet (44), 21 mars
 Athéna Théâtre - Festival Méliscènes - Auray (56), 23 mars
 Centre Culturel Juliette Drouet - Fougères (35), du 25 au 27 mars
 St Barthelemy d’Anjou, 28 mars
 Le Canal Théâtre, Redon, 30 mars

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