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Pellier, William

Vesterne

2020

vendredi 7 février 2020

C’est l’histoire d’une famille qui habite une ville du cercle polaire, ils ont un ami qui est docteur. En fait, ce n’est pas vraiment une famille, on nous raconte que la femme est mariée avec un ours. Pourquoi pas ? Il travaille dans une banque.

Coïncidence, deux fameux banquiers français arrivent en ville. Plus tard, ils s’écharpent avec un prix Nobel d’économie, un vrai. Le docteur brillant neurologue bibliomane – c’est une note de bas de page qui l’affirme – aimerait lui emprunter de l’argent pour assouvir sa coupable passion. Une grand-mère – on ne sait de qui – est férue d’Hitler.

Il y a encore un enfant, mais il n’a pas une ligne de texte à dire. Et puis un chien, qui renifle le bas des pantalons.

Et au bout du compte, on se retrouve à la fois devant, et à l’intérieur des personnages ; on pénètre en eux, malgré eux, à la faveur des remarques du narrateur. Car il y a un narrateur qui nous raconte tout ce théâtre.

Mais l’essentiel n’est-il pas plutôt le spectateur – ou le lecteur – qui se fait trimbaler. Pourquoi on lui répète ? En plus il ne se passe pas grand-chose, ça parle et parfois il décroche.

C’est décomplexé, il y a plusieurs histoires qui s’amusent. Histoire de la langue qui se dérobe et patine dans la bouche des personnages. Histoire de l’histoire qui n’en finit pas de se répéter et qui avance par reculades successives. Histoire du spectateur qui résiste ou se laisse emporter. Résiste quand le sens lui résiste ou se laisse emporter en acceptant la complexité, la rémanence, les réminiscences, l’examen discret de son voisin de fauteuil ou son propre intérêt.

Début

une longue pièce, disons aussi qu’elle faisait office de cuisine et de salon. Après on imagine ce qu’on veut. Il y avait une femme debout, de dos, devant une table. Un ours blanc était assis à la table. Elle épluchait des légumes et les jetait dans une cuvette rouge et l’ours se servait dedans pour manger. Dans un coin, il y avait un téléviseur qui diffusait un reportage en norvégien.). Qu’est-ce qu’on s’en fout (dit la femme). Il y a peut-être des choses qu’on peut apprendre (dit l’ours). Tout ça on le sait – le docteur répète là-bas (dit la femme). On peut toujours apprendre (dit l’ours). Que des Asiatiques se font sauter là-dedans (dit la grand-mère. Tiens, on découvrait qu’une femme âgée était assise dans un fauteuil. Ses épaules étaient recouvertes d’un châle.) nous parlons de moi (minaude la grand-mère) mais qui dit bon temps dit putes (ajoute-t-elle). On peut passer du bon temps en discutant autour d’une bière (dit l’ours en haussant les épaules). Mais s’il y a des chiennes en chaleur – la bière désaltère mieux – c’est vrai (fait remarquer la grand-mère. En fait, le plus étonnant c’était cet ours qui parlait). Tu n’as rien d’autre à raconter (demande la femme). Je donne des précisions (glousse la grand-mère) il y a ce que nous croyons savoir – et ce qu’il faudrait savoir. Et il y a des choses qui arrivent sans qu’on le sache (conclut l’ours, mû par un pressentiment. En effet, autant ne rien cacher : on entendit des coups frappés à la porte.). Nous n’attendons personne (interroge la femme en regardant l’ours avec perplexité). Non je ne crois pas (répond l’ours l’air surpris). Qui cela peut-il être (dit la femme). Nous attendions quelqu’un (se demande l’ours). Je ne crois pas (dit la femme. C’était l’incompréhension qui dominait. La femme s’était approchée de la porte et regardait par le petit trou.). C’est la tête du docteur (dit-elle après un moment). Le corps suit-il (demande malicieusement la grand-mère. Disons quelque chose de la personne qui entrait : c’était un homme assez grand. Il était docteur, la femme l’avait dit.). J’étais sur la route de Ny-Ålesund – il a neigé toute la nuit – les chenilles ne voulaient plus avancer (dit le docteur en enlevant ses chaussures). Oh mon Dieu les chenilles (dit la femme). Nous avons dû les abattre – une par une (dit le docteur en riant. Il avait fait allusion aux chenilles qui équipaient les motoneiges.). Il n’y a pas des cars (demande la grand-mère). D’eschares (demande le docteur en grimaçant). Le car – des autobus (dit la grand-mère). Bonjour Madame (dit le docteur). Bonjour docteur (dit la grand-mère. À cet instant, les uns et les autres se toisèrent un court moment. Nous ne savions pas encore tout. Qu’allait-il se passer ? Comme nous, le docteur parut hésiter.). Venez vous réchauffer docteur – venez vous coller près du poêle – nous passerons un jour à table – si quelqu’un veut bien nous donner à manger (dit la grand-mère). Toute cette neige ça doit donner faim (fait remarquer la femme. Apparemment elle, elle n’avait pas l’intention de se mettre aux fourneaux. Le docteur s’avança vers le poêle. L’autre, elle avait dit poêle, mais en fait il n’y en avait pas. Le mot avait été lâché un peu vite, comme lorsque les Canadiens disent « Tire-toi une bûche ! » pour inviter quelqu’un à s’asseoir, c’est plus chaleureux, mais répétons-le, (...)


Distinction

Pièce écrite à la suite de Partir en écriture, commande du Théâtre de la Tête noire (Saran), scène conventionnée pour les écritures dramatiques contemporaines, dirigé par Patrice Douchet, à partir d’une résidence d’écriture à Longyearbyen (archipel du Svalbard), en février 2007.
Elle est terminée pour la publication début 2020.


Une première version du texte a reçu le 13e Prix d’écriture théâtrale
de Guérande
, en 2013, sous le titre La Ville de l’année longue, et a
été mis en scène par Laurent Maidon (Théâtre du Rictus) en 2015.

Revue de presse

« Ovni polaire

Les conversations flamboyantes d’une improbable communauté humaine. Où les voix se font et se défont.

L’action de la pièce se déroule en Norvège, à Longyearbyen, la ville la plus au nord de l’Europe (…) [Il s’t] trouve une maison dans laquelle vivent quatre personnages : une femme, un ours blanc qui a travaillé dans une banque et qi est son mari, une grand-mère admirative et nostalgique d’Hitler et une enfant dont on parle parfois mais qui ne dit mot. Plus un chien.

Ils seront rejoints par le docteur, neurologue, bibliomane et comédien amateur, puis par deux banquiers cherchant à échapper à une tempête de neige et enfin par le prix Nobel d’économie 2001Stiglitz. Le vrai. (…)

Et tous, ainsi rassemblés pour échapper au froid et à la nuit polaire, vont dire, redire, rabâcher, dire encore mais différemment, expliquer, contredire, affirmer, réfléchir, tandis qu’une grand baie vitrée leur prouve en permanence qu’ils sont bien là où ils sont ; et que me onde dont il parle est de l’autre côté, à l’extérieur.

Leur propos sont précisés par des didascalies, dont le texte fourmille, et qui viennent ponctuer, interrompre, expliquer, prolonger voire remplacer le texte. Elles font partie intégrante de l’œuvre et leur singularité apparait uniquement par la mise en italique.

Enfin, les notes de bas de page jouent un rôle tout aussi important et ouvrent la lecture sur des références littéraires, politiques, musicales ou cinématographiques.

Et ces trois modes d’écriture, et donc de lecture, se complètent si bien que nous avons au total en face de nous un texte dense, aux bifurcations incessantes, et qui nous surprend, nous interpelle et nous maintient constamment en éveil. (…)

William Pellier s’amuse avec ces différents mode de lecture (…) jongle avec les codes pour mieux approcher le langage, sa structure, les sens possibles qu’il véhicule mais aussi la manière dont il est perçu ou non par l’auditeur à travers les jeux de mots, les sous-entendus, les phrases à double sens, les conversations parallèles, le répétitions ou les divagations verbales. (...)

Texte foisonnant, dense, ludique et savant qui nous entraine sur des chemins que l’on ne s’attendait pas à parcourir (…)

C’est une œuvre puissante, déroutante, et d’une grande richesse. »

[Patrick Gay-Bellile, Le Matricule des Anges, n°219, janvier 2021]

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