Accueil > Collections > Théâtre > Théâtre contemporain > Un deux trois Meyerhold

Bady, Vincent

Un deux trois Meyerhold

2002

vendredi 1er février 2002

Un deux trois Meyerhold cherche comment raconter l’engagement d’un homme à travers ses masques et ses vérités successifs.
Cet homme, Meyerhold, emblématique du théâtre moderne, est incarné dans trois figures différentes. Il fait entendre ses contradictions et devient lui-même un chœur de voix, une forme théâtrale plus qu’un personnage. Une écriture qui appelle à un théâtre différent et à d’autres formes de jeu et de représentation.

Cette pièce en dix-huit séquences est centrée autour de Meyerhold, « personnage hors pair, plein de tempérament, d’esprit d’invention, toujours en mouvement, au destin tragique, porteur dans notre vie d’aujourd’hui d’une flamboyante leçon d’humanité ».
[Préface de Gérard Abensour]

[p. 17 à 22]

— 1

M 3
Quelques jours avant de mourir mon père disait
Quand mon braillard de fils jouera Hamlet
je serai mort depuis longtemps
Qu’il ne compte pas sur moi pour faire le spectre

M 2
Le ratafias et l’alcool de cerise Meyergold
C’est fini Mon affaire est en faillite
D’ailleurs toute la Russie est en faillite
La faillite est l’état perpétuel de la Russie

M 1
Si les Russes avaient été moins réfractaires à l’esprit
prussien ils auraient pu faire des progrès
Mais non

M 3
Les Russes sont restés un peuple de sauvages

M 2
Bornés

M 1
Définitivement trop asiatiques

M 1, M 2, M 3
Quatsch

M 2
Quand mon père est mort j’ai changé mon nom

M 1
Ma religion

M 3
Ma nationalité

M 2
Je suis parti à Moscou

M 1
Je me suis marié

M 3
Et j’ai fait un enfant

M 2
J’ai acquis une machine à polycopier la littérature clandestine

M 1
Maintenant je m’appelle Vsevolod Emilievitch Meyerhold

M 2
Je suis russe

M 3
Je fais du théâtre

— 2

M 1
J’entends des pas... Je ne peux pas vivre sans elle...
Stanislavski
Ne projetez pas Vsevolod Emilievitch Juste baissez le ton je vous en prie baissez le ton

M 1
En somme Cher Constantin Sergueïevitch Stanislavski vous trouvez que je suis un braillard
Stanislavski
Est-ce que vous êtes un acteur oui ou non

M 1
Oui je suis un acteur Pas une machine Pas un mannequin La répétition était annoncée à six heures Elle devait commencer à six heures Pas avec deux heures de retard
Et je ne suis pas une machine
Stanislavski
Calmez-vous Vsevolod Emilievitch Je vous dis seulement que vous ne devez pas jouer le premier acte comme si c’était le dernier

M 3
Il est six heures du matin le 10 juin 1939
Ordre est donné de procéder à l’arrestation du suspect Meyerhold Vsevolod Emilievitch Suite à une enquête prolongée et après déposition de deux témoins à charge le suspect est accusé d’appartenir au bloc des trotskistes de droite et d’être un agent au service de plusieurs réseaux d’espionnage étrangers.
Une diction ciselée froide Pas d’intonations vibrantes de trémolos de larmes dans la voix On boule le texte dans une diction pseudo-réaliste et alors plus question d’avoir le rythme de la phrase Il faut entendre chaque syllabe comme une goutte d’eau tombant dans un puits
Je regarde l’un des deux policiers qui lit un mandat d’arrestation établi à mon nom C’est une nuit blanche à Léningrad le soleil brille comme en plein jour

M 1
J’entends des pas... Je ne peux pas vivre sans elle
Stanislavski
Trop nerveux trop brusque
Trop de violence voire d’hystérie
Ce n’est pas le ton de Tchékhov

M 2
Nous répétions La Mouette d’Anton Tchékhov
Fin de siècle fin d’un monde
Le metteur en scène était Constantin Sergueïevitch Stanilavski Au fameux Théâtre d’art prétendument accessible à tous j’étais déjà une forte tête Un râleur Un militant et j’avais lu Marx

M 1
J’entends...
Stanislavski
Vous jouez trop de choses à la fois Vous pensez déjà au résultat devant le public Ne cherchez pas tout de suite à représenter Quoi que vous fassiez en scène je peux vous assurer qu’il faut en retirer quatre-vingt dix pour cent

M 1
J’entends des pas... Je ne peux pas vivre sans elle... Même le bruit de ses pas est merveilleux... Je suis fou de
Stanislavski
Votre épaule gauche brûle Elle brûle Je veux dire Elle est tout le temps tournée vers le public Soyez plus simple Ne vous occupez pas du public Soyez vous-même Vivez le rôle

M 1
J’entends des pas...
Stanislavski
Le fait que vous n’osiez pas me regarder ça aussi c’est faux Oubliez-moi Allez

M 1
Excusez-moi Constantin Sergueïevitch Je suis déconcentré
Est-ce que c’est normal ce bruit dans la coulisse quand je dis J’entends des pas
Stanislavski
Des grillons des abeilles Un appui de jeu pour vous mettre dans l’ambiance Vsevolod Emilievitch Il faut que vous sentiez la vérité de ce qui vous entoure Rappelez-vous Quand vous étiez enfant on entendait certainement des grillons dans votre jardin Et là vous êtes dans un jardin à la campagne Faites comme si

M 3
Un rat mes nerfs du calme c’est un rat juste un rat Un rat énorme me fait face puis disparaît sous la voiture des policiers
Cette manière de jouer la peur ne va pas Il faut avoir une peur nerveuse avant qu’émotionnelle Pas comme chez Stanislavski Je vois un ours j’ai peur je tremble Mais je vois un ours je tremble j’ai peur voilà la vérité du théâtre Revivre d’abord ses émotions est un passe-temps d’acteur bourgeois c’est non hygiénique ça émousse la santé nerveuse des acteurs


Extraits de presse

« Meyerhold, metteur en scène visionnaire du théâtre russe du début du 20e siècle, traversa l’histoire mouvementée de son pays de la révolution à Staline, pour finir exécuté comme « espion et trotskiste » en février 1940... L’auteur a choisi de mettre en scène trois Meyerhold : le créateur à la recherche de formes nouvelles, l’artiste face au pouvoir et le metteur en scène persécuté. Un texte dense, parfois difficile, avec de beaux moments de « théâtre dans le théâtre ». »
[Atelier théâtre, n°6 , printemps 2002]

Vie du texte

Création dans une mise en scène de Guy Naigeon, compagnie Les Trois-Huit, aux Subsistances, Lyon, en février 2002.

Lecture dirigée par Rolf Abderhalden, Mousson d’été, en aoà»t 2002.

Portfolio