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Rengade, Claire

Et insubmersible dans la seconde qui suit

2020

mercredi 23 septembre 2020

Ce groupe qui arrive, comment l’identifier ? On peut prélever une personne du groupe et la regarder de près. Qui serait volontaire pour tester notre prototype d’identification ? Regarder suffit-il ? Que faire des groupes dont on ne veut pas ?
Où flottent les continents si les images ne rentrent pas dans l’écran ?

En cherchant àfaire entrer numériquement des personnes qui arrivent sur l’eau et veulent passer une porte, une équipe technique est rattrapée par la réalité : une géographie humaine entêtée, imprévisible, joueuse, amoureuse, insubmersible. Qui parle de notre contemporanéité dans la langue singulière, rythmée, poétique, chahutée de Claire Rengade.

Là-bas c’est pas loin d’ici
c’est làqu’on a décidé de rester
on décide pas non
ouais
hier on était là
mercredi la même chose
t’auras une place ils ont dit
vendredi la même chose
tout le monde le dit
si quelqu’un veut prendre la parole
làhier nuit
non
juste pour la nuit
et sur un temps court
didascalies
on a des rebondissements maintenant
c’est des stratégies oui
de division
pour un aller-retour voilàça y est y’a du nouveau ?
àchaque fois ça met erreur et j’ai payé ma place 5 fois
tu vois très ouvert
j’ai pas reçu de confirmation moi
quelqu’un qu’arrive àparler c’est quelqu’un
mais si ça n’arrive qu’une fois c’est pas un sujet ?
àforce j’ai l’impression qu’on va s’entre dire
ça a du mal àavancer la parole
peut-être qu’on n’est pas assez loin dans la lecture du mode d’emploi
je connais pas les autres
et ainsi de suite
je suis dans la même place je parle pas pourtant j’entends
que je suis plus ou moins
des mots qui se ressemblent mais qui parlent pas ensemble
les voyelles chez moi se mettent sous les consonnes
dans les livres qui sortent elles n’y sont pas
le seul moment où on les voit c’est quand il y a une ambiguïté
c’est impossible en français j’ai essayé
je te regarde jusqu’au point que j’ai l’impression de comprendre
dès le départ ta voix faut que je l’entende c’est pas de la contradiction ma langue d’où je viens elle est pas écrite on peut pas l’écrire ça s’écrit pas
pour la plupart je continue àme multiplier et de retour en cours de route
je commence àme mettre approximatif
debout dans la rue comme devant là
c’est beau hein toujours pas perdus
pareil ça va pas tarder
ça correspond
de n’importe quel horizon le fait de parler ou pas
voilàforcément ça fait bloc c’est comme ça on est 34
c’est pas du tout prémédité
je suis dans la rue c’est peut-être que tu comprends mal
je m’installe pas je prends pas de risque
parce que dans un appart c’est forcément combien de temps
faut faire le ménage y’a de la poussière
faudrait voir le lit
et après ce qui se dit c’est le problème c’est ce qu’on dit je sais pas si c’est vrai
tout ça vient de l’Histoire
le chemin ce qu’il a de vrai derrière je sais pas d’où il vient mais comme on sort par-làl’hiver avec des gens dehors
barrer en ville
on se reconnaît tous àun moment donné on se la raconte
t’en rencontres plein ils confondent tout ils ont peur
ils viennent pas pour qu’on leur raconte une histoire
on boit trois ou quatre verres d’ici un kilomètre t’es en pleine campagne
après c’est plusieurs pâles on se confond
il fait du vent tout ça il fait froid
et comme d’hab comme toujours
il se met àneiger
ma mère ne comprend aucun mot d’ailleurs mon père non plus
j’en reviens pas
dans ta langue la même chose je peux pas dire
parce qu’ils disent plus l’eau avance plus c’est de l’eau
on file la métaphore depuis
que je m’en aille dans les filets
ça vous dérange si je laisse la porte ouverte ?
souvent quand je vis j’ai l’impression que quelqu’un me filme
làpar exemple j’ai l’impression

focale

j’arrive pas àpartir
mais va-t’en
mais je peux pas
il m’empêche de partir
je suis coincé dans le moment
ça s’est sà»r je n’ai que ce moment
ça me reprend là
au début de ce qui se passe au moment où
j’arrive au point même d’où je me continue
je sais pas dire àquel point
et c’est court
même si ça dure longtemps
c’est court au point que je suis pas dans le temps
le temps que ça dure
en boucle quoi
cet espèce de
qu’est dans ma vie
je sais pas comment te dire j’en rêve la nuit
et ça dure
toute ma vie
cet espèce de vis-à-vis

on est deux
on est dans l’arbre

dans l’arbre

et si ma jupe je la dérobe ?
je lui mets la tête en bas ?
ma jupe est nue hein complètement
entre mes jambes tu vois ?
il y a une autre personne

quel cirque c’est un numéro

t’as vu j’ai ton numéro
mais pourquoi tu me téléphones je suis là ?
c’est moi
tu vas tomber sur moi puisque c’est àmoi que tu parles
c’est moi la voix je veux dire
si ça demande de rappeler et de laisser ton nom c’est moi
regarde tu dois regarder le téléphone tu vas voir je vais dire quelque chose
après tu me dis de rappeler ou de laisser mon nom
ben y’aura personne puisque je suis là
et alors ?
et alors je raccroche puisque tu es là
c’est pour te montrer attends je te dirai quand j’aurai fini tu décroches ?
je sais pas si tu es par làje peux pas dire que je t’ai vu mais je peux faire comme si
dire que je t’ai tellement pas vu que je peux dire que je t’ai presque vu je le dis ou pas ?
attends je me cache

un deux trois quatre cinq

je monte en 3 pour redescendre au 2 juste àcôté des coordonnées est ouest
et derrière làoù y’a marqué 19
je vois la liste
les étages y’en a de libres pour n’importe qui
sauf que c’est X Y Z si tu regardes bien le plan qui nous écrit àcôté
sauf qu’on est au niveau 2
c’était pas prévu
de quoi
le bleu c’est une surprise ils l’ont fait dans la nuit ?
mais du coup les personnes en bas
d’après les usages fréquentés qui se trouvent
j’avance de 10 je recule de loin ?
y’en a àpas mal d’endroits sur le circuit ce qui complique
essaye de reculer un peu droit on n’a pas le temps de visiter
on arrive àêtre de plein pied c’est tellement logique que tu peux pas comprendre
la logique de celui qui met le grappin dessus
carrément c’est écrit bleu mais le rouge t’es coincé
parce que dans la foulée l’escalier il a beau être rouge làtu peux pas le lire
est-ce que je suis perdu
et le rouge c’est ailleurs c’est commode j’ai des consignes qui me contredisent
oui ou non je reviens je sais plus comment ça finit
le bleu c’est un cul-de-sac qui mène làoù il faut un billet
visiblement avant
il est question de me dire clairement que quelque part vous êtes ?
je suis tombée dans un soir par la même scène àl’infini moi
puis dans la mer
ah c’est amer ça se larme
àgrands cris d’incendies ça déclenche
interdit
chut

t’as quelqu’un qui a la parole pendant que toi tu dois te taire ?
pourquoi c’est pas nous qui sommes applaudis


Distinction

Pièce recommandée par le comité de lecture de Eurodram 2022.


Pièce sélectionnée pour le Prix Incandescences 2023, catégorie Maquette, organisé par Théâtre National Populaire et le Théâtre des Célestins, Lyon.

Extraits de presse

« C’est beau, mélancolique. Les secondes défilent, chaque mot est calculé, prononcé. Chaque mot àune force. Une grande force.  »

[Babelio, Masse critique, mars 2021]


« Cette pièce commence par une pirouette sur la distribution. L’autrice évoque des objets, des paysages ou des impressions. (…)

Le texte est une longue recherche réunissant des mots et des expressions parlant de mise àjour, du monde informatique mais également celui de la production. Les êtres ont disparu, remplacés par des logiciels et des protocoles. Cette pièce nous perd, souvent, mais cela justifie de la voir sur scène.

Mais le fil tendu par l’autrice, lui, ne se rompt pas ni ne se casse. Comme des vagues, certains passages nous ramènent vers l’absurde que semble vivre les personnages.  »

[Babelio, Masse critique, mars 2021]

Vie du texte

Lecture d’extraits par l’auteure avec Fred Roudet (trompette) lors du 6e Bazar littéraire de La Cave Po’ àToulouse le 20 septembre 2020.

Portfolio